Futura-Mobility en voyage exploratoire à Marseille
Futura-Mobility en voyage exploratoire à Marseille
Fin novembre 2021, les membres de Futura-Mobility ont profité de la tenue de la troisième édition du Smart Port Day pour se rendre dans la cité phocéenne et rencontrer l’écosystème d’innovation de la ville portuaire. Des membres, impliqués dans l’innovation et le développement des entreprises Alstom, SNCF, Keolis et Air Liquide, ont fait le déplacement aux côtés de l’équipe de Futura-Mobility.
Une visite du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), en particulier de ses bassins Ouest dans le Golfe de Fos, et de nombreuses rencontres sur ces deux journées ont permis aux participants de se rendre compte du lien étroit du secteur maritime avec la mondialisation, de découvrir la richesse de l’écosystème portuaire et logistique, le lien vital avec l’hinterland et les enjeux associés (report modal), ainsi que les enjeux environnementaux et digitaux spécifiques au secteur.
Tous dans le même bateau
Ce qui a frappé les membres lors de ces rencontres est la cohésion des acteurs économiques pour la promotion de l’attractivité de la place portuaire de Marseille Fos. Comme le dit Hervé Martel, président du Directoire du GPMM, il existe une multitude de professions qui sont interdépendantes. « Ce qui compte pour le client, c’est la qualité de service globale – on est tous dans le même bateau d’une certain façon ».
Les concurrents sont fédérés dans des syndicats professionnels (transitaires, pilotes, lamaneurs, assureurs, consignataires, opérateurs de manutention, armateurs…) ainsi qu’au sein d’une interprofession, l’Union Maritime et Fluviale de Marseille Fos (UMF). Les concurrents se rendent régulièrement des services, pour exemple la possibilité de vente d’une partie de la capacité sur le navire d’un armateur par un autre armateur, de façon à maximiser le taux de chargement.
Développé par MGI, une entreprise détenue par le GPMM et l’UMF, le système d’information commun « CI5 » permet de suivre la marchandise au travers de ses différentes étapes (capitainerie, douanes, services vétérinaires, etc.). « Un bel exemple de partenariat public – privé réussi ! » se félicite Léa Loriquet-Ventura, déléguée générale de l’UMF. C’est en effet une preuve du niveau de coopération élevé au sein de l’UMF. « Tous les documents sont numérisés, explique Stéphane Boumendil, chargé de mission au sein de l’UMF, cela permet un gain de temps énorme ! Par exemple le dédouanement est passé au cours des dernières années de 24h à quelques minutes ». Quand on sait, dans le domaine du transport public de personnes, comme les débats sont parfois âpres entre les acteurs pour la mise à disposition de leurs données au sein de systèmes MaaS !
Grâce à cet outil CI5 transverse, les acteurs du port ont pu aller plus loin et adopter des indicateurs de performance communs. Ces « Key Performance Indicators » permettent à tous de mieux dialoguer pour améliorer la qualité de service et permettent à chacun de progresser dans le même objectif : rendre la place portuaire marseillaise plus fiable.
Autre exemple de coopération, la projection à 2040 du plan d’aménagement de la zone industrialo-portuaire de Fos. D’après Hervé Martel, président du GPMM, « Nous ne pouvons pas agencer avec une vision extensive des espaces car nous devons éviter d’artificialiser le domaine. Il faut construire le port sur le port ». Tous les acteurs concernés sont consultés dans cette démarche participative.
De port pétrolier à port … USB ?
Le port de Marseille Fos a connu son essor dans les années 70, autour de l’activité pétrolière et pétrochimique au niveau de Fos-sur-Mer. « Le brut était au cœur de notre rentabilité », explique Alexandre Antonakas, Responsable des projets Diversification & Innovation, Numérique IT et Prises de Participation. Aujourd’hui l’activité de raffinage se recentre sur les pays producteurs. « Il reste trois raffineries sur Fos, mais si on se projette à 2050, elles auront probablement disparu » anticipe M. Martel.
