đź“Ś LoĂŻc Blaise, Plane B : pionnier de l’aviation positive
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Six ans après sa première rencontre avec Futura-Mobility, l’aviateur et explorateur arctique Loïc Blaise est revenu au think tank en décembre 2024 pour présenter les derniers développements de Plane B. Ce projet pionnier vise à créer un avion capable d’opérer en totale autonomie dans des environnements extrêmes. Au cœur de cette aventure se trouvent deux innovations de rupture : un film photovoltaïque organique révolutionnaire et un système de stockage d’énergie avancé permettant de s’affranchir du lithium.
FM : Lors de notre dernière rencontre en 2018, vous aviez terminé Polar Kid. Pouvez-vous nous parler de cette aventure ?
LB : Oui, j’avais achevĂ© le Tour du Monde Arctique avec Polar Kid, devenant de ce fait le premier aviateur Ă faire le tour complet du cercle arctique, Ă bord d’un hydravion ultra-lĂ©ger. C’Ă©tait la dernière grande route aĂ©rienne encore inexplorĂ©e, j’ai accompli ce vol pour faire un parallèle entre l’urgence arctique et celle des malades atteints de sclĂ©rose en plaques, pour montrer que tous les dĂ©fis pouvaient et devaient ĂŞtre relevĂ©s. L’avion Ă©tait Ă©quipĂ© d’un petit moteur thermique fonctionnant au carburant sans plomb, ce qui Ă©tait dĂ©jĂ une approche audacieuse pour l’Ă©poque. Ă€ cette pĂ©riode, aucune solution Ă©lectrique n’Ă©tait viable pour affronter le froid polaire et opĂ©rer dans ces rĂ©gions reculĂ©es. Nous avions fait le choix du thermique en se posant la question de la fin et des moyens.
FM : Quels défis rencontrés pendant cette expédition ont façonné votre vision ?
LB : Le tour du monde de Polar Kid et mes diverses missions avec les chasseurs et les chiens sur la banquise m’ont livrĂ© trois leçons essentielles. La plus importante Ă©tant que les pronostics mĂ©dicaux, comme environnementaux, peuvent ĂŞtre dĂ©jouĂ©s par l’innovation et la dĂ©termination. J’ai aussi vĂ©cu la dure rĂ©alitĂ© de l’accès Ă l’Ă©nergie dans les rĂ©gions reculĂ©es – dans des endroits comme le Nunavut ou la SibĂ©rie, il faut brĂ»ler deux barils de carburant pour en acheminer un seul, c’est absurde. J’ai aussi Ă©tĂ© sur la ligne de front du drame climatique et environnemental, en observant directement la fonte du pergĂ©lisol, l’effondrement de la faune, la pollution d’Ă©cosystèmes qu’on penserait vierges et le dĂ©placement des populations. Enfin, j’ai Ă©tĂ© profondĂ©ment nourri par la culture des communautĂ©s autochtones et leur capacitĂ© Ă vivre en Ă©quilibre avec des ressources limitĂ©es. L’arctique est un territoire sentinelle, nous avons beaucoup Ă apprendre de ce qui s’y passe et de ceux qui y vivent.
Au fil des annĂ©es, ces liens tout comme mon combat personnel contre la sclĂ©rose en plaques (SEP) ont fondĂ© la philosophie de Plane B. Cette maladie m’a appris Ă gĂ©rer une Ă©nergie comptĂ©e et variable, Ă ĂŞtre attentif aux moindres dĂ©tails et Ă valoriser les petites victoires quotidiennes. Elle m’a aussi fait comprendre l’importance de la collaboration et du soutien mutuel. Avec Polar Kid, j’ai aussi pu constater combien une victoire personnelle peut inspirer bien d’autres Ă trouver leur propre chemin de rĂ©silience, quel qu’il soit. Il faut continuer Ă ouvrir des routes !
Surtout, la SEP m’a fait rĂ©aliser une vĂ©ritĂ© essentielle : on ne peut pas ĂŞtre en bonne santĂ© dans un environnement toxique. La santĂ© est une question globale, nos destins sont liĂ©s.
