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Les transports publics après la pandémie – comment rebondir ?

Par : Lesley Brown 30 avril 2020 no comments

Les transports publics après la pandémie – comment rebondir ?

Traduit de l’anglais par Joëlle Touré

 

14 avril 2020 : alors que la pandémie de Covid-19 oblige le monde entier à mettre en suspens la vie urbaine, un webinaire organisé par  NewCities’ The Big Rethink & CoMotion LIVE a abordé le sujet du rebond des transports publics suite à la crise sanitaire.

Animé par Greg Lindsay, directeur de la recherche appliquée chez NewCities avec les interventions de Mohamed Mezghani, secrétaire général de l’UITP, Alice Bravo directrice du transportation and public works, Miami-Dade County, et John Siraut, directeur en économie du Jacobs Engineering Group.

 

 

« Cette situation a nécessité beaucoup de communication et une grande réactivité », explique Alice Bravo, dont le département de Miami-Dade est responsable d’un système de transport public comprenant environ 893 bus sur 93 lignes, un réseau de métro de 40 km, un service de navettes électriques de 7 km (gratuit) et un service de transport partagé en porte-à-porte pour les personnes souffrant de handicap. « Au cours des cinq dernières semaines, les conférences nationales, par téléphone ou par vidéo, qui ont été organisées par les différentes autorités organisatrices de transports au travers du pays, ont été d’une grande aide. Je me souviens d’avoir appris très tôt ce qui se passait à Seattle. Obtenir ce genre d’informations nous a permis de mieux démarrer et de nous préparer à ce qu’il fallait faire ».

Les premières mesures prises par Miami-Dade Transit ont consisté à renforcer les routines de nettoyage, ce qui implique la désinfection de tous ses bus chaque nuit, l’augmentation de la distribution de désinfectants pour les mains et des efforts pour installer une unité de désinfection dans chaque bus et chaque train. « Nous avons ensuite été confrontés à la pénurie de produits de nettoyage et de masques à laquelle tout le monde est confronté dans tout le pays », poursuit Mme Bravo. « Mais chapeau à notre service des achats qui a réussi à obtenir ce dont nous avons besoin ».

 

Metrorail, le métro de Miami (CC BY Phillip Pessar)

 

Dans le sillage de Seattle, la récente mise en place de la gratuité a permis de faire monter les passagers par l’arrière des bus, « pour offrir une protection supplémentaire à nos conducteurs ». En outre, les bus sont utilisés à la moitié de leur capacité, c’est-à-dire avec une occupation d’un siège sur deux. Les informations fournies en direct aux superviseurs dans les bureaux leur permettent de suivre en temps réel les embarquements et débarquements dans chaque véhicule – « afin que des véhicules supplémentaires puissent être ajoutés, si nécessaire, ou pour conseiller un conducteur de ne plus prendre de passagers », explique Alice Bravo.

Son Département a également conclu un partenariat avec Uber and Lyft afin de fournir des services de nuit pour les voyages essentiels. En place depuis le 10 avril, cette option gratuite de transport à la demande, Go Nightly, est disponible entre minuit et 5 heures du matin.

 

Miami-Dade Transit prend des mesures supplémentaires essentielles pour assurer la sécurité de la main-d’œuvre et de la communauté

 

« Pour encourager la distanciation sociale, nous avons également changé le logo de notre application de Go Miami Bay à Don’t Go Miami Bay, ce qui, en tant que directrice des transports en commun, m’a blessé au plus profond de mon âme… dire aux gens de ne pas utiliser les transports en commun », explique Mme Bravo, ajoutant que « globalement, la fréquentation de nos transports publics a diminué d’environ 80 % ».

« L‘Europe, elle, connaît une baisse de 90 % ou plus de la fréquentation des transports publics », déclare Mohamed Mezghani, soucieux de faire comprendre l’importance vitale de la continuité des services pour soutenir les travailleurs essentiels et le personnel de santé. « C’est pourquoi tous les pays européens, à l’exception de la Slovénie, ont maintenu les services en fonctionnement ». En ce qui concerne les actions de protection, de nombreux réseaux ont introduit des mesures de distanciation sociale comme à Miami, comme l’arrêt des paiements en espèces et l’embarquement à l’arrière des bus. De même, à Bruxelles, les bus transportent au maximum 8 passagers et les trams 18. « Cela ne profite pas seulement aux passagers, mais aussi aux conducteurs, qui sont en première ligne. Souvent il n’y a pas assez de masques ou de désinfectants pour les mains pour les protéger », précise M. Mezghani.

Perte de recettes et plans de sauvetage – combien, combien de temps ?

Les gouvernements et les autorités sont également confrontés au défi de soutenir les opérateurs publics en compensant les pertes de revenus. Différentes mesures de sauvetage sont adoptées à cet effet. À ce jour, au niveau national, le Congrès américain a alloué 25 milliards de dollars aux organismes de transport en commun dans tout le pays, sur les 2 milliards de dollars de son programme national d’aide d’urgence Covid-19. Pendant ce temps, au Royaume-Uni, le gouvernement a proposé un plan de compensation de 400 millions de livres sterling pour maintenir le secteur des bus à flot.

 

Un bus à la campagne, au Royaume-Uni

 

En Europe continentale, cependant, il semble qu’il n’y ait pas eu jusqu’à présent de réponses financières similaires au niveau national. Selon Mohamed Mezghani, cela est dû à deux raisons : les pays européens sortent de l’isolement à des moments différents et leurs systèmes de transport public sont organisés de manière différente. Au Royaume-Uni, par exemple, le secteur est déréglementé, de sorte que les opérateurs de bus n’opèrent pas nécessairement avec un contrat. En l’absence d’un plan de sauvetage national, on craint donc qu’ils ne réduisent leurs services, ce qui aurait pour effet de limiter la mobilité des travailleurs essentiels et de freiner la reprise économique. « Pour les systèmes déréglementés, il y a un risque que certains services de transport public soient menacés s’il y a un manque de financement et de passagers », insiste John Siraut.

