🔎 Un nouveau regard sur la mobilité des passagers

Un nouveau regard sur la mobilité des passagers : Futura-Mobility a développé avec des étudiants de l’École Urbaine de Sciences Po Paris des indicateurs innovants pour comparer les modes de transport.

Le projet a été mené pendant l’année académique 2024-2024 par quatre étudiants, à parité homme-femme, d’horizon et nationalités différentes et a été tutoré par Adrien Sartre, conseiller technique à la ville de Paris en charge des politiques piétons et vélos et depuis lors, enseignant à Sciences Po. L’étude avait pour objectif de développer de nouveaux indicateurs pour comparer les modes de transport, répondant aux besoins des passagers et des décideurs.

Le besoin de nouveaux indicateurs

L’étude a mis en évidence le manque d’indicateurs complets pour comparer les modes de transport. En effet, les indicateurs existants disponibles dans les bonnes applications mobiles, tels que le prix, la durée du trajet et les émissions de CO2, ne permettent pas de refléter tous les challenges et défis auxquels la mobilité doit faire face.

Futura-Mobility, un think-tank réunissant des acteurs majeurs du secteur de la mobilité, a donc souhaité développer d’autres indicateurs objectifs et pertinents – en complément de ceux déjà existants – pour éclairer les choix à la fois des passagers et des décideurs.

« Le rêve ultime ? Développer le ‘Yuka’ des transports », explique Jean-Jacques Thomas, président du think-tank et coordinateur IA pour SNCF Voyageurs TER, par analogie avec l’application qui permet d’éclairer les choix des consommateurs dans le domaine alimentaire.

Une approche centrée sur les personnes pour développer des indicateurs communs

Aujourd’hui, il y a un manque surprenant d’indicateurs permettant une comparaison objective et complète des différents modes de transport. Chaque secteur utilise ses propres métriques, rendant difficile une évaluation globale des avantages et des inconvénients de chaque mode de transport. Ce manque d’indicateurs transversaux limite la capacité des usagers à faire des choix éclairés et entrave la prise de décision des responsables politiques. Il est donc essentiel de développer de nouveaux outils d’analyse pour mieux appréhender les enjeux de la mobilité.

L’étude menée par Futura-Mobility avec l’École Urbaine de Sciences Po Paris propose une approche novatrice centrée sur l’usager. Au lieu de se concentrer uniquement sur les coûts, les temps de trajet et les émissions de gaz à effet de serre, l’étude a cherché à prendre en compte les autres priorités des passagers, et aussi celles des décideurs publics.

L’objectif était de créer des indicateurs qui répondent aux préoccupations actuelles en matière de mobilité, tels que la durabilité, l’accessibilité, le confort et la digitalisation. Ces indicateurs, une fois intégrés à des applications de mobilité servicielle (MaaS – Mobility as a Service en anglais), pourraient aider les usagers à faire des choix de transport plus éclairés.

Méthodologie : partir des mégatendances et des défis pour identifier les bons indicateurs

L’étude s’est déroulée en plusieurs étapes, impliquant une revue de littérature approfondie, la création de « personas » pour représenter différents types d’usagers, et des études de terrain dans quatre villes européennes : Amsterdam aux Pays-Bas, Bratislava en Slovaquie, Budapest en Hongrie et Castellón de la Plana en Espagne.

👉 Identification des mégatendances : l’étude a d’abord identifié les grandes tendances qui influencent la mobilité aujourd’hui, comme le vieillissement de la population, l’urbanisation, la digitalisation, et la sensibilisation croissante à l’environnement.

👉 Analyse des défis : les défis auxquels la mobilité est confrontée ont été analysés, notamment l’accessibilité, l’atténuation du changement climatique, la pollution atmosphérique et la perte de biodiversité.

Ensuite, à l’aide des « personas » identifiés par les étudiants comme des voyageurs–type et le cadre des enjeux étant posé, la phase de définition des indicateurs a pu être menée à bien. Six nouveaux indicateurs ont été développés par les étudiants :

👉 Le temps utile (à comparer / coupler avec le temps porte à porte)

Le temps “utile” est le temps dans les transports qui peut être utilisé pour des activités productives. Il est à comparer au temps porte à porte pour réaliser le trajet.