FM : Comment avez-vous abordé le défi de créer un avion véritablement durable ?
LB : J’ai toujours Ă©tĂ© fascinĂ© par la Sterne arctique. Nous avons baptisĂ© notre machine L’Oiseau en pensant Ă elle et au Codex de LĂ©onard de Vinci. Ce petit oiseau poursuit sans relâche le soleil de minuit et parcourt dans sa vie l’Ă©quivalent de trois fois la distance terre-lune, naviguant de pĂ´le en pĂ´le chaque annĂ©e ! C’est la championne incontestĂ©e des migrations ! Elle a Ă©tĂ© dans un coin de ma tĂŞte pendant toute la conception.
Après avoir explorĂ© diverses options – e-carburants, hydrogène, etc. – nous avons rĂ©alisĂ© qu’aucune ne rĂ©pondait Ă notre dĂ©fi principal : atteindre des rĂ©gions isolĂ©es sans infrastructure existante. L’une des percĂ©es est venue en 2023 lorsqu’un ami m’a prĂ©sentĂ© une spin-off du CNRS dĂ©veloppant une technologie photovoltaĂŻque rĂ©volutionnaire. Alors qu’ils se concentraient sur l’Ă©lectronique grand public, j’ai immĂ©diatement vu son potentiel pour l’aviation. Notre autre grand dĂ©fi est de nous affranchir du lithium – son extraction pose des problèmes environnementaux et sociaux majeurs, et ses limites techniques sont trop contraignantes pour les opĂ©rations en climat extrĂŞme.
FM : Cette approche semble aller au-delĂ de la simple innovation technique ?
LB : En effet, nous dĂ©veloppons ce que nous appelons « l’Aviation Positive » – c’est d’ailleurs la signature de Plane B – une aviation au service de la Terre et de ses peuples. Je veux faire la dĂ©monstration qu’une libertĂ© de mouvement absolue est possible tout en respectant les limites de notre planète. Nous travaillons Ă une trame harmonieuse entre la technologie et le vivant. Il s’agit notamment de faire plus avec moins, tout en servant ceux qui en ont le plus besoin. Chaque Ă©lectron compte. Nous crĂ©ons un avion Ă Ă©nergie positive sur l’ensemble de sa boucle opĂ©rationnelle, et bientĂ´t capable de produire en vol plus d’Ă©nergie qu’il n’en consomme.
« L’Aviation Positive » repose sur trois piliers : la durabilitĂ© environnementale grâce Ă l’Ă©nergie propre et aux matĂ©riaux responsables, l’utilitĂ© sociale en opĂ©rant lĂ oĂą c’est le plus urgent et l’accessibilitĂ© Ă©conomique, en rĂ©duisant drastiquement les coĂ»ts opĂ©rationnels.
FM : Pouvez-vous nous expliquer la technologie qui rend cette vision possible ?
LB : Au cĹ“ur du projet se trouve un film photovoltaĂŻque rĂ©volutionnaire issu d’une collaboration avec une start-up issue du CNRS. Cette technologie de rupture permet de transformer l’avion en une vĂ©ritable centrale volante, chaque surface devenant gĂ©nĂ©ratrice d’Ă©nergie. L’avion est entièrement enveloppĂ© et, par sa capacitĂ© Ă en Ă©pouser les formes, la peau ne crĂ©e aucune trainĂ©e. Son caractère unique rĂ©side dans sa lĂ©gèretĂ© exceptionnelle, sa souplesse et sa capacitĂ© Ă capter efficacement l’Ă©nergie mĂŞme dans des conditions de luminositĂ© difficiles.
La peau photovoltaĂŻque est produite sans terres rares ni silicium, avec une empreinte environnementale minimale. Sa production est compensĂ©e en un mois d’utilisation ! Notre système inclut Ă©galement des solutions de captation et de stockage innovantes pour les missions en zones isolĂ©es, dont « La Fleur », qui d’un petit paquet de 4kg et Ă peine 40 centimètres carrĂ©s se dĂ©ploie en une surface de collecte solaire de 14m2 ! Ces innovations nous permettront non seulement de subvenir Ă nos propres besoins mais aussi d’alimenter Ă©quipements et camps de base hors de tout rĂ©seau. Nous pouvons ainsi opĂ©rer en totale autonomie, sans dĂ©pendre de sources d’Ă©nergie carbonĂ©es.
