💡 Le transport maritime, pour un horizon plus durable
💡 Le transport maritime, pour un horizon plus durable
Le voyage exploratoire de Futura-Mobility à Copenhague, en octobre 2024, a été l’occasion pour les participants d’explorer de nouveau le monde du transport maritime, dont la décarbonation représente un enjeu majeur pour l’atteinte des objectifs climatiques européens et internationaux.
Chaque année, 100 000 navires alimentés par 300 millions de tonnes de carburant transportent 11 milliards de tonnes de marchandises à travers le monde. Le transport maritime est donc responsable d’environ 1 076 millions de tonnes d’émissions de CO₂ par an, soit environ 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Étant donné que le commerce maritime mondial devrait croître de 2,4 % par an jusqu’en 2029, la pression s’est accrue pour que le secteur prenne des mesures plus rapides et assume une plus grande responsabilité en ce qui concerne l’impact de ses activités sur l’environnement. Cependant, l’un des obstacles à la décarbonisation est sa dépendance à l’égard du fioul à forte teneur en carbone, associée à la longue durée de vie des navires (la durée de vie moyenne d’un navire est d’environ 25 ans).
En 2023, l’Organisation maritime internationale (OMI), l’organisme mondial de réglementation du transport maritime, a adopté un plan révisé (par rapport à sa stratégie initiale de 2018) pour parvenir à des émissions zéros nettes de gaz à effet de serre (GES) nulles dans le secteur du transport maritime mondial « à l’horizon 2050 ».
Maersk – stratégie de décarbonation
Basée à Copenhague, A.P. Moller-Maersk (Maersk), la deuxième plus grande compagnie maritime au monde (après MSC), a adopté une stratégie de décarbonation ambitieuse afin de réduire ses émissions de type 1, 2 et 3*.
« « Depuis 2009, le développement durable est une stratégie et, progressivement, notre travail et nos ambitions se sont accrus, l’ESG étant désormais au cœur de nos activités », explique Lene Bjørn Serpa, directrice Corporate Sustainability & ESG de Maersk. « Avec des objectifs à court et à long terme, nous avons 14 catégories ESG allant de l’approvisionnement durable et de l’éthique des données, au capital humain et aux droits de l’homme».
En 2018, le groupe danois – dont la flotte de plus de 700 navires transporte un conteneur sur cinq en mer – a été la première compagnie maritime à s’engager à atteindre zéro-émissions nettes de gaz à effet de serre sur ses activités maritimes d’ici à 2050. Stimulé par les progrès de la technologie et des solutions, cet objectif a depuis été redéfini pour 2040 et étendu à l’ensemble de sa chaîne de valeur. Ses investissements et son plan d’action pour atteindre cet objectif sont largement centrés sur les activités en mer (les opérations dans les terminaux ne représentent que 1 % des émissions de Maersk).
Pour soutenir sa stratégie « zéro émissions nettes » et rester à la pointe des innovations en matière de transition énergétique, Maersk a créé en 2017 Maersk Growth, sa branche de capital-risque qui investit notamment dans des startups pour avoir accès aux technologies vertes émergentes. En plus d’un soutien financier – les tailles de tickets/montants investis vont de 500 k€ à 5M€ – ces startups bénéficient également d’opportunités pour construire des partenariats, tester leurs solutions, et potentiellement compter Maersk comme premier client. « Notre objectif est d’apporter une valeur ajoutée à Maersk et aux start-ups », déclarent Elizabeth Gunner Schermer, responsable de Maersk Growth, et Max Wiest, associé en charge des investissements.

Aujourd’hui, Maersk Growth possède un portefeuille de plus de 40 start-ups offrant des solutions pour décarboner la supply chain – camions électriques avec charge rapide dans les entrepôts, livraison électrique de colis dans les zones urbaines, emballage circulaire et plateformes de recommerce, comptabilité carbone – et des carburants à faible teneur en carbone – biodiesel, méthanol, lignine et ammoniac. Plus récemment, elle a investi dans le développeur suédois de batteries sodium-ion Altris.