Dans les années 1980-90, « malheureusement le port de Marseille Fos est passé à côté de la conteneurisation des marchandises », analyse Hervé Martel, président du GPMM. Marseille ne fait en effet pas partie des 100 plus grands ports à conteneurs du monde, contrairement aux ports du Pirée en Grèce, de Gioia Tauro et Gênes en Italie, de Barcelone, Valence et Algésiras en Espagne ou encore d’Ambarli et d’Izmit en Turquie, ses proches voisins sur la rive nord de la Méditerranée. Pour autant, le trafic des marchandises conteneurisées de passage au port de Marseille est passé de 900 000 à 1,5 million de conteneurs équivalents 20 pieds entre 2010 et 2019. Pour M. Martel : « le marché évolue très très vite avec l’essor du e-commerce. Globalement, il faut être capable de proposer des solutions compétitives, intégrées sur l’hinterland allant même jusqu’au dernier kilomètre. »
Le port en 2040 ? Hervé Martel l’affirme, « il sera radicalement différent ! ». Ce sont 41 500 emplois directs et indirects qui sont en jeu, avec des compétences à faire évoluer.
Les acteurs du port de Marseille comptent bien notamment s’appuyer sur leur expertise en termes d’énergies. De nombreux projets énergétiques voient le jour, allant de l’éolien flottant en mer, à l’installation de panneaux photovoltaïques sur les parcelles « délaissées » (c’est-à-dire dont la surface peut être difficilement exploitée par ailleurs), en passant par l’électrification des quais pour les ferries et les navires de croisière, ou encore la création d’une filière hydrogène vert notamment pour « décarboner l’industrie présente sur le port et sur l’axe Rhône » explique M. Martel. Quant au développement des éoliennes, « on espère développer [au sein du GPMM] l’activité de construction des flotteurs et peut-être des turbines et des pâles » projette Michaël Parra, responsable de la transition énergétique du GPMM qui a accueilli le groupe sur les bassins de Fos-sur-Mer.
Plusieurs projets sur l’axe énergétique ont d’ailleurs été primés lors du Smart Port Day #3 : un projet, remarqué par EDF, de navire stockeur d’énergie de la société Farwind allant chercher du « bon vent », comme le dit son fondateur Félix Gorintin, au très grand large pour ramener cette énergie au port ; deux projets basés sur la méthanisation des déchets, soit collectés directement au port avec la BioBeeBox – projet retenu par VEOLIA, soit dans la région avec le projet de Synchronicity sélectionné par CMA-CGM.
Le GPMM développe également son activité de « foncière ». En effet, la surface totale dans l’enceinte du port est de 400 hectares sur les bassins est et de 10 000 hectares sur les bassins ouest. Cet immense domaine portuaire a longtemps été mal valorisé. « Nous ne sommes pas au prix du marché », affirme M. Martel. Les équipes, récemment renforcées par un expert du sujet, souhaitent mieux exploiter son domaine, dans une vision globale de son évolution à long terme et en tenant compte des nombreux enjeux qui y cohabitent, notamment le développement du report modal vers le fleuve et les voies ferrées ou la préservation de l’environnement. Les bassins ouest abritent en effet 3 000 hectares d’espaces naturels volontairement protégés par le Port ! Et ils sont situés à la convergence du parc naturel régional de Camargue, de la réserve naturelle des Coussouls de Crau et de l’embouchure du Rhône. Lors de la visite, les membres de Futura-Mobility ont pu apercevoir des flamants roses et des chevaux sauvages blancs de Camargue. La stratégie consiste donc à travailler sur une politique tarifaire sur le foncier accompagnée de nouveaux services, qui permettront de faire gagner du temps dans l’installation de nouvelles activités. « Le port peut proposer des mesures pour la biodiversité par exemple dans la séquence 1. éviter, 2. réduire, 3. compenser, car nous connaissons bien le terrain » explique M. Martel.
Le troisième axe de la stratégie de diversification du port repose sur le numérique, avec l’ambition de faire de Marseille le 5ème hub mondial d’échanges de données. InterXion, un acteur de premier plan dans le domaine des data centers, s’implante massivement à Marseille. La localisation de la ville est un atout majeur. « Marseille devient ‘the place to be’ pour les data centers » souligne M. Antonakas. La connexion pour les câbles sous-marins vers la terre passe par le port. Le niveau élevé de sécurisation au sein de l’enceinte portuaire, du fait de l’application du code ISPS régissant les activités maritimes, est un avantage non négligeable pour les opérateurs. Même si c’est un nouveau métier pour le port, il s’agit toujours de développer et de gérer une infrastructure sensible.