FM : L’Oiseau embarque Ă©galement des systèmes de captation de donnĂ©es et d’images sophistiquĂ©s. Pouvez-vous nous en dire plus ?
LB : En effet, nous avons Ă©quipĂ© l’avion de technologies de pointe en matière d’observation : un système LiDAR pour la cartographie 3D prĂ©cise et des camĂ©ras multispectrales. Ces Ă©quipements nous permettent de collecter des donnĂ©es essentielles sur l’Ă©tat des Ă©cosystèmes, l’Ă©volution des glaciers, les populations animales, la santĂ© des forĂŞts ou encore des missions de recherche et sauvetage. De plus, l’avion est silencieux, nous ne perturbons pas la faune.
FM : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’avion lui-mĂŞme ?
LB : Notre plateforme de base est une cellule de pointe, conçue par un pionnier de l’aviation Ă©lectrique. Le design reflète parfaitement notre philosophie : maximiser l’utilitĂ© tout en minimisant la consommation d’Ă©nergie. Encore une fois, chaque Ă©lectron compte. Il est conçu comme un motoplaneur de 14 mètres d’envergure, propulsĂ© par un moteur Ă©lectrique de 70 kW, capable de dĂ©coller et d’atterrir sur des distances très courtes. Cette capacitĂ© STOL [Short Take-Off and Landing, autrement dit en français DĂ©collage et Atterrissage Court] est essentielle pour nos missions.
Pour nos opĂ©rations de plus grande envergure, nous exploiterons Ă©galement un avion de soutien hybride-Ă©lectrique de 19 places avec une capacitĂ© de deux tonnes. Il reprĂ©sente une Ă©tape cruciale vers l’aviation commerciale de demain. Il bĂ©nĂ©ficiera d’ailleurs de certaines des avancĂ©es dĂ©veloppĂ©es pour l’Oiseau.
FM : OĂą en ĂŞtes-vous avec la certification ?
LB : L’avion est dĂ©jĂ homologuĂ© par les autoritĂ©s aĂ©ronautiques allemandes et françaises avec une autonomie de 2,5 Ă 3 heures sur batterie, selon sa configuration. Notre prochaine Ă©tape est la certification de l’intĂ©gration de notre système de peau photovoltaĂŻque, qui portera l’autonomie Ă près de 6 heures en configuration standard, tout en me permettant d’emporter jusqu’à 180 kg de charge utile, passagers et cargo.
FM : Qui sont les fameuses « marraines » de ce projet ?
LB : Avec Plane B, nous marions la technologie de pointe avec les voix des sagesses autochtones. La rĂ©silience humaine et l’innovation doivent aller de pair. 80 % de la biodiversitĂ© sur terre est protĂ©gĂ©e par 5 % de la population: les peuples premiers. Nous avons recherchĂ© les conseils de personnes qui prennent soin de leurs Ă©cosystèmes et leurs communautĂ©s. Nos marraines incluent Blandine Sankara, pionnière de l’agroĂ©cologie au Burkina Faso, et Ann Andreasen, qui Ĺ“uvre auprès de la jeunesse inuite au Groenland. Ce sont mes hĂ©roĂŻnes, l’une guĂ©rit la terre, l’autre les enfants. Elles incarnent ce que nous devons partager, montrant comment les communautĂ©s peuvent prospĂ©rer en harmonie avec la nature malgrĂ© d’immenses dĂ©fis et des moyens limitĂ©s. Cette sagesse ancestrale est essentielle Ă l’innovation – comme le disait dĂ©jĂ LĂ©onard de Vinci, pour innover rĂ©ellement, il faut humblement se reconnecter au vivant.
Nous collaborons Ă©galement avec des artistes de renommĂ©e mondiale pour transformer la peau de L’Oiseau en toile volante, prouvant ainsi que les technologies solaires peuvent ĂŞtre inspirantes et porteuses de message.
