Sébastien Gendron, Transpod : hyperloop, un avion sans ailes – mars 2022
Sébastien Gendron, Transpod : hyperloop, un avion sans ailes – mars 2022
Une levée de fonds de 550 millions de dollars US pour un projet de ligne en Alberta entre Edmonton et Calgary, la création d’une filiale aux Émirats et la présentation du premier prototype à Toronto en juillet… l’année 2022 s’annonce prometteuse pour TransPod, l’entreprise qui développe le projet « Hyperloop » Canadien.
En mars 2022, la communauté de Futura-Mobility a reçu Sébastien Gendron, cofondateur et CEO de TransPod, en présentiel pour redécouvrir et échanger sur ce système de transport en devenir…
« L’objectif global du projet est de développer un nouveau mode de transport », explique M. Gendron. « On considère que c’est compliqué pour les trains à grande vitesse d’aller au-delà de 300 km/h. Si on veut évoluer sur le futur du transport terrestre, il va falloir revoir la copie ».
Le concept de transport par tube existe déjà depuis de nombreuses années. SwissMetro est un exemple, même si l’entreprise a fait faillite en 2008 suite à la crise financière. C’est en 2013 qu’Elon Musk donne un nouvel élan au concept en poussant les sociétés et l’industrie à se lancer dans cette aventure. En 2015, il lance un appel d’offres ouvert aux professionnels et aux étudiants. « A cette époque, j’avais l’espoir de lever des fonds auprès de SpaceX [la société fondée en 2002 par Elon Musk] mais j’ai vite déchanté », explique M. Gendron. « En décembre 2015, il a changé les règles du jeu. Cet appel d’offres s’est transformé en une compétition réservée aux étudiants et aux universités, excluant les professionnels ».
Mais tout n’était pas perdu ! M. Gendron a rebondi en s’alliant à des étudiants de l’Université de Toronto. Il a rencontré son futur associé Ryan Janzen, aujourd’hui Chief Technical Officer chez TransPod, « avec qui on fait un bon binôme ». Le projet a ainsi pu démarrer.
Finalement, suite à sa participation à la conférence sur la Recherche Ferroviaire à Milan en 2016, TransPod a levé 15 millions de dollars US auprès d’un investisseur italien, Angelo Investments, et trois de ses sociétés, Blackshape, MERMEC et SITAEL.
Prouver qu’il y a un marché potentiel
Depuis, TransPod continue de se développer. Parmi les étapes clés, l’ouverture d’une filiale en France en 2019 puis, en 2020, un sérieux coup de pouce avec la signature d’un mémorandum avec le gouvernement de l’Alberta. L’accord prévoit que si TransPod arrive à ramener des fonds privés, le gouvernement l’aidera à exécuter le projet. « La façon dont ce mémorandum a été structuré faisait suite à des recommandations de certains acteurs, comme La Caisse des Dépôts de Québec par exemple, qui nous avait bien signalé qu’il ne suffisait pas d’avoir la meilleure technologie du monde. S’il n’y avait pas de marché, pas d’appétit, nous n’irions nulle part ».
« C’était un bon conseil », reconnaît M. Gendron. « Dès qu’on avait signé ce mémorandum, il y a eu un appétit de certains institutionnels, dont Broughton Capital Group [un fonds d’investissement britannique] qui a fait cette proposition de 550 millions de dollars US après plus d’un an de discussions ». Le montage est particulier : Broughton Capital souhaitait une garantie financière de 250 millions de dollars US, en échange de mettre une partie de son apport à risque. CERIECO, une entreprise d’import-export chinoise étatique apporte la garantie financière souhaitée, qu’elle trouve elle-même auprès de la Banque de Chine.
Le risque est limité par la prévision d’un plan B au cas où finalement la technologie ne fonctionnerait pas. Ce plan B prévoit la conversion de l’infrastructure initiale vers une ligne de train à grande vitesse entre Edmonton et Calgary.
BPI France ou encore Export Development Canada, consultées au préalable, n’ont pas souhaité fournir la garantie financière, alors même que la contrepartie apportée par TransPod était d’accorder jusqu’à 250 milliards de dollars de contrat à des entreprises nationales. « Ce n’est pas une question d’hégémonie économique de la Chine, c’est avant tout une question d’attitude : regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide… c’est dommage parce que ça veut dire que les pays occidentaux ne sont pas capables de prendre des risques et donc, clairement, n’innovent pas », analyse M. Gendron.
Une équipe composée de profils différents
La formation d’une équipe solide a également fait partie des priorités pour le co-fondateur de TransPod. « Il est très important de s’entourer de gens plus intelligents que soi et qui se complètent », conseille M. Gendron. Tandis que son associé Ryan Janzen se charge de l’architecture du système TransPod et le dépôt des brevets, lui-même s’occupe de la direction de l’entreprise, de la recherche de financements et des discussions avec la sphère politique. M. Gendron se réjouit de la multidisciplinarité de son équipe très internationale : « On a toutes les nationalités et c’est super riche. Toronto est un vivier. On a des iraniens, des russes, un français, un suédois… Plus on a de diversité – que ce soit de genre ou de culture – mieux c’est. »
Design et concept – le diable est dans les détails
Pour faire simple, « ce n’est pas un nouveau train. C’est un avion sans ailes », explique M. Gendron. « On a échangé avec Airbus Atlantique, la filiale d’Airbus, pour la conception du véhicule complet à l’horizon 2025. Il y a trois sous-ensembles qui sont critiques pour que ça fonctionne : la lévitation, la propulsion et la transmission de puissance, qu’on a breveté chez TransPod ».