 

Le Royaume-Uni suspend le système de concession ferroviaire après la chute du nombre de passagers

 

Dans la plupart des autres pays européens, les opérateurs ont généralement des contrats de service, ce qui signifie des obligations de fournir des prestations. Dans ce cas, étant donné la réduction actuelle de la fréquentation et des recettes, ces contrats sont souvent réexaminés pour voir comment partager au mieux les risques entre les autorités de transport et leurs opérateurs. « C’est le cas à Dublin, où Transdev opère. Il a été convenu de passer d’un contrat à coût net à un contrat qui couvre les coûts, plus une rémunération fixe pour compenser la perte de revenus », explique M. Mezghani.

 

Des trams à Dublin (CC BY Michael Coghlan)

 

Pour John Siraut, la question fondamentale est de savoir combien de temps les gouvernements sont prêts à intervenir et à poursuivre leur soutien au secteur. En effet, les transports publics de New York et de Londres perdent actuellement environ 100 millions de dollars par semaine tout en supportant à peu près les mêmes coûts fixes d’exploitation.

Toutefois, M. Siraut prévoit une reprise assez rapide de la fréquentation dans les grandes villes « où il est tout simplement impossible de se rendre au travail en voiture, en raison des embouteillages et des problèmes de stationnement. Mais dans les petites villes où la voiture est une alternative plus réaliste, le retour aux transports publics pourrait bien être compromis ou plus lent », avertit-il. L’inquiétude est que les gens boudent les transports publics par crainte d’une distanciation sociale insuffisante. 

La vie après le confinement

« Que signifie le retour à la normale ?  » s’interroge Alice Bravo. « Il va probablement y avoir une nouvelle normalité. » Alors que les transports publics s’apprêtent à revenir à des services complets après le confinement, beaucoup de gens se demandent s’il y aura des changements profonds dans la politique, la planification et les priorités en matière de transports urbains. Par exemple, pendant la période de confinement, les villes du monde entier ont connu une baisse importante du nombre de voitures, du bruit et de la pollution de l’air. La congestion du trafic n’est plus un problème. La vie urbaine est devenue plus favorable aux piétons et à la mobilité douce.

À l’avenir, la question est donc de savoir si les autorités municipales voudront conserver ce nouvel équilibre « sans voitures » et se concentrer sur des modes de transport alternatifs, c’est-à-dire partagés, actifs ou sans émissions de carbone. « Si c’est le cas, cela pourrait signifier la sauvegarde des transports publics », espère John Siraut.

 

La mobilité urbaine à Berlin

 

« Il est vital que nous maintenions la continuité du service dans les transports publics », insiste Mohamed Mezghani. En effet, l’égalité et la diversité sont également en jeu. Si ces services sont supprimés, les plus touchés seront les personnes qui occupent des emplois mal rémunérés et qui n’ont pas ou peu d’autre choix que d’utiliser les transports publics. Alors que les personnes aux revenus plus élevés pourront opter pour la voiture ou le taxi.

« Nous avons besoin d’un système de transport public qui serve tout le monde et assure ainsi une plus grande égalité des chances », déclare Alice Bravo. « Après la crise sanitaire à Miami-Dade County, nous allons poursuivre nos efforts de nettoyage et faire en sorte de créer le système de transport que les gens ont envie d’utiliser. Parce que nous ne pouvons pas les forcer à l’utiliser », reconnaît-elle. « Pour retrouver la fréquentation, il faut améliorer la qualité et la fréquence des services, le niveau général de service ».

 

La continuité des services de transport de passagers est cruciale

 

Dans les mois à venir, le grand défi sur le terrain, estime M. Mezghani, sera de préserver la santé des passagers et du personnel des systèmes de transport. Par exemple, si la distance sociale est maintenue, qui sera chargé de la faire respecter ? « Wuhan a nommé des superviseurs de la sécurité pour vérifier que les gens gardent une distance minimale », souligne-t-il. « De même, à Pékin, ils envisagent d’introduire un système de réservation pour obtenir des créneaux de 10 minutes pour l’accès aux stations de transport public ».

On ignore également si le port du masque dans les espaces publics deviendra obligatoire, comme c’est le cas actuellement en Autriche, par exemple. Dans l’affirmative, la règle de la distance sociale dans les transports publics sera-t-elle alors levée ? M. Mezghani suggère même que d’autres mesures pourraient être introduites, comme, par exemple, un guidage dans les gares qui obligerait les passagers à suivre certains itinéraires – pour une meilleure gestion des foules et de la distance sociale. « A l’avenir, de telles questions dépendront des décisions des autorités sanitaires plutôt que des autorités de transport », souligne-t-il.  Il est évident qu’à l’avenir, la coopération entre les deux parties sera essentielle.

 

➢ 15 avril – le président de la SNCF demande de port de masques dans les trains

 

En cette période d’incertitude, une chose est sûre : la « nouvelle normalité » est loin d’être acquise. La crise du Covid-19 aura peut-être fait prendre conscience du rôle que jouent les transports publics en tant qu’épine dorsale de la mobilité urbaine. « J’espère que les dirigeants politiques comprendront les avantages qu’ils en tirent et qu’ils se rendront compte de l’importance des travailleurs de ce secteur », espère Mohamed Mezghani, en se référant à la campagne en cours de l’UITP intitulée « Gardiens de la mobilité », qui vise justement à atteindre cet objectif.

 

Les Gardiens de la mobilité sont également en première ligne, assurant la disponibilité des services essentiels tout au long de la pandémie de coronavirus