đ IntĂ©grer la biodiversitĂ© dans la gestion des systĂšmes de transport : bonnes pratiques et innovations
đ IntĂ©grer la biodiversitĂ© dans la gestion des systĂšmes de transport : bonnes pratiques et innovations
Avec des intervenants experts des secteurs ferroviaire, maritime, routier et aĂ©roportuaire, cette deuxiĂšme sĂ©ance de Futura-Mobility sur la Biodiversité et Transports, a Ă©tĂ© lâoccasion le 21 mai 2025, dâĂ©changer autour des solutions mises en place par les systĂšmes de mobilitĂ© pour protĂ©ger la biodiversitĂ© et Ă©tablir une coexistence bĂ©nĂ©fique.

đ¶ VALORISATION ECONOMIQUEÂ
Valorisation des services écosystémiques avec ECOV4R
PrĂ©sentĂ© par Dr Mike Image, environnementaliste agréé et associĂ© dâAtkinsRĂ©alis, et Marie-Claire Jalaguier, scientifique de lâenvironnement dâAtkinsRĂ©alis, le projet Ecosystem Valuation for Railways (ECOV4R) est axĂ© sur le concept de valorisation Ă©conomique des services Ă©cosystĂ©miques.
Selon le projet, les principaux services Ă©cosystĂ©miques fournis par les habitats ferroviaires sont gĂ©nĂ©ralement des services de rĂ©gulation ou des services culturels : sĂ©questration du carbone par les arbres, la vĂ©gĂ©tation et les sols, rafraichissement microclimatique â particuliĂšrement important dans les zones urbaines, prĂ©vention de l’Ă©rosion, fourniture dâhabitats pour les pollinisateurs et espĂšces rares dans les espaces en bordure de voie, Ă©cran visuel et amĂ©lioration du paysage, activitĂ©s de loisir, etc. « Au Royaume-Uni, ce type de rĂ©flexion est dĂ©jĂ bien Ă©tablie dans d’autres secteurs nĂ©cessitant des infrastructures tels que les services de distribution dâeau et les autoroutes, » souligne Dr Image.


