Les nouvelles routes de la soie
Les nouvelles routes de la soie
Par Joëlle Touré, déléguée générale de Futura-Mobility
La salle était comble ce jeudi 10 janvier 2019 à l’UNESCO pour la journée intitulée « Les nouvelles routes de la soie »… qui auraient due s’appeler, d’après les recommandations de traduction clairement stipulées dans le dossier de presse… « la Ceinture économique de la route de la soie et la Route de la Soie maritime du XXIe siècle » !
Plusieurs intervenants ont participé, chinois et français, à décrypter les enjeux et les ambitions de ce projet pharaonique. Le décalage culturel était frappant dans les discours des intervenants entre les chinois et les européens. Les chinois se sont montrés de convaincants défenseurs du projet, alignés sur le même discours de « développement économique », « facteur de paix, de stabilité et d’échanges culturels », tandis que les européens se posaient des questions sur le nouvel ordre mondial engendré par cette initiative et alertaient sur le piège de l’endettement pour les pays traversés ou le peu d’attention porté à l’environnement.
Difficile de se faire une idée dans ce contexte. Aurait-on perdu en Europe la capacité à s’enthousiasmer ? L’Europe serait-elle trop vieille et fractionnée pour comprendre l’évolution du monde ? Y aurait-il une volonté hégémonique de la Chine cachée derrière les beaux discours ?
L’initiative la Ceinture et la Route : une « cause grandiose » !
Zhao Jianguo, directeur de la communication internationale du bureau de l’information du conseil chinois des affaires étrangères, rappelle que, à date, « 106 pays et 29 organisations internationales ont signé plus de 150 accords dans le cadre de cette initiative ! ». Il explique que l’initiative est construite dans une logique gagnant-gagnant, l’idée étant de « récolter ensemble ». Et de conclure son intervention par un dicton : « une meilleure voie conduit à une meilleure vie ».
De son côté, Monsieur Qu Xing, directeur général adjoint de l’UNESCO, souhaite que les nouvelles routes de la soie puissent « ouvrir la voie à développement harmonieux et durable, gage de paix et de concorde pour les peuples », dans un contexte mondial en « en proie à de fortes tensions » – le rapprochement d’avec les autres générant des tentations de repli sur soi et sa communauté.
Une tentation hégémonique de la Chine ?
La question centrale qui occupait les débats était la question de la volonté hégémonique du gouvernement chinois potentiellement cachée derrière ce projet « la Ceinture et la Route ».
Song Luzheng, chercheur à l’institut de recherche sur la Chine à l’université de Fudan, expose le modèle chinois en train d’émerger comme tenant « de l’égalité, du partage, pour favoriser la paix et la prospérité dans le monde ». Il oppose ce modèle au modèle d’expansion hégémonique choisi par les Etats-Unis et à l’ancien modèle d’expansion colonialiste privilégié en son temps par les européens. « L’essor de la Chine ne produira pas de positions de conflits ».
D’après Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po, « ce sujet est fascinant, car il nous déroute dans l’organisation des relations internationales ». Le caractère très évolutif et pragmatique de l’initiative « trouble la grammaire répétitive des relations internationales ».
En effet, le projet voulait toucher 60 pays au départ alors qu’aujourd’hui, ce sont plus de 100 pays qui sont impliqués, soit « 4 milliards d’habitants », d’après Christian Cambon, sénateur et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Trente métropoles européennes seront connectées à la Chine, dont Lyon en France. « On est introduit à la mobilité de la géographie ! », affirme M. Badie. C’était au départ un projet économique et il englobe aujourd’hui des enjeux politiques, culturels, technologiques. Il n’était que terrestre et il comprend dorénavant un pan maritime. « On assiste à la transformation d’une idée », explique-t-il.
Pour M. Badie, « il s’agirait plus d’une vision de la Chine d’un monde global où elle revendique sa centralité, dans une vision non hégémonique ». Et à lui de poser la question de savoir si cette position est tenable pendant les 20 prochaines années…
Une Europe partagée entre deux postures
« L’Union Européenne marche sur deux jambes vis-à-vis de ce projet : une jambe coopérative et une jambe défensive », explique Elvire Fabry, chercheuse senior à l’institut Jacques Delors – Notre Europe. Ce qui fait dire à Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre, président de la fondation prospective et innovation, représentant spécial pour la Chine que dans ces conditions, « ça n’est pas facile d’avancer quand même ! ».
D’un côté, Mme Fabry reconnaît les aspects prometteurs de ce projet. Cinq ans après la crise de 2008, cette initiative est partie de l’idée de baisser les coûts de transport entre la Chine et l’Europe tout en désenclavant les pays d’Asie centrale. Cinq ans plus tard, le projet a pris de l’ampleur en englobant les pays africains, les pays du Moyen-Orient et en allant même mettre un pied en Amérique du sud, en Argentine.
- Pour Song Luzheng de l’université de Fudan, « ce projet va aider l’Europe à se développer, en facilitant l’accès aux technologies et aux produits chinois ». Il va également « réduire la pression migratoire au départ des pays africains en apportant une réponse de paix et de développement économique ».
De l’autre, Elvire Fabry pointe quelques sujets de préoccupations : des questions sur le financement des entreprises chinoises leur assurant une (trop) grande compétitivité, des questions sur la transparence des marchés et la capacité d’accès des entreprises européennes à ceux-ci, des questions sur l’endettement voire le surendettement des pays, potentiellement facteur de déstabilisation, des questions sur la durabilité du modèle de gestion des infrastructures de transport (main d’œuvre ? environnement ?).
Selon la réponse chinoise à l’OMC face aux différentes initiatives européennes et notamment à celle de la cheffe de la diplomatie, Federica Mogherini, l’Union Européenne pourrait choisir de privilégier l’une ou l’autre de ses jambes.
Jean-Pierre Raffarin, président de la Fondation Prospective et Innovation et représentant spécial pour la Chine, s’inquiète de la lenteur de la prise de position européenne : « quelle est la capacité de l’Europe à être un acteur international puissant ?! ». Pour lui, il y a une nécessité absolue de « trouver le nouveau multilatéralisme avant que l’unilatéralisme n’ait tué complètement le multilatéralisme » ! Il engage ainsi les parties prenantes à « trouver des stratégies de coopération en travaillant sur des projets concrets », prenant l’exemple de Keolis et de son partenariat stratégique avec Shanghai Shentong Metro Group, lui permettant d’exploiter en Chine.