Autre volet de la reconversion du GPMM, son rôle en tant qu’investisseur. Le GPMM souhaite « monter dans la chaîne de valeur, c’est-à-dire monter au capital des projets » oriente M. Martel, son président. Les deux principaux axes d’investissement indiqués par ce dernier sont la logistique et le numérique. Une réflexion est ainsi en cours pour trouver la bonne structuration juridique, la gouvernance adéquate de cette activité de ‘business angel’, le dimensionnement du fonds, ainsi que les bons partenaires publics ou privés. Sur ce point « le fonctionnement en écosystème est très important pour réussir » analyse M. Antonakas.
L’écosystème portuaire et maritime, fer de lance de la décarbonation
En rencontrant de nombreux acteurs lors de ces deux journées exploratoires, il est apparu très clairement que le sujet de la décarbonation était en route. « Cela va très vite, plus vite que ce qu’on pourrait penser » s’étonne lui-même le président du port.
« Dans le futur, il faut mettre en place un partenariat entre le GPMM, SNCF et VNF pour réaliser une massification des flux sur le fer » évoque Claude Flor, professeur émérite, CRET LOG à l’université Aix-Marseille, abordant ainsi le sujet du report du trafic depuis la route vers les voies ferrées ou le Rhône pour limiter l’impact carbone du transport de marchandises à terre. Aujourd’hui, à Marseille, seuls 15 % des flux de marchandises passent par les voies ferrées, 5 % par le fleuve. Avec l’infrastructure existante, sur le fleuve « il serait déjà possible d’augmenter les volumes transportés par barge de 3 à 4 fois ! » avance Stéphane Boumendil de l’UMF, sur la base d’analyses de VNF. « L’objectif à terme est de passer à 30 % de ferroviaire » revendique Léa Loriquet-Ventura, déléguée générale de l’UMF. Plusieurs axes de travail ont été évoqués à ce sujet lors du voyage d’études : la construction d’un hub ferroviaire sur le bassin ouest de Fos, la mise en place de trains ‘en bloc’ ou plus long pour transporter des marchandises depuis un port vers une ville de destination, la contractualisation avec des entreprises installées tout au long du Rhône pour favoriser le transport des marchandises par barge de et vers le port de Marseille… D’après Mme Loriquet-Ventura, « la question du temps de trajet est évidemment importante, mais finalement elle est toute relative face aux questions de qualité de service, de décarbonation et de prix apportés par ces solutions ».
Le port de Marseille est particulièrement contraint sur les enjeux environnementaux qui, parfois, se télescopent. Par exemple un projet de création d’un canal à partir du Rhône sur la zone de Fos permettant de faciliter le transbordement par barge et donc le report modal a été arrêté face à la nécessité de protéger la biodiversité sur le tracé prévu. Le tracé alternatif coûtait trop cher et faisait perdre le gain de temps estimé comme nécessaire, faisant avorter le projet.
La route n’est pas en reste face à mouvement de décarbonation, avec l’électrification des véhicules ou l’utilisation de biométhanol par exemple. De quoi encourager les autres modes de transports, rail et fleuve, à poursuivre la course au verdissement, pour ne pas perdre cet avantage. Néanmoins, ces derniers répondront toujours à une nécessité de massification des flux pour décongestionner les routes, et ainsi répondre à l’enjeu d’habitabilité du territoire pour les habitants et les travailleurs. Comme l’analyse M. Boumendil « l’avantage compétitif des modes massifiées existera toujours, l’impact environnemental de la barge et du train seront dans tous les cas moindres que le camion, justement grâce à la massification ».
Un des leaders mondiaux du transport maritime et de la logistique implantée à Marseille, le Groupe CMA-CGM, dont les membres de Futura-Mobility ont rencontré la vice-présidente en charge du développement durable Claire Martin, a fait le choix de la propulsion au GNL pour ses navires, car il permet de réduire immédiatement les émissions de polluants atmosphériques. En ligne de mire, le biométhane puis les méthanes de synthèse, dont le e-méthane. L’intérêt de la molécule est que « nos navires qui utilisent aujourd’hui du GNL sont déjà en mesure d’utiliser ces sources d’énergie moins carbonées ». D’où le choix de CMA-CGM de retenir le projet de biométhaniseur de Synchronicity évoqué plus haut. D’après Farid Trad, vice-président en charge de l’énergie de CMA-CGM, « la décarbonation peut commencer dans le territoire, en allant chercher les intrants en lien avec le port, notamment aux abords du Rhône ».