Carburants alternatifs, rétrofit et vitesse, des pistes pour la transition
Se concentrer sur les carburants verts est essentiel pour réduire les émissions de Maersk et encourager les autres compagnies à faire de même. En effet, le groupe s’est engagé à ne commander que des navires neufs pouvant fonctionner avec des carburants verts, à savoir le méthanol vert (e-méthanol ou bio-méthanol). Son premier porte-conteneurs bicarburant au méthanol vert a été lancé en 2023. « Avec ce navire, nous avons franchi une étape importante dans notre parcours vers des émissions nettes nulles », a déclaré Vincent Clerc, PDG de Maersk, lors de la cérémonie d’inauguration. « Nous espérons montrer la voie, non seulement pour Maersk, mais aussi pour l’ensemble du secteur de la logistique ». Sept grands navires bi-carburants au méthanol vert ont rejoint la flotte de Maersk en 2024 et 20 nouveaux navires supplémentaires ont été commandés pour être livrés entre 2028 et 2030.
Outre les nouvelles constructions, le retrofit des navires existants, compte tenu de leur coût élevé et de leur durée de vie moyenne de 25 à 30 ans, offre une autre voie pour réduire les émissions. C’est la raison pour laquelle Maersk établit des partenariats stratégiques avec des entreprises telles que Hyundai Mipo Dockyard (HMD), un constructeur naval sud-coréen spécialisé dans la conception, la construction et la réparation de navires, et l’entreprise allemande MAN Energy Solutions, dont les activités comprennent la modernisation des navires pour leur permettre de fonctionner avec les deux types de carburants. Plus récemment, le mois de novembre 2024 a marqué l’achèvement de l’adaptation du porte-conteneurs Maersk Halifax à la bi-carburation.
Convaincu que le transport maritime sera alimenté par plusieurs carburants différents à l’avenir, Maersk suit une stratégie de portefeuille diversifiée et agnostique en matière de carburants. Elle a choisi le méthanol vert comme premier choix car « il est disponible aujourd’hui », explique Mme Bjørn Serpa. « Désormais, le défi consiste à s’assurer que nous disposons des approvisionnements nécessaires ». C’est pourquoi l’entreprise investit dans des producteurs de méthanol vert en Europe et dans le monde. Parallèlement, elle s’intéresse de près à d’autres carburants, comme l’ammoniac, par exemple, qui ne produit pas de carbone. « Toutefois, compte tenu des problèmes de sécurité et d’environnement qu’il pose [toxicité, risques de combustion et d’inflammabilité dans les espaces confinés], de nombreux essais sont encore nécessaires », souligne Mme Bjørn Serpa. Le nucléaire est une autre voie énergétique explorée. En 2024, Maersk a participé à une étude conjointe de Lloyd’s Register et de Core Power pour évaluer la viabilité du transport maritime de conteneurs à l’aide de l’énergie nucléaire.
Pour réduire la consommation d’énergie et donc les émissions de gaz à effet de serre, une autre voie consiste à réduire la vitesse des navires (slow steaming). Si Maersk considère qu’il s’agit d’une mesure opérationnelle utile pour réduire les émissions et diminuer les coûts de carburant (et c’est mieux pour les baleines aussi !), cette stratégie n’est pas simple.
L’un des défis consiste à convaincre les transporteurs d’accepter des temps de transit plus longs, ce qui implique d’organiser leurs chaînes d’approvisionnement en conséquence. De plus, l’instabilité géopolitique est une préoccupation : la crise de la mer Rouge, par exemple, oblige actuellement les navires à contourner le cap de Bonne-Espérance, une route plus longue qui entraîne une plus grande consommation de carburant et des retards.
Maersk – chiffres clés*
Plus de 100 000 employés
Plus de 700 porte-conteneurs déployés
65 terminaux dans 36 pays
130 pays
100 000+ clients
Une capacité d’entreposage de plus de 7 millions de mètres carrés dans le monde entier, sur plus de 450 sites
2040 Net Zero : neutralité climatique pour l’ensemble de ses activités
*source : maersk.com
Pour un transport maritime zéro carbone
Également basé à Copenhague, le Fonden Mærsk Mc-Kinney Møller Center for Zero Carbon Shipping (MMMCZCS), fondé en 2020, s’emploie à soutenir la transition de l’ensemble de la chaîne de valeur maritime vers un avenir sans émissions. Avec 60 projets en cours aujourd’hui, ce centre de R&D indépendant à but non lucratif se concentre sur trois catégories de solutions : les carburants alternatifs et les infrastructures, le marché des navires zéro carbone et la réglementation.
