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Aurélien Bigo, Chaire Énergie et Prospérité : l’impact de l’électrification des véhicules – avril 2023

Par : Joëlle Touré 27 avril 2023 no comments

Aurélien Bigo, Chaire Énergie et Prospérité : l’impact de l’électrification des véhicules – avril 2023

Le 18 avril 2023, pour ouvrir la première séance de sa série dédiée à l’impact de l’électrification des véhicules, Futura-Mobility a rencontré Aurélien Bigo, chercheur associé indépendant sur la transition énergétique des transports, rattaché à la Chaire Energie & Prospérité. Lors de sa présentation, il a exposé son analyse de la place de l’électrification dans la transition énergétique des transports en France.

FM : Comment les déplacements en France ont évolué depuis la révolution industrielle ?

AB : Si on regarde d’une manière assez schématique sur les trois critères que sont la demande de transport, le nombre de trajets et le temps passé dans les transports, les deux derniers sont restés relativement stables depuis 1 800 jusqu’à 2017 en France. En moyenne, on observe entre 3 et 4 trajets par jour et par personne et 15 à 20 minutes de temps dédié à chaque trajet. Ce dernier chiffre est d’ailleurs le même quel que soit le mode de transport utilisé, que ce soit la marche, le vélo, les transports en commun, la voiture…

Par contre, ce qui a explosé au cours des années, c’est le nombre de kilomètres parcourus, donc ce qu’on appelle « la demande de transport ». Il y a eu un report majeur de la marche vers la voiture à partir des années 1950’s. Il y a un facteur 10 entre la vitesse de la voiture et la vitesse de la marche. C’est cette accélération de la vitesse moyenne de déplacement qui a permis de multiplier par 10 à 12 les distances moyennes de déplacement. Cela a permis de gagner en accessibilité, d’aller plus loin.

FM : Où en est la France sur le plan de la décarbonation des transports ?

AB : La hausse des kilomètres parcourus a engendré une forte hausse des émissions de CO2 des transports intérieurs à la France jusqu’au début des années 2000, suivie d’une stabilité dans les années 2010. Puis en 2020, une baisse assez marquée en raison de la crise du Covid19 suivie d’un rebond même si on n’a pas encore retrouvé le niveau de 2019, qui est assez élevé.

L’objectif de zéro émission directe pour les transports terrestres en France en 2050 représente une décarbonation complète qui va des voitures aux poids lourds, en passant par les utilitaires légers, les cars, les bus, le transport fluvial… et donc plus une seule goutte d’énergie fossile.

Atteindre ce but est un défi majeur au vu de toutes les inerties dans le système de transport :  à la fois dans l’aménagement du territoire qui est très structurant, dans les flottes de véhicules qui mettent un certain temps pour se renouveler, ou encore dans les pratiques de mobilité. On observe une certaine inertie aussi dans les politiques publiques, surtout face à cette rupture qui doit avoir lieu à court terme et qui demande des politiques publiques très ambitieuses. On a pris beaucoup de retard vis-à-vis de ces objectifs climatiques !

Il y a aussi d’autres impacts de la mobilité à prendre en compte au niveau environnemental sur la pollution de l’air, l’épuisement des ressources et l’occupation de l’espace publique ; au niveau social avec les inégalités territoriales, les vulnérabilités sociales et l’accessibilité aux transports ; enfin au niveau sanitaire avec les impacts du bruit des transports et de l’inactivité sur la santé. À noter que les 2/3 des impacts sanitaires ou sociaux liés du bruit sont générés par les transports ! De plus, 95 % de la population française est soit trop sédentaire et/ou trop inactive. Il ne faut pas non plus oublier les enjeux de l’accidentalité qui ne baisse plus depuis une dizaine d’années malgré de forts progrès avant cela.

FM : Quels sont les leviers pour décarboner les transports ?

AB : Il y a cinq leviers pour décarboner les transports : la demande de transport, le report modal, le remplissage des véhicules, la consommation énergétique des véhicules et l’intensité carbone de la source d’énergie utilisée. L’électrification opère à la fois comme un levier d’intensité carbone et d’efficacité énergétique des véhicules.

Quand on analyse le passé, on voit que la demande des transports est le facteur majeur de l’évolution des émissions de CO2 dans les transports en France. Les 4 autres leviers se sont principalement compensés entre eux.

En moyenne par kilomètre parcouru, les émissions de CO2 ont un peu baissé sur les dernières décennies, de 12%. Le report modal ainsi que le remplissage des véhicules ont plutôt joué dans la mauvais sens  – donc il y a eu un report modal vers la voiture et une forme de « dé-covoiturage ». Au contraire les consommations énergétiques des véhicules ont baissé via les progrès sur les moteurs thermiques essentiellement, alors que l’électrification n’a pas encore eu vraiment d’impact vu le faible nombre de véhicules dans le parc. L’intensité carbone de l’énergie a assez peu baissé, un peu au moment du développement des biocarburants mais si on regarde en analyse de cycle de vie complet, ils sont loin d’être si vertueux.

Finalement, tout compris, on a des émissions de CO2 assez stables depuis le début des années 2000 dans le transport des voyageurs en France.