Avec cette approche, le Groupe CMA-CGM entend parvenir à devenir Net zéro carbone d’ici à 2050, un engagement annoncé durant la COP26.
Quant à l’hydrogène ou à la propulsion à vent, la compagnie française les étudie également. « Le défi de l’hydrogène, pour une compagnie comme CMA-CGM qui vend de l’espace pour les marchandises, c’est le stockage d’un volume important d’hydrogène nécessaire pour propulser un navire », explique Mme Martin. Quant à la propulsion à vent avec des voiles par exemple, « c’est un sujet porteur ». Cela permet d’économiser jusqu’à 30 % d’énergie, mais il faut une technique adaptée à des routes maritimes régulières confrontées aux conditions de vent.
Les startups apportent aussi beaucoup à cet écosystème innovant et sont très souvent orientée vers le respect des ressources de la planète. « Searoutes est une solution qui répond à un vrai besoin de visibilité des émissions de CO2 du transport de marchandises pour les chargeurs » affirme Eva Cadilhac, directrice marketing et même première employée de la jeune pousse. Aujourd’hui, les émissions de gaz à effet de serre dues au transport représentent jusqu’à 10 % des émissions totales de gaz à effet de serre des expéditeurs. La technologie exclusive de Searoutes permet de traiter et transformer de très importantes bases de données liées au fret maritime (position historique des navires, caractéristiques des moteurs, informations sur les horaires, météo…) en informations exploitables. La startup aide ainsi les chargeurs à aller au-delà du simple reporting de l’empreinte carbone en identifiant les leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur sa chaîne logistique, sur la section maritime pour le moment. À titre d’exemple, un expéditeur peut réduire ses émissions de gaz à effet de serre sur le transport de 30 % lorsqu’il prend des décisions d’achat favorisant des flottes de navires plus récents, plus grands et plus lents.
A terme, la startup ambitionne de permettre à ses clients de trouver les routes les plus vertes en porte à porte, donc en intégrant les options de flux logistique à terre, sur rail et sur fleuve. La réduction de gaz à effet de serre sur le transport pourrait s’élever à 60 % dans ce cas. Searoutes démarre d’ailleurs sur ce sujet un projet en Méditerranée avec Medlink. « Donner de la visibilité aux transporteurs verts et permettre aux chargeurs de mettre en place des actions concrètes de réduction, c’est ça la vision de Searoutes », explique Mme Cadilhac.
La décarbonation du transport maritime ne va pas se faire en un jour. La contrainte réglementaire est parfois actionnée pour accélérer le mouvement, mais la dernière en date a eu des effets inattendus à l’aune de la pandémie. En janvier 2020, l’Organisation Maritime Internationale a introduit un nouveau plafond à 0,5% contre 3,5% auparavant pour la teneur maximale en soufre (SOx) autorisée dans les combustibles. Les compagnies ont, dans un premier temps, installé des scrubbers « dont le prix d’installation était de 3 à 5 millions d’euros par navire, en partie financés par l’Arabie Saoudite qui avait intérêt à ce que les compagnies continuent d’utiliser son fioul lourd… alors que le pétrole algérien, lui, contient bien moins de soufre » précise Stéphane Salvetat, président du syndicat des transitaires de transport de Marseille Fos à qui Futura-Mobility a demandé d’expliquer la crise actuelle que traverse la logistique. Ces filtres permettent de nettoyer les fumées d’échappement sans changer le fioul utilisé ni les moteurs. Lorsque la demande de transport international de marchandises a chuté avec les débuts de la crise de la Covid19 alors que les usines en Chine et les ports chinois étaient fermés, ces navires non adaptés ont été mis au rebut, « soit 15 à 20 % de la flotte mondiale » d’après Stéphane Salvetat. Résultat, depuis que la demande a fortement augmenté avec la reprise économique fin 2020, il y a une véritable pénurie de navires et donc de capacité de chargement dans le secteur du transport maritime. « Les taux de fret ont été multipliés par 6 à même 12 ! On est passé de 6 à jusqu’à 22 semaines pour faire passer une marchandise de la Chine à l’Europe », poursuit M. Salvetat. De plus les ports sont engorgés, la marchandise n’est plus assez rapidement transbordée ou déchargée, les conteneurs ne tournent plus assez. « Cela créé des stocks flottants, qu’il faut bien financer ! Aujourd’hui, les chargeurs paient la marchandise alors qu’elle n’est pas encore arrivée » explique M. Salvetat.