« Tout ce que nous faisons est publié et accessible à tous sur notre site web », explique Kiki Larsen, responsable académique et du financement du MMMCZCS. « Nous utilisons ensuite nos connaissances pour plaider en faveur de l’accélération de la transition écologique du transport maritime. Notre devise est l’impact ».
À propos du Fonden Mærsk Mc-Kinney Møller Center for Zero Carbon Shipping
150 employés, 29 nationalités, ratio hommes-femmes à 50-50. Une plateforme de collaboration. Sans but lucratif. Agnostic en termes de technologies. 23 partenaires stratégiques fournissent des connaissances, des données et du personnel. Quatre partenaires académiques : Université Norvégienne des Sciences et Technologies (NTNU), Université du Michigan, Université maritime mondiale (UN), Maritime Research Alliance

En ce qui concerne les carburants alternatifs, le MMMCZCS considère que l’e-diesel est aujourd’hui le plus mature. L’ammoniac, bien que prometteur car sans carbone, pose un problème de sécurité (toxicité, complexité de la manipulation et du stockage). Le méthanol vert est assez mûr aussi, avec des navires hybrides en service. Le biodiesel vert nécessite des ajustements techniques mineurs, mais il y a des problèmes de disponibilité et de prix.
La carte de maturité de la filière des carburants du MMMCZCS (voir ci-dessous) offre un aperçu interactif de l’état de maturité actuel (2024) de la chaîne de valeur pour les carburants durables qui, selon le MMMCZCS, seront les plus importants pour la décarbonation du secteur maritime d’ici à 2050.

L’accès aux carburants durables repose sur le développement de toutes les parties de la chaîne de valeur. « Les ports doivent être en mesure de gérer les carburants alternatifs », souligne Serge Dal Farra, responsable du projet de décarbonation du transport maritime chez TotalEnergies, détaché auprès de la MMMCZCS. « Les petits ports ne seront pas en mesure de les gérer tous, car cela impliquera une grande complexité, sans parler de l’investissement ».
En résumé, de nouveaux carburants impliquent de nouveaux systèmes, ce qui explique pourquoi la décarbonation du transport maritime s’avère extrêmement coûteuse. Pour faire la lumière sur cette question, le MMMCZCS propose un outil de calcul en ligne du coût des carburants qui permet de calculer le coût de production ascendant des carburants durables et de les comparer aux carburants fossiles.
Corridors verts et tarification du carbone, comment faire adhérer les clients ?
La MMMCZCS et Maersk soutiennent pleinement le concept de couloirs de navigation verte, lancé en 2021 lors de la COP26. Les États signataires de la Déclaration de Clydebank ayant déclaré leur ambition et leur intention de soutenir la création de ces routes de navigation sans émissions entre deux ports pour 2026. Une carte des projets a ensuite été annoncée en 2023 et les développements peuvent être suivis sur le Zero-Emission Shipping Mission (ZESM) Green Shipping Corridor Tracker, une carte interactive montrant les initiatives de couloirs de navigation verte annoncées à ce jour.

La clé de ces corridors verts est la collaboration tout au long de la chaîne de valeur, c’est-à-dire depuis les ports travaillant avec les producteurs de carburant, aux compagnies maritimes travaillant avec les propriétaires de cargaison, et ainsi de suite. Toutefois, les principaux obstacles à l’adoption de ces corridors par les armateurs restent l’écart de coût du carburant et la nécessité d’une action coordonnée entre les parties prenantes. En effet, « aujourd’hui, seuls 2 % des marchandises sont transportées sur des lignes vertes, parce que les clients ont du mal à payer davantage », souligne Mme Bjørn Serpa de Maersk. « À l’heure actuelle, les carburants alternatifs sont trois à quatre fois plus chers. Cela signifie que nous devons demander aux clients de payer un supplément pour cela, ce que nombre d’entre eux refusent. Alors oui, c’est un grand défi ».