L’objectif de l’équipe de TransPod était, dès le début, de concentrer toute la technologie sur le véhicule pour « garder une infrastructure la plus simple possible et donc réduire les coûts d’infrastructure au maximum ».
L’infrastructure en développement consiste en des tubes en métal – plutôt qu’en béton car, pour les systèmes de lévitation et de propulsion, l’acier est indispensable – de 4 mètres de diamètre, à faible pression pour s’affranchir des frottements aérodynamiques. Les panneaux solaires font aussi partie du système.
La structure peut être surélevée par rapport au sol ou enterrée. Pour cet aspect du projet, TransPod travaille avec la SADE, une entreprise française de travaux publics, qui développe des techniques semi-enterrées avec des petits tunneliers : « Semi-enterré est une solution qui pourrait intéresser des pays en Europe, par exemple, où une infrastructure TransPod pourrait être considérée comme de la pollution visuelle », estime M. Gendron.
Coté utilisation du système, deux versions du véhicule sont prévues : un pour les passagers, ayant une capacité initiale de 50 personnes, et un pour le fret.
Le véhicule qui sera présenté au mois de juillet 2022 sera à l’échelle un tiers, c’est-à-dire 5 mètres de long, une demi-tonne et presque 2 mètres en hauteur. Il intégrera une quinzaine de sous-systèmes quand le véhicule complet en intégrera entre 40 et 45.
« On a une stratégie assez similaire à celle de Boeing et Airbus avec les familles 320 ou 737 [avions de ligne avec des versions raccourcies et rallongées]. Selon la demande passager ou fret, on aura la possibilité d’allonger ou de réduire la longueur du véhicule », explique M. Gendron. « On est assez prudent sur la capacité des véhicules car on veut vraiment qu’elle corresponde à la demande réelle de la ligne concernée ».
Pour assurer la profitabilité des lignes TransPod, son CEO est convaincu que le facteur fret est essentiel, que l’infrastructure doit être utilisée sans interruption. « Mixer le fret et les passagers, c’est la solution idéale que TransPod a trouvé pour assurer la profitabilité des futures lignes ». Donc pour le corridor Calgary-Edmonton, par exemple, 60 % du trafic sera du fret « sensible au temps », c’est à dire essentiellement le commerce en ligne et la nourriture. Aujourd’hui, parmi les sociétés qui s’intéressent à ce projet figurent DHL, Fedex, Amazon, etc.
« Du point de vue de la certification, le premier dossier de TransPod sera pour le fret », ajoute M. Gendron.
L’infrastructure d’abord et le modèle économique – les spécificités de TransPod
Une particularité à noter dans l’approche, TransPod se concentre sur le projet d’infrastructure alors que sa technologie n’existe pas encore. « En étant une société privée et pas une initiative publique, financièrement on ne peut pas se permettre d’attendre que la technologie soit complètement développée pour commencer à regarder où faire le projet d’infrastructure », explique M. Gendron. « On voudrait avoir un premier segment d’infrastructure prêt pour pouvoir tester la technologie quand elle sera prête ».
D’ailleurs, le modèle économique de l’entreprise est différent de celui des constructeurs traditionnels. Pour améliorer sa rentabilité, TransPod compte d’une part sur l’activité de sa filiale technologique, qui se charge de la conception des véhicules, dans l’objectif de fabriquer et de vendre des véhicules de transport aux opérateurs – comme à la SNCF demain par exemple ? – et d’autre part sur l’activité de ses filiales créées à l’étranger qui, elles, ont pour objectif de développer des projets d’infrastructure. « Notre objectif c’est d’avoir une participation significative dans les projets d’infrastructure à travers le monde. Ce qui améliore la rentabilité de l’entreprise TransPod de façon significative, » ajoute M. Gendron.
Déploiement dans un futur pas si lointain
A l’heure actuelle, TransPod démarre l’acquisition des terrains, l’étude environnementale, et les autres démarches administratives en Alberta. Ensuite, les travaux vont potentiellement démarrer à l’été 2023.
« On vise 2025 pour avoir entre 2 et 3 prototypes prêts à l’échelle 1, suivi de deux ans d’essais, puis une certification en 2027 », projette M. Gendron. « Si ce calendrier-là est maintenu, la première ligne, entre Edmonton et Calgary, pourrait s’ouvrir entre 2030-2035. C’est ambitieux, on ne maîtrise pas tout aujourd’hui, mais qui dit innovation de rupture dit prise de risque ! »
Images © TransPod 2022