Toulouse – l’innovation par la collaboration
Toulouse – l’innovation par la collaboration
par Joëlle Touré, déléguée générale, Futura-Mobility
Les 10 et 11 octobre 2022 c’est une délégation d’une dizaine de représentants des membres de Futura-Mobility qui s’est déplacée à Toulouse pour y découvrir un écosystème innovant, et pas uniquement dans l’aéronautique !
Collaboration, mixité des équipes et effet de levier
S’il n’y avait qu’un mot à retenir de ces deux journées ce serait « collaboration » ! Après avoir rencontré l’IRT Saint Exupery, Aerospace Valley, la plateforme AutOCampus de neOCampus menée notamment par l’Université Toulouse III Paul Sabatier, l’ANITI, les robots Soben, on se rend compte que la collaboration permet de soulever des montagnes technologiques ou d’aborder des questions sociétales ou éthiques soulevées par les technologies avancées.
Comme l’explique Denis Descheemaeker, le CEO de l’IRT Saint Exupéry, « s’il y a un nombre à retenir, c’est 10 ! » C’est l’effet de levier que peuvent obtenir les entreprises lorsqu’elles mettent en commun un projet. « Seules, elles ne pourraient pas mener les recherches que l’on travaille ici. Elles n’auraient tout simplement pas le financement ni les compétences pour le faire. En le faisant ensemble au sein de l’IRT Saint Exupéry, elles peuvent bénéficier des financements des autres entreprises et de l’État au travers de l’IRT. » L’IRT apporte en effet un euro de financement pour chaque euro apporté par les entreprises. Cela permet de faire travailler des équipes mixtes avec des personnes de l’IRT et des employés détachés des entreprises sur des projets de haute technologie comme les procédés de fabrication, les revêtements de surface, la fabrication additive avec du métal, l’électricité, ou encore l’hydrophobie ou le givre. Les travaux s’attachent à plusieurs objectifs liés de l’aéronautique comme l’allègement des matériaux utilisés ou la résistance des appareils aux tensions importantes qui seront demain courantes sur les avions électriques.
Même son de cloche chez Aerospace Valley. L’écosystème permet aux entreprises et notamment aux plus petites de lever des fonds sur des projets français, régionaux ou européens d’ampleur. « Surtout finalement les PME ou ETI, qui sont ceux qui ont le plus besoin du pôle » explique Bruno Darboux, son président. Le cumul des coûts des projets s’élève à 1,7 milliards d’euros, dont 712 millions d’euros d’aides publiques !
Les domaines d’application des projets montés avec l’aide d’Aerospace Valley ne sont d’ailleurs pas uniquement dans le domaine de l’aéronautique. Les mobilités en général sont concernées et notamment l’automobile qui utilise les mêmes technologies. L’agriculture, l’énergie, la défense sont des domaines également régulièrement concernés par les avancées de l’aéronautique.
Le pôle intervient dans toutes les étapes de développement d’une innovation technologique. « L’étape d’industrialisation est une des étapes les plus difficiles à franchir » poursuit M. Darboux.
autOCampus s’attache à faire travailler ensemble sur des projets communs 19 laboratoires de recherche notamment sur la ville intelligente et donc la mobilité. Le point commun avec l’ANITI, un des 4 instituts de recherche créés en 2019 sur l’intelligence artificielle suite au rapport de Cédric Villani ? La mixité des compétences associées aux différents projets. En effet, tant au niveau d’ANITI que d’autOCampus, des spécialistes en sciences sociales par exemple sont intégrés aux équipes ou en mathématiques, neurosciences ou encore des ingénieurs. Côté autOCampus, « le triptyque recherche, formation, et collaboration avec les industriels permet de traiter les questions dans leur ensemble, en mettant l’utilisateur final au centre », d’après Marie-Pierre Gleizes, professeure à l’IRIT – FSI – Université Toulouse III Paul Sabatier, et co-responsable notamment du programme Défi MIDOC.