Entre 2024 et 2026, le projet ECOV4R avec ses partenaires (voir illustration ci-dessus) vise Ă fournir un cadre global commun pour donner une valeur aux services Ă©cosystĂ©miques dans le contexte des projets ferroviaires. Afin dâinciter une gestion fonciĂšre plus durable, ce cadre se veut pragmatique et utilisable par des non-spĂ©cialistes. Lâapproche suit une dĂ©marche Ă©tablie, adaptĂ©e aux spĂ©cificitĂ©s ferroviaires, en trois Ă©tapes principales :
– Phase A : Ă©valuation de rĂ©fĂ©rence. Un registre des actifs naturels est Ă©tabli (Ă©tendue, qualitĂ©, configuration spatiale) et les services Ă©cosystĂ©miques qu’ils rendent sont identifiĂ©s, y compris le « soft estate », câest-Ă -dire le paysage environnant (accotements, talus et terrains environnants vĂ©gĂ©talisĂ©s) au-delĂ de la ligne de chemin de fer elle-mĂȘme.
– Phase B : lâidentification des impacts sur les actifs naturels. Cette phase permet dâidentifier lâĂ©volution attendue du registre des actifs naturels (type, Ă©tendue, qualitĂ©, configuration des habitats) Ă la suite des travaux d’infrastructure ferroviaire ou dâamĂ©liorations au soft estate.
– Phase C : lâidentification des impacts sur les services Ă©cosystĂ©miques. Cette phase identifie les changements attendus dans les services Ă©cosystĂ©miques fournis par les actifs naturels Ă la suite du projet proposĂ©. L’Ă©valuation doit prendre en compte et sĂ©lectionner les services Ă©cosystĂ©miques les plus susceptibles d’ĂȘtre affectĂ©s. « Ă ce stade, nous devons Ă©galement rĂ©flĂ©chir aux personnes qui seront touchĂ©es. C’est ce qui rend les projets ferroviaires si intĂ©ressants, car, comme ils relient des zones urbaines, ils peuvent potentiellement avoir un impact sur un grand nombre de personnes », ajoute le Dr Image.
– Phase D : La valorisation des impacts. Le porteur de projet qualifie dâabord les changements puis, quand câest possible, les quantifie (par exemple, tonnes de carbone de dioxyde sĂ©questrĂ©es pour le service Ă©cosystĂ©mique de rĂ©gulation du climat). Si câest faisable, les bĂ©nĂ©fices ou les impacts nĂ©gatifs peuvent ĂȘtre valorisĂ©s en euros si des donnĂ©es sont disponibles. Pour arriver Ă valoriser Ă©conomiquement, « nous recommandons gĂ©nĂ©ralement d’utiliser des approches de transfert de valeur qui s’appuient sur des donnĂ©es secondaires fournies par dâautres organismes comme la valorisation de la tonne de carbone absorbĂ© par type dâhabitat par le gouvernement britannique par exemple », explique Dr Image. « La valorisation Ă©conomique est cruciale car câest elle qui permet une analyse coĂ»ts / bĂ©nĂ©fices sur les projets. »
– Finalement, Phase E : lâutilisation et lâinterprĂ©tation des rĂ©sultats est une Ă©tape de prise de recul pour examiner les principales conclusions, les rĂ©sultats chiffrĂ©s (par exemple, les degrĂ©s d’incertitude) et les usages des donnĂ©es (par exemple, pour la Corporate Sustainability Reporting Directive de lâUE ou la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures).
Le cadre mĂ©thodologique ECOV4R peut ĂȘtre utilisĂ© Ă nâimporte quelle Ă©tape dâun projet, pendant la phase de conception avant le dĂ©marrage des travaux ou dĂšs quâun projet ferroviaire sâachĂšve, ce qui peut aider Ă contrĂŽler les bĂ©nĂ©fices.
Depuis fĂ©vrier 2025, ECOV4R a Ă©tĂ© testĂ© sur deux projets pilotes. Le premier, sur la ligne ferroviaire appelĂ©e « Cotswold » au Royaume-Uni, vise Ă rĂ©duire les risques d’inondation et Ă amĂ©liorer la biodiversitĂ©. Le second, en Espagne, consiste en une Ă©valuation rĂ©trospective d’un projet achevĂ© de modernisation de la ligne ferroviaire Ă grande vitesse entre Valladolid et LeĂłn, qui va permettre Ă©galement dâĂ©valuer les mesures d’attĂ©nuation des impacts environnementaux du projet.


« Nos Ă©valuations pilotes seront achevĂ©es d’ici le mois d’aoĂ»t, puis les derniĂšres mises Ă jour du cadre ECOV4R effectuĂ©es d’ici le mois d’octobre », explique Mme Jalaguier. La publication finale du cadre ECOV4R et un Ă©vĂ©nement pour en diffuser le contenu sont prĂ©vus en janvier 2026.

« Les objectives du projet ECOV4R sont dâamĂ©liorer la comprĂ©hension des services Ă©cosystĂ©miques dans le secteur ferroviaire, de construire des justifications Ă©conomiques pour les solutions basĂ©es sur la nature, et de fournir une mĂ©thode d’Ă©valuation reproductible et auditable », rĂ©sume Mike Image.
đ FERROVIAIREÂ
La biodiversité : enjeux & prise en compte à la SNCF
En France, le Groupe SNCF est responsable de 28 000 km de lignes ferroviaires, 88 000 hectares de dĂ©pendances vertes (espaces vĂ©gĂ©talisĂ©s bordant les infrastructures de transport), 3 000 gares et plusieurs centaines de sites industriels. Pour la biodiversitĂ©, « on travaille sur lâimpact globale de nos activitĂ©s dans lâensemble du Groupe, pas en silo », prĂ©cise  Anne Guerrero, directrice de la dĂ©lĂ©gation Ă la transition Ă©cologique au sein de la direction RSE Groupe (DRSE). « On identifie les principales interactions avec la biodiversitĂ©, on dĂ©termine les enjeux et les effets sur la biodiversitĂ©, puis on priorise les actions. On travaille comme pour le carbone, avec les scopes 1, 2 et 3 ».
Sur le scope 1 (impacts directs des activitĂ©s du Groupe), les impacts nĂ©gatifs sont la destruction des habitats et des espĂšces, lâartificialisation des sols, la fragmentation des territoires, le risque de collisions avec la faune et la pollution lumineuse. Du cĂŽtĂ© positif, lâĂ©tendue des emprises de la SNCF, notamment ses 88 000 hectares de dĂ©pendances vertes, reprĂ©sente aussi des opportunitĂ©s pour la faune et notamment les oiseaux, les chauves-souris, les papillons, reptiles ou amphibiens. Les dĂ©pendances peuvent jouer le rĂŽle de diversification des habitats par rapport Ă certains environnements, de refuge et de corridor Ă©cologique longitudinal.