Le temps « utile », donc potentiellement productif, est le temps de trajet pendant lequel :

– En journée, entre 7h à 22h : le sous-indicateur dédié à l’utilisation possible d’un ordinateur portable dans la journée est au moins égal à 1, c’est-à-dire qu’il y a au moins une tablette disponible, et si possible une connectivité à Internet (le sous-indicateur prend alors la valeur 2) et la mise à disposition d’une prise de courant (de valeur 3 si les deux autres conditions préalables sont réunies).

– La nuit entre 22h et 7h, le passager à la possibilité de s’allonger.

👉 La ponctualité

Calculée sur une origine-destination donnée et avec un mode de transport donné, la ponctualité est la part des trajets « en retard » par rapport au nombre total de trajets.

La notion de « retard » est définie comme suit pour tenir compte de la sensibilité différente des passagers entre un trajet long et un trajet court. Le retard est qualifié quand la durée du trajet est supérieure à 1,5 fois la racine carrée de la longueur attendue du trajet. Le choix a été fait de ne pas en faire une fonction linéaire (plus le trajet est long, plus le « retard » doit être long pour être perçu) pour permettre de « lisser » cette perception.

Ainsi, avec cette définition, un trajet de 20 minutes est qualifié « d’en retard » s’il dépasse de 6 à 7 minutes le temps de trajet, et un trajet de 3h est « en retard » s’il dépasse le temps de trajet d’un peu plus d’une vingtaine de minutes (et non 58 minutes si on avait pris une fonction linéaire).

👉 L’espace offert par passager

L’espace offert est l’espace, exprimé en m2, rapporté à chaque passager dans un mode de transport donné. Il est calculé en prenant l’espace total à l’intérieur du mode de transport auquel on retranche l’espace pris par les installations et le mobilier, ramené au nombre de passagers maximum pour le mode.

👉 Le taux d’utilisation par les personnes âgées

Les personnes « âgées » sont considérées comme celles ayant 65 ans et plus.

Le taux d’utilisation est la déviation à la moyenne d’utilisation du mode de transport donné. Donc si 100 est la base de référence pour la population d’ensemble, le taux sera la différence de points entre l’usage (en passagers.km) de ce mode par les personnes âgées et l’ensemble de la population. C’est donc un sur-usage ou un sous-usage du moyen de transport par cette catégorie de passagers.

👉 Le potentiel de pic de chaleur

Le potentiel de pic de chaleur d’un mode de transport est le pourcentage de trajets où une température difficilement supportable a été atteinte dans ce mode de transport par rapport au nombre total de trajets réalisés. La température maximum supportable est définie par un humidex (chaleur perçue, température combinée au taux d’humidité) supérieur ou égal à 30°C.

👉 L’utilisation des terres

L’utilisation des terres est exprimée en m2 pour un trajet donné utilisant un mode de transport donné. L’indicateur est calculé en divisant les km2 occupés au sol par l’infrastructure par le nombre de passagers.km utilisant cette infrastructure, puis en multipliant par la longueur du trajet donné.

Les indicateurs sont le reflet des challenges et défis auxquels doit répondre les mobilités.

Des indicateurs pertinents, mais des données limitées

Les études de terrain ont confirmé la pertinence des indicateurs proposés. Des entretiens avec des passagers et des professionnels de la mobilité ont permis d’évaluer la pertinence des indicateurs et d’identifier leurs limites. Ils ont révélé que les indicateurs liés au temps, comme la ponctualité, le temps porte-à-porte et le temps utile, étaient jugés particulièrement pertinents. Les indicateurs de confort (potentiel de pic de chaleur, espace offert) et l’utilisation des terres nécessitent une explication mais sont perçus comme plutôt pertinents pour plus de 50% des sondés, alors que le taux d’utilisation par les personnes âgées est jugé moins pertinent pour plus de 50% des sondés.

Cependant, l’étude a également mis en lumière la difficulté d’accéder à des données fiables et complètes pour calculer certains indicateurs. Le manque de données ouvertes et la complexité de la collecte d’informations sur le terrain ont limité la portée de l’analyse.

Certains indicateurs ont néanmoins pu être approchés sur certains trajets par les étudiants, mettant en avant l’intérêt de la comparabilité entre modes de transport :

En conclusion, l’étude a démontré l’importance de développer de nouveaux indicateurs de mobilité pour mieux comprendre les besoins des passagers et éclairer les décisions politiques sur les enjeux des mobilités. Les indicateurs proposés constituent un premier pas vers une évaluation plus complète et objective des modes de transport, qui mériteraient d’être repris, affinés et complétés dans des travaux de recherche sur les mobilités.