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Souvenirs de voyages

Par : Anne-Caroline Paucot 30 mai 2019 no comments

Souvenirs de voyages

Après vingt-et-un voyages ensemble,
Iliom et Maruska s’interrogent
sur le prochain.
Vont-ils enfin se rencontrer ?

Iliom est doté d’une beauté élégante et sensible qui semble garantir un bonheur éternel. Maruska est tombée sous le charme. Le coup de foudre fut réciproque. La jeune femme a un sourire et un regard envoûtant qui découragent toutes formes de résistance.

Même si nos tourtereaux semblent sortis d’un conte de fées, leurs échanges penchent plus vers le monotone que le féérique. Ils sont en train de retricoter laborieusement les souvenirs de leurs vingt-et-un voyages.
– Je me souviens très bien du premier. J’avais choisi Venise pour ses gondoles, dit Maruska.
– Oui, oui… Je m’en rappelle, ajoute Iliom. J’étais furieux. J’avais choisi l’Islande et voilà que je me retrouve à Venise.
– Tu voulais qu’on te rembourse le voyage.
– Je n’ai pas insisté. Tu m’as tout de suite intrigué. Tu clignais en permanence des yeux. Je croyais que tu avais un tic.
– Je n’arrivais pas à coincer mes lunettes de soleil. C’était mon premier voyage, dit Maruska.
L’Australie, la Corée, la Belgique… Les deux amants font défiler les destinations et exercent leur esprit critique.
– Le pire, c’était tout de même le voyage au Brésil, dit Iliom.
– Ah, oui, ils ne se sont pas foulés. Ils nous ont obligés à regarder un documentaire sur le pays pendant au moins deux heures, ajoute Maruska.
– C’était un voyage Tongue Tour. Ils ont été mal notés, ils ont dû fermer.
– Dans la série pas terrible, il y a aussi le voyage de Rizière Tour.
– Je ne me souviens plus.
– Le voyage au Vietnam. On changeait de lieu toutes les cinq minutes. On allait de Saigon à Hanoi, puis à Sapa.
– Très juste. À force d’aller au nord puis au sud, on avait la tête qui tournait.
– C’était du grand n’importe quoi. On a visité quatorze villes en moins de huit heures.
– C’était tout de même plus vivant que le voyage en haut du Mont-Blanc. On a dû regarder pendant des lustres les montagnes et le ciel.
– Moi, j’ai adoré, dit Maruska. On avait le temps de penser et de se parler. C’est vraiment là où j’ai commencé à me dire que je ne pourrais jamais voyager avec une autre personne que toi.

Un vent d’émotion passe. Sourires énamourés avant de passer aux souvenirs de la catégorie grands frissons.
– J’ai mis des semaines à me remettre du voyage 11 septembre, reprend Maruska.
– Ils l’ont supprimé, ajoute Iliom. Les associations des victimes ont porté plainte pour voyeurisme virtuel.
– C’est une bonne chose. Les tour-opérateurs n’ont aucune éthique… Par contre, j’ai un très bon souvenir du voyage Monovox, dit Maruska. Une couleur, une note de musique, une odeur… C’était la douceur absolue. J’ai compris que dans notre société de la profusion, nous étions victimes d’une confusion des sens.

Le couple s’égare un temps dans des considérations intellectuelles avant de revenir à leur réalité virtuelle du moment.
– Et que penses-tu de RIN ?
– RIN ? demande Iliom.
– Royale Intime Nature… C’est le voyage que nous vivons en ce moment. Ils ne nous ont pas trompés sur la marchandise. Ce château est vraiment royal. Nous sommes tous les deux et nous pouvons exposer nos vraies natures.
– J’aime beaucoup, se contente de dire Iliom.
Maruska n’insiste pas. Elle a bien compris qu’Iliom a tiqué quand elle a parlé de vraie nature. Tous deux profitent du silence pendant quelques minutes. Puis la jeune femme reprend la parole :
– Quel sera notre prochain voyage ? Le coach en voyages virtuels nous propose un RARP… Rencontre Amoureuse en Réalité Physique, précise Maruska. Il dit qu’après vingt-et-un voyages virtuels, on peut faire le grand saut dans la réalité. Après la rencontre de nos esprits, nos corps sont prêts à se rapprocher.
– Il faut voir, se contente de dire Iliom.
S’il rêve de voir en vrai Maruska, il a en aussi terriblement peur.
Un silence s’installe. On sent de l’émotion dans les pixels.
– Tu ne pourras pas m’aimer. Je suis…
Maruska hésite à lui dire que dans sa vie quotidienne, elle se trouve trop grande, trop petite, trop grosse, trop maigre… Bref, trop moche et nulle pour être aimée.
– C’est ton esprit que j’aime, dit Iliom. Tu sais, je suis…
Comme Maruska, il se tait. Il a peur de lui dire que, dans sa foutue vie réelle, il est marié et ne s’accorde aucun droit au rêve.

Après avoir évacué leurs cruelles réalités, ils décident de partir sur Mars. Le voyage a très bonne presse. Il élimine toutes les lourdeurs terrestres.

© Olivier Fontvieille