đź’ˇ Les transports publics après la pandĂ©mie – comment rebondir ?
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Traduit de l’anglais par JoĂ«lle TourĂ©
14 avril 2020 : alors que la pandémie de Covid-19 oblige le monde entier à mettre en suspens la vie urbaine, un webinaire organisé par NewCities’ The Big Rethink & CoMotion LIVE a abordé le sujet du rebond des transports publics suite à la crise sanitaire.
AnimĂ© par Greg Lindsay, directeur de la recherche appliquĂ©e chez NewCities avec les interventions de Mohamed Mezghani, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’UITP, Alice Bravo directrice du transportation and public works, Miami-Dade County, et John Siraut, directeur en Ă©conomie du Jacobs Engineering Group.
« Cette situation a nĂ©cessitĂ© beaucoup de communication et une grande rĂ©activité », explique Alice Bravo, dont le dĂ©partement de Miami-Dade est responsable d’un système de transport public comprenant environ 893 bus sur 93 lignes, un rĂ©seau de mĂ©tro de 40 km, un service de navettes Ă©lectriques de 7 km (gratuit) et un service de transport partagĂ© en porte-Ă -porte pour les personnes souffrant de handicap. « Au cours des cinq dernières semaines, les confĂ©rences nationales, par tĂ©lĂ©phone ou par vidĂ©o, qui ont Ă©tĂ© organisĂ©es par les diffĂ©rentes autoritĂ©s organisatrices de transports au travers du pays, ont Ă©tĂ© d’une grande aide. Je me souviens d’avoir appris très tĂ´t ce qui se passait Ă Seattle. Obtenir ce genre d’informations nous a permis de mieux dĂ©marrer et de nous prĂ©parer Ă ce qu’il fallait faire ».
Les premières mesures prises par Miami-Dade Transit ont consistĂ© Ă renforcer les routines de nettoyage, ce qui implique la dĂ©sinfection de tous ses bus chaque nuit, l’augmentation de la distribution de dĂ©sinfectants pour les mains et des efforts pour installer une unitĂ© de dĂ©sinfection dans chaque bus et chaque train. « Nous avons ensuite Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă la pĂ©nurie de produits de nettoyage et de masques Ă laquelle tout le monde est confrontĂ© dans tout le pays », poursuit Mme Bravo. « Mais chapeau Ă notre service des achats qui a rĂ©ussi Ă obtenir ce dont nous avons besoin ».

Dans le sillage de Seattle, la rĂ©cente mise en place de la gratuitĂ© a permis de faire monter les passagers par l’arrière des bus, « pour offrir une protection supplĂ©mentaire Ă nos conducteurs ». En outre, les bus sont utilisĂ©s Ă la moitiĂ© de leur capacitĂ©, c’est-Ă -dire avec une occupation d’un siège sur deux. Les informations fournies en direct aux superviseurs dans les bureaux leur permettent de suivre en temps rĂ©el les embarquements et dĂ©barquements dans chaque vĂ©hicule – « afin que des vĂ©hicules supplĂ©mentaires puissent ĂŞtre ajoutĂ©s, si nĂ©cessaire, ou pour conseiller un conducteur de ne plus prendre de passagers », explique Alice Bravo.
Son DĂ©partement a Ă©galement conclu un partenariat avec Uber and Lyft afin de fournir des services de nuit pour les voyages essentiels. En place depuis le 10 avril, cette option gratuite de transport Ă la demande, Go Nightly, est disponible entre minuit et 5 heures du matin.
➢ Miami-Dade Transit prend des mesures supplĂ©mentaires essentielles pour assurer la sĂ©curitĂ© de la main-d’Ĺ“uvre et de la communautĂ©
« Pour encourager la distanciation sociale, nous avons Ă©galement changĂ© le logo de notre application de Go Miami Bay Ă Don’t Go Miami Bay, ce qui, en tant que directrice des transports en commun, m’a blessĂ© au plus profond de mon âme… dire aux gens de ne pas utiliser les transports en commun », explique Mme Bravo, ajoutant que « globalement, la frĂ©quentation de nos transports publics a diminuĂ© d’environ 80 % ».