Nous portons symboliquement au cœur de notre machine les voix de celles et ceux qui peuvent nous aider à construire un avenir collectif. Le fait que deux de nos principales marraines soient des femmes reflète une autre réalité plus large – les femmes sont souvent en première-ligne de la préservation environnementale et du soin aux communautés.
FM : Quelle est votre vision Ă long terme pour Plane B ?
LB : Notre ambition est de dĂ©velopper un appareil abordable avec des coĂ»ts opĂ©rationnels extrĂŞmement bas, capable d’opĂ©rer en totale autonomie dans des zones hors rĂ©seau. Les applications sont multiples et essentielles : des missions scientifiques aux actions humanitaires, en passant par la surveillance environnementale et la protection des migrants en mer. Nous discutons d’ailleurs avec des ONG sur les premiers cas d’utilisation pratique.
Nos premières missions illustrent parfaitement cet esprit. La première sera une aventure pan-europĂ©enne, reliant les points chauds de notre continent et les universitĂ©s des grandes capitales. La seconde sera une mission arctique qui nous permettra non seulement de collecter des donnĂ©es inĂ©dites et des tĂ©moignages des communautĂ©s autochtones, mais marquera aussi l’histoire comme la toute première mission aĂ©rienne polaire zĂ©ro carbone.
Ces expĂ©ditions « Odyssey for Life » nous mèneront vers les environnements les plus extrĂŞmes et menacĂ©s de la planète, constituant ainsi le banc d’essai ultime. Nous relierons les centres urbains aux communautĂ©s reculĂ©es, les universitĂ©s modernes aux gardiens des savoirs traditionnels. En parallèle, nous lancerons en 2025 notre plateforme numĂ©rique, qui incitera les citoyens Ă participer Ă notre mission en rĂ©duisant leur empreinte environnementale chaque annĂ©e : l’hiver 2022 a Ă©tĂ© la preuve que c’est possible.
Cette dĂ©marche, fondĂ©e sur des progrès incrĂ©mentaux et mesurĂ©s, reflète la manière dont je gère ma sclĂ©rose en plaques : de petites victoires, jour après jour. Quand on est inspirĂ© par les rĂ©sultats, surpris par ses propres succès, on trouve la force de continuer. Les victoires rendent enthousiaste et permettent de trouver son Ă©quilibre dans le chaos. La technologie seule ne sauvera pas le monde. Nous avons besoin d’une mobilisation citoyenne positive, et c’est tout le sens de cette plateforme. La bonne volontĂ© existe partout ; il ne reste qu’Ă la catalyser et la transformer en action.
Notre odyssĂ©e culminera en 2030 avec un vol historique de 36 heures, reliant UshuaĂŻa au pĂ´le Sud. Ce sera le premier vol Ă Ă©nergie positive de l’histoire, l’Oiseau gĂ©nĂ©rant plus d’Ă©nergie en vol qu’il n’en consomme. Ce vol symbolisera un nouveau paradigme pour la mobilitĂ© durable et marquera un tournant dans l’histoire de l’aviation.
Plane B est dĂ©jĂ en phase de tests en vol et sera lancĂ© officiellement dans quelques mois. Notre projet s’appuie sur l’expertise et l’engagement d’acteurs majeurs, de la Deep Tech aux ONG en passant par l’éducation et l’ingĂ©nierie aĂ©ronautique. Pour amplifier cette dynamique, nous recherchons de nouveaux partenaires visionnaires prĂŞts Ă nous accompagner dans l’extension de nos essais, le renforcement de notre Ă©quipe et le dĂ©ploiement de nos premières missions opĂ©rationnelles.
Nous devons faire rĂŞver la jeunesse Ă nouveau. L’aviation m’a construit et elle m’a relevĂ© quand je suis tombĂ© malade. Plane B, ce n’est pas seulement un avion, c’est une invitation Ă rĂ©inventer nos horizons collectifs. L’avion n’est pas l’ennemi, c’est l’un de nos plus formidables atouts face aux dĂ©fis globaux.
Pour plus d’informations sur Plane B et l’Odyssey for Life, visitez plane-b.org