Donc si on regarde dans le passé, les leviers de sobriété ont plutôt joué dans le mauvais sens et les leviers technologiques dans le bon sens, mais ils se sont compensés sur les dernières années. Autre point marquant, les politiques publiques dans les transports ont eu un impact assez limité sur la décarbonation de la mobilité.

FM : Quel rôle joue l’électrification pour décarboner les transports ?

AB : A l’horizon 2050, les 2 principaux leviers sur lesquels se base la stratégie nationale bas carbone (SNBC) pour baisser les émissions de CO2 sont la baisse de consommation d’énergie des véhicules et de l’intensité carbone des énergies. A l’horizon 2050, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) repose principalement, jusqu’en 2035 environ, sur l’efficacité énergétique des moteurs, puis dans la seconde période, sur la décarbonation de l’énergie utilisée… donc des leviers technologiques principalement.

Mais attention, selon la SNBC, l’électrique devrait dominer très largement pour les voitures et le train à l’horizon 2050, mais pas pour les autres modes de transport. Pour les utilitaires légers, la moitié de la consommation d’énergie pourrait venir de l’électrique. Pour les poids lourds, les transports en commun et routiers, la part de l’électrique devrait être plus faible. Dans le fluvial, les transports maritime et aérien, il n’y aurait pas beaucoup d’électrification, sauf quelques applications sur des marchés de niche.

FM : Finalement, le véhicule électrique, bon ou mauvais élève pour aider à résoudre le problème climatique ?

AB : Sur l’impact carbone, si on compare la voiture thermique – une Renault Clio par exemple – avec une voiture électrique – une Renault Zoe – il y a une division par un facteur 2 à 5 des émissions de gaz à effet de serre en analyse de cycle de vie. C’est une baisse assez majeure, mais ce n’est pas suffisant pour atteindre nos objectifs climatiques d’ici à 2050, parce qu’il faut réduire encore plus fortement les émissions et surtout parce que le temps de renouvellement du parc automobile est long.

La voiture électrique est meilleure que la voiture thermique pour relever certains défis environnementaux majeurs (moins de CO2, de pollution sonore et de dépendance au pétrole), mais elle n’a pas d’effet sur l’occupation de l’espace publique, l’accidentologie ou l’inactivité physique, et elle va plutôt ajouter des défis sur la consommation des métaux et sur les enjeux géopolitiques, environnementaux et sociaux qui y sont liés.

Si on la compare à d’autres types de véhicules plus légers et plus sobres, la voiture électrique va émettre plus de CO2, consommer plus d’énergie et utiliser plus de ressources minières pour sa fabrication.

D’où l’intérêt d’explorer les véhicules dits « intermédiaires » entre le vélo et la voiture électriques.

Cette sobriété est aussi importante par rapport aux prix, car elle va permettre de produire davantage de véhicules et d’offrir cette mobilité électrique à un plus grand nombre. Une voiture électrique d’environ une tonne coûte autour de 20 000 euros à l’achat. Une voiture électrique de deux tonnes, à l’achat c’est environ 50 000 euros. Donc chaque fois qu’on augmente le poids d’un véhicule de 100 kg, le prix augmente de 3 000 euros. D’où l’intérêt aussi d’aller vers des véhicules plus légers pour les rendre accessibles.

FM : Quelle est votre vision de l’évolution des batteries ? Que peut-on en attendre ?  

AB : Concernant les batteries du futur, il y a eu des mouvements assez importants sur les chimies de batteries ces dernières années, notamment une sorte de résurgence des batteries lithium-fer-phosphate qui permettent de ne pas utiliser le cobalt et le nickel – ce qui est assez loin d’être négligeable, même si elles ont une densité énergétique moins bonne. Il y a aussi un mouvement vers les batteries nickel-manganèse-cobalt (NMC) qui ont une plus faible part de cobalt également.

Prévoir ou anticiper le futur des batteries, c’est assez difficile au vu de la vitesse à laquelle les technologies peuvent évoluer, mais des marges de manœuvre existent sur le prix ou la densité énergétique selon la chimie privilégiée : les batteries à électrolyte solide, le remplacement du lithium par le sodium, etc. Cela va évoluer certainement aussi en fonction des tensions sur les métaux. L’intérêt d’avoir des chimies différentes est que ça permet de s’adapter en fonction de ces tensions.

FM : Finalement, quelles orientations prendre pour arriver à décarboner les transports ?

AB : Le véhicule électrique va répondre à un certain nombre d’enjeux. Cependant, il faudrait aller autant que possible vers des mobilités plus sobres. Une partie des voitures actuelles pourrait notamment être remplacée par des véhicules intermédiaires car les coûts sont plus intéressants et les bénéfices plus importants comme la sobriété en ressources, la moindre occupation d’espace et l’incitation à une vie plus active au quotidien, par exemple.

Il faudrait également modérer la demande de transport, travailler sur l’aménagement des territoires et l’urbanisme… il y a des questions difficiles à se poser si on veut atteindre l’objectif de décarbonation en 2050. Il faut agir sur l’ensemble des cinq leviers de réduction des émissions et en tout cas éviter d’être dans le solutionniste technologique qu’on voit trop souvent aujourd’hui. Une chose est très claire, à court terme on ne peut pas atteindre cet objectif de décarbonation des transports terrestres en France sans les leviers de sobriété.