« Les armateurs savent qu’ils vont devoir décarboner leurs navires. Si les corridors verts sont un peu un pari aujourd’hui, ils pourraient leur donner un avantage concurrentiel à long terme », suggère M. Dal Farra. En effet, dans les années à venir, l’incapacité à décarboner leurs navires pourrait entraîner des coûts plus élevés, des sanctions réglementaires et une perte de compétitivité, car les marchés accordent de plus en plus d’importance à la durabilité.
Entre-temps, la question demeure : comment supporter ou surmonter les coûts supplémentaires associés aux carburants alternatifs ? L’écart de coût entre les carburants à émissions de gaz à effet de serre zéro ou quasi zéro (ZNZ) (tels que le méthanol vert, l’ammoniac et l’hydrogène) et les carburants marins conventionnels décourage manifestement l’adoption de sources d’énergie vertes. C’est la raison pour laquelle la tarification du carbone (imposition d’une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et/ou incitation à réduire les émissions) est un sujet brûlant dans le monde du transport maritime. D’autant plus que l’OMI a révisé son objectif de zéro émission nette pour 2050.
En effet, le secteur est sur le point d’être réglementé par une taxe obligatoire sur les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial dans un cadre en cours d’élaboration par l’OMI. L’idée est que cette taxe sur les GES incitera les entreprises à moderniser leurs flottes, à les exploiter plus efficacement et à rechercher des carburants et des technologies plus propres. « Maersk mène une action de plaidoyer massive et soutient l’appel en faveur d’une tarification du carbone », explique Mme Bjørn Serpa. « En principe, les États membres de l’OMI peuvent fixer un prix pour l’utilisation de carburants fossiles en tant que mesure fondée sur le marché pour combler l’écart de prix avec les carburants durables. Ces discussions sont en cours et une décision finale est attendue pour 2025. »
Plus récemment, en janvier 2025, la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) s’est jointe à 47 gouvernements dans une soumission commune au dernier cycle de négociations.

Tous les regards se tournent vers le transport maritime
Qu’est-ce que la délégation de Futura-Mobility a appris de cette visite ? Tout d’abord, il est clair que la pression est forte sur le transport maritime pour qu’il se décarbone. Il existe trois catégories de solutions pour atteindre cet objectif, à savoir les carburants alternatifs et les infrastructures, le marché des navires à zéro carbone et la réglementation.
« Pour atteindre l’objectif de 2050 fixé par l’OMI, nous devons recourir davantage à des solutions efficaces sur le plan énergétique et passer par des carburants alternatifs », explique Mme Larsen. « Les solutions techniques sont mûres. Beaucoup de choses peuvent déjà être faites. Plus nous économiserons l’énergie utilisée, moins nous aurons besoin de carburants verts ».
Les progrès vers une plus grande durabilité sont en cours mais ils sont lents. « Une réglementation mondiale efficace est nécessaire pour uniformiser les règles du jeu et encourager un transport maritime sans carbone en créant de la stabilité pour les investisseurs et les armateurs », insiste Mme Larsen.
« Entre 2024 et 2040, le principal défi sera l’écart de prix entre les carburants traditionnels et les carburants alternatifs. Nous avons besoin de règles du jeu équitables de la part du régulateur », résume Mme Bjørn Serpa.
Photo de couverture : BreakDown sur Pixabay
*Selon le GHG Protocol, champ d’application 1 : émissions de GES provenant directement des activités détenues ou contrôlées par l’entreprise déclarante. Champ d’application 2 : émissions indirectes de GES provenant de la production d’électricité achetée ou acquise, de vapeur, de chauffage ou de refroidissement consommés par l’entreprise déclarante. Champ d’application 3 : toutes les émissions indirectes (non incluses dans le champ d’application 2) qui se produisent dans la chaîne de valeur de l’entreprise déclarante, y compris les émissions en amont et en aval.