« L‘Europe, elle, connaĂ®t une baisse de 90 % ou plus de la frĂ©quentation des transports publics », dĂ©clare Mohamed Mezghani, soucieux de faire comprendre l’importance vitale de la continuitĂ© des services pour soutenir les travailleurs essentiels et le personnel de santĂ©. « C’est pourquoi tous les pays europĂ©ens, Ă l’exception de la SlovĂ©nie, ont maintenu les services en fonctionnement ». En ce qui concerne les actions de protection, de nombreux rĂ©seaux ont introduit des mesures de distanciation sociale comme Ă Miami, comme l’arrĂŞt des paiements en espèces et l’embarquement Ă l’arrière des bus. De mĂŞme, Ă Bruxelles, les bus transportent au maximum 8 passagers et les trams 18. « Cela ne profite pas seulement aux passagers, mais aussi aux conducteurs, qui sont en première ligne. Souvent il n’y a pas assez de masques ou de dĂ©sinfectants pour les mains pour les protĂ©ger », prĂ©cise M. Mezghani.
Perte de recettes et plans de sauvetage – combien, combien de temps ?
Les gouvernements et les autoritĂ©s sont Ă©galement confrontĂ©s au dĂ©fi de soutenir les opĂ©rateurs publics en compensant les pertes de revenus. DiffĂ©rentes mesures de sauvetage sont adoptĂ©es Ă cet effet. Ă€ ce jour, au niveau national, le Congrès amĂ©ricain a allouĂ© 25 milliards de dollars aux organismes de transport en commun dans tout le pays, sur les 2 milliards de dollars de son programme national d’aide d’urgence Covid-19. Pendant ce temps, au Royaume-Uni, le gouvernement a proposĂ© un plan de compensation de 400 millions de livres sterling pour maintenir le secteur des bus Ă flot.

En Europe continentale, cependant, il semble qu’il n’y ait pas eu jusqu’Ă prĂ©sent de rĂ©ponses financières similaires au niveau national. Selon Mohamed Mezghani, cela est dĂ» Ă deux raisons : les pays europĂ©ens sortent de l’isolement Ă des moments diffĂ©rents et leurs systèmes de transport public sont organisĂ©s de manière diffĂ©rente. Au Royaume-Uni, par exemple, le secteur est dĂ©rĂ©glementĂ©, de sorte que les opĂ©rateurs de bus n’opèrent pas nĂ©cessairement avec un contrat. En l’absence d’un plan de sauvetage national, on craint donc qu’ils ne rĂ©duisent leurs services, ce qui aurait pour effet de limiter la mobilitĂ© des travailleurs essentiels et de freiner la reprise Ă©conomique. « Pour les systèmes dĂ©rĂ©glementĂ©s, il y a un risque que certains services de transport public soient menacĂ©s s’il y a un manque de financement et de passagers », insiste John Siraut.
➢ Le Royaume-Uni suspend le système de concession ferroviaire après la chute du nombre de passagers
Dans la plupart des autres pays europĂ©ens, les opĂ©rateurs ont gĂ©nĂ©ralement des contrats de service, ce qui signifie des obligations de fournir des prestations. Dans ce cas, Ă©tant donnĂ© la rĂ©duction actuelle de la frĂ©quentation et des recettes, ces contrats sont souvent rĂ©examinĂ©s pour voir comment partager au mieux les risques entre les autoritĂ©s de transport et leurs opĂ©rateurs. « C’est le cas Ă Dublin, oĂą Transdev opère. Il a Ă©tĂ© convenu de passer d’un contrat Ă coĂ»t net Ă un contrat qui couvre les coĂ»ts, plus une rĂ©munĂ©ration fixe pour compenser la perte de revenus », explique M. Mezghani.

Pour John Siraut, la question fondamentale est de savoir combien de temps les gouvernements sont prĂŞts Ă intervenir et Ă poursuivre leur soutien au secteur. En effet, les transports publics de New York et de Londres perdent actuellement environ 100 millions de dollars par semaine tout en supportant Ă peu près les mĂŞmes coĂ»ts fixes d’exploitation.
Toutefois, M. Siraut prĂ©voit une reprise assez rapide de la frĂ©quentation dans les grandes villes « oĂą il est tout simplement impossible de se rendre au travail en voiture, en raison des embouteillages et des problèmes de stationnement. Mais dans les petites villes oĂą la voiture est une alternative plus rĂ©aliste, le retour aux transports publics pourrait bien ĂŞtre compromis ou plus lent », avertit-il. L’inquiĂ©tude est que les gens boudent les transports publics par crainte d’une distanciation sociale insuffisante.Â
La vie après le confinement
« Que signifie le retour Ă la normale ?  » s’interroge Alice Bravo. « Il va probablement y avoir une nouvelle normalitĂ©. » Alors que les transports publics s’apprĂŞtent Ă revenir Ă des services complets après le confinement, beaucoup de gens se demandent s’il y aura des changements profonds dans la politique, la planification et les prioritĂ©s en matière de transports urbains. Par exemple, pendant la pĂ©riode de confinement, les villes du monde entier ont connu une baisse importante du nombre de voitures, du bruit et de la pollution de l’air. La congestion du trafic n’est plus un problème. La vie urbaine est devenue plus favorable aux piĂ©tons et Ă la mobilitĂ© douce.