La philosophie de l’ANITI est complètement appliquée aux systèmes critiques (c’est-à-dire avec un enjeu fort de sécurité par exemple). « On ne peut pas se permettre de ne pas comprendre comment une IA prend des décisions concernant un système critique ! », explique Nicolas Viallet, son COO, d’où des travaux importants sur l’explicabilité. « Il ne faut pas fournir aux machines que des données mais aussi des connaissances, sinon elles interprètent mal les données », ajoute Nicolas Asher, directeur scientifique de l’ANITI. Une réflexion qu’on pourrait d’ailleurs étendre aux humains et à la pseudo-information qui s’étale sur les réseaux sociaux…
Ainsi l’Institut croit beaucoup dans l’IA hybride, mêlant l’IA symbolique (utilisant des modèles, algorithmes, arbres de décision explicables) et le machine learning (utilisant des réseaux neuronaux, du deep learning).
Même concernant les robots Twinswheel développés par la société Soben, la notion d’acceptabilité a dû être longuement travaillée. En effet, « deux ans ont été nécessaires pour aboutir à un design générant de l’empathie par les personnes croisées par le robot dans l’espace public », d’où l’aspect cartoon du robot avec ses ‘yeux’ expressifs. Avant ce design, le robot était régulièrement vandalisé, aujourd’hui il est très bien accepté. Ce robot est en réalité un condensé de technologie. Lidar 360°, algorithmes, localisation GPS, réseau 5G et bientôt cameras sont utilisés pour permettre deux modes de fonctionnement : le mode suiveur et le mode autonome, pour ses trois tailles. Déployé d’ores et déjà dans quelques endroits en France ou en Suisse, il permet à des personnes d’éviter de porter leur matériel de nettoyage, leurs bagages, les courses, etc.
La course à la décarbonation dans l’aéronautique
Le temps sera long avant que l’usage de l’avion de ligne tel que nous le connaissons aujourd’hui soit complètement décarboné ! Les contraintes de poids, de tension électrique, ou celles liées à l’énergie choisie demandent de franchir des ruptures technologiques pour atteindre l’objectif.
Airbus s’est engagé à avoir un avion à hydrogène pour 2035, « mais ce seront des avions ‘single aisle’ [courts et moyens courriers], pas des ‘long range’ [longs courriers] ». Le constructeur européen travaille sur toutes les formes possibles d’aéronefs avec différents types de moteur possibles.
« Il est clair par contre que ce sera de l’hydrogène liquide », affirme Ludovic de Rigaud, responsable des affaires publiques d’Airbus. Plus concentré, il permet en effet de déployer plus d’énergie pour aller plus loin.
Comme le temps presse face au dérèglement climatique, Airbus livre déjà la plupart de ses modèles en version ‘Neo’ qui permet une réduction de 25 % de la consommation en carburant. « De gros efforts sont faits sur la réduction du bruit également, par exemple en travaillant sur les bruits générés par les trains d’atterrissage » ajoute-t-il. Le carburant d’aviation durable est aussi une possibilité à court terme. « Aujourd’hui on peut déjà mettre 50 % de SAF [Sustainable Aviation Fuel] dans la plupart des avions », mais le problème des concurrences d’usage se pose en fonction de leur origine (biomasse, electrofuels…)
La startup Ascendance Flight Technologies elle, parie sur plus petit et plus court terme. Thibault Baldivia, son CCO, explique que l’objectif de l’entreprise est de produire en 2025 un avion à décollage et atterrissage vertical (vtol) sur un ‘H’ d’hélicoptère, pouvant transporter 5 passagers, y compris le pilote, sur 400 km. « Le marché ciblé est celui de l’hélicoptère actuel » avance-t-il. Cet aéronef promet une réduction jusqu’à 80% des émissions de C02 par rapport à l’hélicoptère et de 50% par rapport à l’aviation légère actuelle. Le bruit n’est pas en reste car l’objectif est d’être quatre fois moins bruyant qu’un hélicoptère avec 20 décibels supprimés.