Pour ce scope 1, le Groupe dĂ©veloppe des indicateurs. « Contrairement au carbone qui a un indicateur unique (les Ă©missions de gaz Ă effet de serre), la biodiversitĂ© a des Ă©chelles dâimpact complĂštement diffĂ©rentes, entre local et global, donc câest impossible de piloter un seul indicateur », explique Mme Guerrero.
Les scopes 2 et 3 concernent les impacts de la consommation dâĂ©nergie du Groupe et de sa chaine de valeur sur la biodiversitĂ©, tels les Ă©missions de GES, les approvisionnements, lâachat et la consommation de matiĂšres premiĂšres, la consommation dâeau. SNCF a testĂ© lâoutil Global Biodiversity Score (GBS) dĂ©veloppĂ© par CDC BiodiversitĂ© pour mesurer lâempreinte de ces impacts sur la biodiversitĂ©.

Dans la stratĂ©gie RSE du Groupe, prĂ©server la biodiversitĂ© figure parmi les trois axes principaux (avec la dĂ©carbonisation des activitĂ©s et le dĂ©veloppement de lâĂ©conomie circulaire) pour rĂ©duire lâimpact environnemental de ses activitĂ©s. Ses actions se traduisent notamment par des engagements pris depuis 2018 et renouvelĂ©s en 2024 dans le cadre de lâinitiative volontaire Act4Nature International.
VĂ©gĂ©tation, eau, terre et bĂąti â actions engagĂ©es sur nos opĂ©rations directes (scope 1)
Le long de son infrastructure linĂ©aire, SNCF RĂ©seau fait Ă©voluer les modes opĂ©ratoires de la maĂźtrise de la vĂ©gĂ©tation pour mieux prendre en compte la biodiversitĂ©. LâarrĂȘt de lâutilisation du glyphosate fin 2021 par exemple fait partie de ces efforts. « On est le premier gestionnaire dâinfrastructure ferroviaire en Europe Ă lâavoir fait ! », se fĂ©licite Cora Cremezi-Charlet, experte bruit, qualitĂ© de lâair, biodiversitĂ© Ă la DRSE de SNCF. « CouplĂ©e avec des trains dĂ©sherbeurs Ă pulvĂ©risation ciblĂ©e sur la vĂ©gĂ©tation, cette dĂ©marche a vraiment permis de rĂ©duire drastiquement notre utilisation de produits phytosanitaires de synthĂšse ».

Le Groupe mĂšne Ă©galement des actions pour identifier et rĂ©duire les obstacles potentiels que constituent ses voies, ponts et autres infrastructures Ă la circulation de la faune terrestre et aquatique. Afin de perturber le moins possible les animaux, les continuitĂ©s Ă©cologiques terrestres sont restaurĂ©es avec des amĂ©nagements, comme les passages Ă faune ou traverses crapauduc, pour rendre les emprises franchissables en sĂ©curitĂ©. Pour les cours dâeau, dont le lit peut ĂȘtre impactĂ© par les fondations dâun pont par exemple, ce travail consiste Ă installer des amĂ©nagements tels que des rampes en enrochement permettant aux espĂšces de circuler Ă nouveau.
CĂŽtĂ© circulation des trains, pour prĂ©venir les heurts avec la grande faune sauvage, des effaroucheurs sonores utilisant de nouveaux signaux synthĂ©tisĂ©s sont Ă lâessai aujourdâhui.