Ă€ l’avenir, la question est donc de savoir si les autoritĂ©s municipales voudront conserver ce nouvel Ă©quilibre « sans voitures » et se concentrer sur des modes de transport alternatifs, c’est-Ă -dire partagĂ©s, actifs ou sans Ă©missions de carbone. « Si c’est le cas, cela pourrait signifier la sauvegarde des transports publics », espère John Siraut.

« Il est vital que nous maintenions la continuitĂ© du service dans les transports publics », insiste Mohamed Mezghani. En effet, l’Ă©galitĂ© et la diversitĂ© sont Ă©galement en jeu. Si ces services sont supprimĂ©s, les plus touchĂ©s seront les personnes qui occupent des emplois mal rĂ©munĂ©rĂ©s et qui n’ont pas ou peu d’autre choix que d’utiliser les transports publics. Alors que les personnes aux revenus plus Ă©levĂ©s pourront opter pour la voiture ou le taxi.
« Nous avons besoin d’un système de transport public qui serve tout le monde et assure ainsi une plus grande Ă©galitĂ© des chances », dĂ©clare Alice Bravo. « Après la crise sanitaire Ă Miami-Dade County, nous allons poursuivre nos efforts de nettoyage et faire en sorte de crĂ©er le système de transport que les gens ont envie d’utiliser. Parce que nous ne pouvons pas les forcer Ă l’utiliser », reconnaĂ®t-elle. « Pour retrouver la frĂ©quentation, il faut amĂ©liorer la qualitĂ© et la frĂ©quence des services, le niveau gĂ©nĂ©ral de service ».
➢ La continuité des services de transport de passagers est cruciale
Dans les mois Ă venir, le grand dĂ©fi sur le terrain, estime M. Mezghani, sera de prĂ©server la santĂ© des passagers et du personnel des systèmes de transport. Par exemple, si la distance sociale est maintenue, qui sera chargĂ© de la faire respecter ? « Wuhan a nommĂ© des superviseurs de la sĂ©curitĂ© pour vĂ©rifier que les gens gardent une distance minimale », souligne-t-il. « De mĂŞme, Ă PĂ©kin, ils envisagent d’introduire un système de rĂ©servation pour obtenir des crĂ©neaux de 10 minutes pour l’accès aux stations de transport public ».
On ignore Ă©galement si le port du masque dans les espaces publics deviendra obligatoire, comme c’est le cas actuellement en Autriche, par exemple. Dans l’affirmative, la règle de la distance sociale dans les transports publics sera-t-elle alors levĂ©e ? M. Mezghani suggère mĂŞme que d’autres mesures pourraient ĂŞtre introduites, comme, par exemple, un guidage dans les gares qui obligerait les passagers Ă suivre certains itinĂ©raires – pour une meilleure gestion des foules et de la distance sociale. « A l’avenir, de telles questions dĂ©pendront des dĂ©cisions des autoritĂ©s sanitaires plutĂ´t que des autoritĂ©s de transport », souligne-t-il. Il est Ă©vident qu’Ă l’avenir, la coopĂ©ration entre les deux parties sera essentielle.
➢ 15 avril – le président de la SNCF demande de port de masques dans les trains
En cette pĂ©riode d’incertitude, une chose est sĂ»re : la « nouvelle normalité » est loin d’ĂŞtre acquise. La crise du Covid-19 aura peut-ĂŞtre fait prendre conscience du rĂ´le que jouent les transports publics en tant qu’Ă©pine dorsale de la mobilitĂ© urbaine. « J’espère que les dirigeants politiques comprendront les avantages qu’ils en tirent et qu’ils se rendront compte de l’importance des travailleurs de ce secteur », espère Mohamed Mezghani, en se rĂ©fĂ©rant Ă la campagne en cours de l’UITP intitulĂ©e « Gardiens de la mobilité », qui vise justement Ă atteindre cet objectif.