La technologie hybride rechargeable développée par Ascendance Flight Technologies, permet d’aller plus vite dans son déploiement. Elle a également été privilégiée par rapport au tout électrique pour limiter le temps de recharge des batteries dans les aérodromes à 15-20 minutes maximum.
A plus long terme, la vision est de développer une technologie hybride adaptable sur les avions longs courriers, qui comme on l’a vu avec Airbus, n’auront pas forcément de solution décarbonée à horizon 2035.
Pour Universal Hydrogen, entreprise franco-américaine créée par des anciens cadres de haut rang d’Airbus, et aussi installée à Toulouse depuis 2021, c’est l’hydrogène qui permettra de décarboner l’aviation, et même à court terme avec une commercialisation ciblée en 2025 sur l’aviation régionale 50 places.
La société travaille sur deux aspects, « en mode Nespresso » comme l’explique Pierre Farjounel, son Directeur Général Europe.
Tout d’abord sur « la capsule ». Le principe est le même que pour le café : des capsules d’hydrogène qui pourraient être chargées et branchées sur la « machine » à l’aéroport de départ, utilisées en vol, puis débranchées, déchargées et remplacées sur l’aéroport d’arrivée, permettant ainsi de faire des arrêts et des rotations rapides, en utilisant les infrastructures actuelles des aérodromes et sans besoin d’y installer des stations à hydrogène.
Deux pistes sont travaillées en parallèle, hydrogène gazeux d’un côté, hydrogène liquide de l’autre. L’intérêt de l’hydrogène liquide par rapport au gazeux est qu’il permet une plus grande autonomie : « 40 à 50% de plus que le gazeux, » affirme M. Farjounel. Mais à chacun ses contraintes, le liquide est aujourd’hui plus difficile à stocker sur plusieurs jours, nécessitant un stockage à très basse température ; le gazeux exige une pression de plus 700 bars pour Universal Hydrogen.
Une innovation majeure de rupture, l’absence de batterie tampon, a fait l’objet d’un brevet déposé par la startup. Les défis technologiques relevés sont donc majeurs sur cette capsule qui viendra en plus se placer dans un module très connecté pour permettre par exemple au pilote de surveiller l’utilisation du gaz.
Côté machine maintenant, Universal Hydrogen concentre ses recherches sur le rétrofit de l’ATR, « qui sont agnostiques de l’état du dihydrogène contenue dans les capsules ». Les capsules seront placées à l’arrière de l’appareil, faisant perdre une dizaine de places à l’avion.
Avec cette machine et ses capsules, le marché visé est l’aviation régionale avec 50 places à bord et 500 miles nautiques, soit 1 000 kilomètres. D’après M. Farjounel « toutes les briques technologiques sont prêtes. Nous avons prévu un vol d’essai avant la fin de l’année 2022 aux USA, ainsi que deux autres démonstrateurs dédiés à la chaîne logistique. » Finalement l’écueil principal pour le déploiement à court terme, selon M. Farjounel, est le prix de l’hydrogène vert en Europe notamment. Indexé sur le coût de l’électricité verte, il est aujourd’hui trop élevé. Mais « en 2025, on espère un rapprochement des coûts hydrogène vert – kérosène. »
En 2032, la jeune pousse pense que la technologie sera mature pour les courts et moyens courriers. « Mais on ne fabriquera pas les avions nous-mêmes, les constructeurs le feront. Notre modèle est de fournir l’hydrogène dans nos capsules avec toute la sécurité et la logistique associées, pas de construire des avions, » éclaire le Directeur Général Europe.
L’intérêt est que cette technologie, une fois développée pour l’avion pourra s’étendre aux autres modes de transport, qu’ils soient terrestres ou maritimes.