Depuis plusieurs annĂ©es, la prise de conscience grandit au sein du Groupe, historiquement dĂ©veloppĂ©e chez SNCF RĂ©seau, sâest ainsi Ă©tendue au sein des diffĂ©rentes activitĂ©s. Gares & Connexions et SNCF Voyageurs, par leurs bĂątiments et Ă©tablissements industriels, peuvent tout Ă fait avoir des impacts positifs et apporter des solutions en vĂ©gĂ©talisant les toitures ou les parvis, et en pratiquant la gestion diffĂ©renciĂ©e par exemple.

Pour accompagner et renforcer le tout, SNCF souhaite aussi changer le regard de ses agents, « les sensibiliser pour quâil se reconnectent au vivant qui les entoure sur leur site », explique Mme Cremezi-Charlet. Cette campagne comprend un webinaire interne, une lettre pĂ©riodique et dâautres supports.
âïž MER
« Vitesses Bleues » pour protéger les cétacés
Des milliers de navires commerciaux sillonnent la planĂšte. Le transport maritime gĂ©nĂšre la majoritĂ© des Ă©missions de bruit sous-marin dâorigine humaine avec des impacts sur la vie marine. Lâaugmentation du nombre de navires et de leur vitesse entraĂźne un risque accru de collisions avec les cĂ©tacĂ©s. Dans ce contexte, et suite Ă la prĂ©sentation dâOlivier Adam lors de la sĂ©ance de Futura-Mobility BiodiversitĂ© et Transports : un dĂ©fi crucial pour lâavenir de tous, Aurore Morin, chargĂ©e de campagne âConservation Marineâ au Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) a prĂ©sentĂ© les actions menĂ©es par lâorganisation pour lutter contre ces problĂšmes « invisibles ».
IFAW soutient soutient plusieurs technologies existantes qui contribuent Ă protĂ©ger la vie marine de ces dangers : lâutilisation d’hĂ©lices innovantes pour Ă©viter la cavitation (la formation et lâimplosion de bulles de vapeur dâeau causĂ©es par la variation de la pression), l’isolation des moteurs et l’optimisation de la forme de la coque.
« Des entreprises comme Maersk ont dĂ©montrĂ© que ces solutions peuvent effectivement rĂ©duire le bruit et amĂ©liorer l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique », explique Mme Morin. Cependant elles sont coĂ»teuses, nĂ©cessitant des investissements financiers consĂ©quents et lâimmobilisation des navires, alors mĂȘme que les bĂ©nĂ©fices n’apparaissent qu’Ă moyen-long terme.

IFAW promeut surtout les « vitesses bleues ». LancĂ©e en 2023, cette solution vise Ă fixer un plafond de vitesse Ă 75% de la vitesse maximale de conception des navires, sur l’intĂ©gralitĂ© du voyage entrepris. Cela correspond, selon IFAW, Ă une rĂ©duction de 5 Ă 10 % de la vitesse. « Câest une solution peu coĂ»teuse qui peut ĂȘtre mise en Ćuvre immĂ©diatement », signale Mme Morin. « Elle permet de rĂ©duire le bruit sous-marin de 40 % et les collisions avec les baleines de 50 %, tout en diminuant les Ă©missions de gaz Ă effet de serre des navires. Elles gĂ©nĂšrent des Ă©conomies annuelles de carburant pouvant aller de 3,4 Ă 4,5 milliards d’euros ».


