L’avenir des think tanks dans un monde bouleversé
L’avenir des think tanks dans un monde bouleversé
28 janvier 2021 : à l’occasion de la parution mondiale du rapport Global Go To Think Tank Index 2020 – le 15e édition du répertoire réalisé par l’Université de Pennsylvanie – l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) a organisé un webinaire pour explorer l’univers des think tanks aujourd’hui, et demain.
Au panel, Jacques Audibert, secrétaire général du groupe Suez ; Vanessa Burggraf, directrice de la rédaction francophone de France 24 ; le général de corps d’armée Luc de Rancourt, directeur général adjoint des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées ; et Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne, vice-présidente de la commission du Commerce international au Parlement européen.
Pour ouvrir la débat, les intervenants ont expliqué les relations qu’ils entretiennent avec les think tanks et comment ils exploitent leurs travaux et expertises.
Pour un groupe international comme Suez, présent dans 110 pays dans le monde, il y a intérêt à échanger et à approfondir sa connaissance des pays où il est implanté ou souhaite s’installer. D’où le rôle des think tanks. « Les ONG et think tanks sur place sont des très précieuses sources d’information pour nous », confirme M. Audibert. Mais ce n’est pas tout. Un deuxième enjeu pour Suez est celui de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise « qui est aujourd’hui un sujet majeur ». Dans ce contexte, il ne suffit plus d’échanger avec les interlocuteurs habituels comme les financiers, les fournisseurs et les partenaires. « Il faut éclairer davantage le paysage grâce aux travaux de recherche, aux échanges et aux travaux approfondis que nous commandons aux think tanks ou que nous faisons réaliser dans les pays où nous travaillons », note M. Audibert.
France 24, qui traite de l’actualité internationale 24h/24 sur 4 chaines, francophone, anglophone, arabophone et hispanophone, voit les think tanks comme « un vivier d’experts et d’analystes », explique Mme Burggraf. Ils aident à décrypter cette information internationale, ils alimentent les débats. En outre, les publications des think tanks sont des véritables sources d’information pour les journalistes.
Selon Mme Vedrenne, les chercheurs des think tanks permettent aux membres du Parlement et de sa Commission de « conforter ou de confronter des opinions, des idées pour bâtir des politiques publiques européennes qui soient efficaces et défendent les intérêts européens ». De plus, l’échelle de temps n’est pas la même. Pendant que les responsables politiques travaillent dans un temps court avec, en plus, la pression de la société civile, les chercheurs font l’expérience du long terme – ce qui permet de prendre le recul nécessaire dans ce monde accéléré. « C’est essentiel d’être accompagné par les chercheurs dans ce monde d’aujourd’hui en transition pour pouvoir prendre les bonnes décisions, pour éclairer les décisions… », souligne Mme Vedrenne.
Le Général Luc de Rancourt parle « du lien extrêmement étroit » entre le Ministère des Armées et les think tanks, surtout pour la recherche stratégique. Il souligne les points forts des think tanks comme leur vision indépendante, la possibilité d’explorer des champs pluridisciplinaires, et l’originalité de leurs approches.
‘Think tanks have increased in number; the scope and impact of their work have also expanded dramatically. Still, [their potential] to support and sustain democratic governments and civil societies around the world is far from exhausted.’
Source : Global Go To Think Tank Index 2020, p.17
Les think tanks français
Avec 275 think tanks, la France est classée 6e après les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, le Royaume-Uni et la Corée du Sud (voir ci-dessous).
« Un bon score », remarque le Général Luc de Rancourt, qui considère que l’environnement pour les think tanks en France est moins favorable que pour leurs homologues anglo-saxons. Ses raisons ? « Une réalité politique, académique, institutionnelle et administrative qui est très différente du monde anglo-saxon ; un certain cloisonnement entre les différents milieux en France ; et une société assez rétive à l’égard des financements privés qui n’arrêtent pas nos partenaires anglo-saxons ».
En effet, il semble que les think tanks français aient besoin d’un coup de pouce pour mieux être valorisés. « Aux côtés du Parlement européen on voit des think tanks, typiquement allemands, qui sont très présents et qui ont beaucoup de moyens », ajoute Mme Vedrenne. « Peut-être que c’est à nous, responsables politiques, d’encourager et de valoriser davantage les think tanks français ».
Le Général Luc de Rancourt rejoint Mme Vedrenne sur ce point. Il alerte sur le rôle de l’État français pour assurer et soutenir un vivier des jeunes chercheurs qui explorent de nouveaux domaines. « Il y a vraiment un enjeu autour de ce vivier pour notre pays. On a besoin d’expertise de plus en plus pointue et en même temps un élargissement des champs dans lesquels nous, le Ministères des Armées et tous les politiques publiques, agissons ».
‘Increasingly, think tanks are a global phenomenon because they play a critical role for governments and civil societies around the world by acting as bridges between knowledge (academia) and power (politicians and policymakers).’
Source : Global Go To Think Tank Index 2020, p.17
Quel avenir pour les think tanks ?
Au-delà de la pandémie de Covid-19 et des conséquences économiques qui en découlent, l’année 2020 a été un accélérateur de tendances et a renforcé les défis auxquels le monde sera confronté : lutte contre le changement climatique, lutte contre les inégalités, rivalité Chine / Etats-Unis, désinformation, meilleure prise en compte des enjeux de sécurité humaine, etc. Dans ce contexte, en 2021 et au-delà, quels rôles peuvent jouer les think tanks ?
« Un monde paisible et uniforme ça n’existe pas ! Des bouleversements, il y en a toujours », rappelle M. Audibert, qui est convaincu du rôle d’« éclaireurs » des think tanks avec cette capacité qu’ils ont de penser et travailler ensemble, rapidement et efficacement sur des sujets pointus. « Plus le monde est complexe et bouleversé, plus les entreprises, l’administration et les décideurs auront besoin d’éclairage ».
Dans un monde où la désinformation, le « fake news », circule librement et vite sur les réseaux sociaux et chaines digitales, nous avons, plus que jamais, besoin de structures comme les think tanks pour lutter contre ce phénomène. « On a besoin d’experts qui démontent les infox », confirme Mme Burggraf.
“The government and the general public alike are relying on think tanks to inform their thinking, especially in an age of increased disinformation, an active assault on truth, and democratic decay.”
John Allen, Brookings Institution (Global Go To Think Tank Index 2020, p.23)
Au niveau du Parlement, Mme Vedrenne est convaincue que les think tanks vont continuer à contribuer à appréhender les enjeux – pour le bien commun – et qu’il faut les soutenir. « Les décideurs doivent accompagner les think tanks et valoriser leur diversité car c’est important de travailler avec une vision globale ».
Comme l’exprime le Général Luc de Rancourt, « l’avenir des think tanks n’est pas sombre. Encore faut-il que l’écosystème dans lequel ils évoluent puisse contribuer à leur essor ».
Photo de couverture : Luisella Planeta Leoni – Pixabay