On en arrive à des pratiques aberrantes comme l’achat de capacité à vide pour le retour par les chargeurs pour s’assurer d’avoir de la place à l’aller – donc des navires qui voyagent à vide dans un sens alors que la demande est très forte ! – ou l’abandon de conteneurs quand le prix du stockage finit par dépasser la valeur de la marchandise.
Le port, témoin des prémices d’une régionalisation des échanges ?
Le système maritime et portuaire est au cœur de la mondialisation, « nous voyons arriver les crises avant tout le monde » affirme M. Salvetat. Le coût des chaînes logistiques internationales ayant fortement augmenté, l’inflation ne serait pas près de s’arrêter. Autant au début de la crise, certains (e)commerçants fonctionnaient avec leur stock, autant maintenant ils sont quasiment à flux tendus alors que le coût de revient de la marchandise, transport compris, est plus élevé.
Cette situation de pénurie de capacité de chargement et donc de coûts élevés de fret est verrouillée par un oligopole. En effet, 9 compagnies organisées en 3 alliances* représentent à elles seules plus de 80% des capacités totales de la flotte maritime mondiale de porte-conteneurs et 95% des capacités sur l’axe est-ouest.
Alors qu’avant la crise, le transport maritime était une activité à faible marge, aujourd’hui elle est devenue plus profitable. Claire Martin, de CMA-CGM d’expliquer « le Groupe a la possibilité de réaliser des investissements stratégiques ». Pour ne prendre que l’exemple de la compagnie marseillaise, depuis la crise, CMA-CGM en profite pour se diversifier en élargissant ses activités dans toute la chaîne logistique, en amont et en aval.
La réaction des industriels ne se fait attendre. Phénomène renforcé par la pression de la société civile sur la décarbonation, « on assiste à l’émergence de chaînes de valeur sur des zones plus proches », observe M. Salvetat, en Méditerranée notamment. M. Boumendil de l’UMF porte la même analyse : « il semble y avoir un début de frémissement de régionalisation des échanges, même si bien entendu la Chine restera un pourvoyeur très important de biens de consommation ». Dans le contexte de renforcement progressif des exigences environnementales et de la volonté de consommer au plus près des zones de fabrication, la crise économique générée par la pandémie aurait-elle accéléré le recentrage vers l’Europe et le pourtour Méditerranéen de la fabrication de produits manufacturés ? Ce qui est certain est que dans ce paysage en évolution, le port de Marseille est très bien positionné !
Conséquence pour le transport maritime, alors même que la croissance du trafic de marchandises conteneurisées commençait, déjà avant la pandémie, à marquer le pas par rapport à l’augmentation du PIB mondial (alors qu’elle avait longtemps crû plus rapidement), « on peut s’interroger sur la poursuite de la course au gigantisme des navires », se demande Léa Loriquet-Ventura de l’UMF.
Les consommateurs européens et américains vont-ils pouvoir continuer à consommer autant qu’ils le souhaitent depuis l’Asie ? « L’anti trust américain supportera-t-il longtemps cet oligopole et ses conséquences sur les échanges alors qu’aucune de ces compagnies n’est américaine ? » se demande M. Salvetat. Finalement, cette inflation des coûts de transport et donc des coûts des produits manufacturés en Asie ne précipiterait-il pas le mouvement de régionalisation de la production ? Le think tank Futura-Mobility continuera d’observer de près ces différents mouvements.
* 9 compagnies regroupées au sein de 3 alliances : Alliance 2M (Maersk et MSC), Ocean Alliance (CMA-CGM, Cosco, Evergreen), The Alliance (Hapag-Lloyd, One, Yang Ming Line, Hyundai Merchant Marine). Source : Antoine Frémont d’après Alphaliner, article « Le transport maritime au risque de la démondialisation », dans le numéro 445 de la revue Futuribles, novembre-décembre 2021, page 77.
Photo de couverture © GPMM