Si les défis technologiques sont grands, les moyens mis en œuvre sont et seront à l’avenir importants. Ascendance Flight Technologies a levé récemment 10 millions d’euros alors que le projet au global est chiffré à plusieurs centaines de millions d’euros. Universal Hydrogen en est à sa deuxième levée pour un total de 85 millions d’euros.
En résumé, si les promesses sont tenues par ces différents acteurs, l’offre de l’aviation pourrait être radicalement modifiée. Des aéronefs de 4 à 50 places à usage décarboné dès 2025 pour des distances allant jusqu’à 1000 km, des courts et moyens courrier à hydrogène en 2035… Comme se questionne très justement M. Darboux, président d’Aerospace Valley, « la physionomie des lignes aériennes offertes aux passagers va-t-elle changer avec des avions, certes petits, mais plus compétitifs et décarbonés ? De nouvelles lignes commerciales vont-elles s’ouvrir ? Quel impact sur les trajets longue distance et donc sur l’avenir des avions longs courriers ? ». On pourrait se demander également quels seront les impacts sur les transports terrestres comme le train ou le futur Hyperloop…
Parmi les entreprises visitées par les membres de Futura-Mobility, figure Syntony GNSS.
Seule entreprise dans le monde à proposer un GPS souterrain (application pour les tunnels routiers, métros, et mines), l’entreprise a déployé avec sa technologie le réseau souterrain du métro de Stockholm dès 2017, et s’est lancé depuis ce premier succès dans la commercialisation à grande échelle (rail, routes, mines) au niveau mondial.
Ce système, nommé SubWAVE, utilise des antennes de type câbles rayonnants, et adopte une topologie de déploiement identique aux réseaux télécom (PMR et cellulaire), de sorte que les réseaux d’antennes distribués (communément nommés DAS : Distributed Antenna System) déjà installés pour les télécoms dans l’ensemble des tunnels sont réutilisés pour le GPS, entrainant un déploiement aisé et rapide. SubWAVE offre différents niveaux de précision, depuis un niveau standard équivalent à celui offert par le GPS basique en extérieur, jusqu’à une précision métrique, destinée aux applications professionnelles. Pour demain, l’entreprise travaille notamment avec la 5GAA (5G Automotive Association), organisation de l’industrie automobile autour des véhicules autonomes, pour atteindre rapidement une précision à moins de 30 cm en mode indoor-RTK et intégrer SubWAVE dans les standards 3GPP devant être publiés par cet organisme.
En dehors de ses activités de localisation souterraine, SYNTONY propose également des traceurs GPS ultra basse consommation qui permettent de localiser tout type de mobile (voitures, cycles, trottinettes, wagon, container, etc.) durant de nombreuses années sans recharge de batterie. L’exemple typique correspond à un cas d’usage pour lequel la position du mobile est relevée toutes les 4 heures, avec une taille de traceur de 6x7cm et une centaine de grammes : avec la technologie SYNTONY, la durée de vie est estimée à 10 ans, alors que les meilleurs produits concurrents ne dépassent pas 1 an.
Au-delà des activités GPS souterrain et traceurs basse consommation, l’entreprise se positionne sur le domaine du positionnement précis en extérieur via l’accord de collaboration signé avec Xona Space Systems (San Mateo, California). Xona est la première entreprise au monde dont l’objet est de concevoir, lancer et opérer une constellation de satellites GNSS LEO basse orbite. Au titre de cet accord, SYNTONY a, par exemple, développé le futur récepteur sol fonctionnant avec la constellation XONA, récepteur qui offrira des précisions centimétriques partout sur la planète.
Ainsi, avec la diversité de technologie offerte par Syntony, de nombreuses applications « mobilités » sont couvertes : positionnement de matériel ou installations sensibles, GPS piéton souterrain, localisation d’appel d’urgence, positionnement de véhicules autonomes, positionnement des aéronefs, etc.
A suivre de près donc…