« On espĂšre faire des vitesses bleues une rĂ©alitĂ© dans le monde entier. Mais on a choisi de se concentrer d’abord sur l’espace Ă©conomique europĂ©en », prĂ©cise Mme Morin. Conscient quâune rĂ©duction volontaire crĂ©erait une distorsion de concurrence pour les compagnies, IFAW plaide pour l’inscription de ces rĂ©glementations de vitesse dans la lĂ©gislation europĂ©enne.
đ TERRE
Perspectives du projet Bison
Le projet europĂ©en BISON (Biodiversity & Infrastructures Synergies and Oppportunities for European Transports Networks) est menĂ© par un consortium de 39 membres europĂ©ens et pays associĂ©s. Il vise lâintĂ©gration de la biodiversitĂ© dans le dĂ©veloppement des infrastructures tel que les routes, les chemins de fer, les voies navigables, les aĂ©roports, les ports ou les rĂ©seaux de transport dâĂ©nergie.
En 2021 et 2022, les partenaires de BISON ont menĂ© une Ă©tude prospective sur l’intĂ©gration de la biodiversitĂ© dans toutes les infrastructures de transport linĂ©aire Ă lâhorizon 2050. Quatre scĂ©narios Ă 2050 ont Ă©tĂ© Ă©tablis et Ă©tudiĂ©s :
- ScĂ©nario 1 : lâeffondrement du systĂšme de transport, la gestion de situations d’urgence.
- ScĂ©nario 2 : la durabilitĂ© reste un vĆu pieux, on reste sur les tendances habituelles.
- ScĂ©nario 3 : la dĂ©carbonation et lâadaptation au changement climatique, quelles solutions pour rĂ©duire les Ă©missions de CO2 ?
- ScĂ©nario 4 : les changements intersectoriels qui s’attaquent Ă toutes les limites planĂ©taires. Ce scĂ©nario s’appuie sur la recherche systĂ©matique de solutions Ă tous les dĂ©fis.

Ces scĂ©narios ont montrĂ© que la focalisation sur la seule dĂ©carbonation, sans prendre en compte la biodiversitĂ©, risquerait d’aggraver la situation Ă©cologique globale. L’importance Ă©conomique de la biodiversitĂ© est aussi soulignĂ©e : 50 Ă 60 % du PIB mondial dĂ©pend directement de la bonne santĂ© de la biodiversitĂ©, contrastant avec les investissements minimes qui lui sont dĂ©diĂ©s.
« Le scĂ©nario 4, mĂȘme sâil est difficile Ă mettre en Ćuvre, est celui qui nous a servi Ă Ă©laborer l’agenda stratĂ©gique livrĂ© Ă la Commission europĂ©enne », explique Sylvain Moulherat, co-fondateur, DG et responsable scientifique de TerrOĂŻko et prĂ©sident de lâA-IGĂco, qui a largement participĂ© Ă lâĂ©laboration de lâĂ©tude.
Cet agenda SRDA propose deux grands axes dâactions Ă mettre en place :
- le changement transformatif des modes de gouvernance, et de la rĂ©gulation et des politiques publiques, « avec un gros sujet sur la financeâŠÂ »
- les grandes orientations techniques Ă mettre en place sur le terrain.

En plus des livrables, BISON a Ă©galement publiĂ© un guide en ligne â BIODIVERSITY AND INFRASTRUCTURE: an online handbook for promoting cooperation and transformative change â pour aider les acteurs des transports et de lâĂ©cologie Ă travailler ensemble pour parvenir Ă un dĂ©veloppement plus durable des infrastructures.
AttĂ©nuer les impacts des infrastructures de transport, lâexpĂ©rience nĂ©erlandaise
Edgard van der Grift, Ă©cologiste de recherche principal au DĂ©partement d’Ă©cologie animale, Wageningen University & Research, a partagĂ© son retour dâexpĂ©rience sur les mesures prises aux Pays-Bas, pays trĂšs en avance par rapport aux autres sur le sujet.
Les Pays-Bas, qui couvrent une superficie de 37 354 km2, ont une densitĂ© Ă©levĂ©e d’environ 3,5 km d’infrastructures de transport (routes, voies ferrĂ©es, canaux) par kilomĂštre carrĂ©, ce qui signifie qu’environ 2,5 % du pays est couvert par ces infrastructures. Fort de ces constats, depuis les annĂ©es 1990, les dĂ©cideurs politiques se sont rendus compte de lâurgence d’agir contre la fragmentation des habitats causĂ©e par une telle densitĂ© dâinfrastructures, et de la nĂ©cessitĂ© de crĂ©er des corridors Ă©cologiques ou des connexions pour maintenir les populations de faune et flore Ă risque.
La construction des infrastructures de transport aux Pays-Bas au fil des ans a conduit Ă l’existence de petites parcelles d’habitat avec « de petites populations isolĂ©es qui sont trĂšs vulnĂ©rables Ă l’extinction », explique M. van der Grift. « Sans connexions, sans couloirs, ils disparaĂźtront tout simplement.
« Cependant, dans les annĂ©es 1990, chacun a prĂ©sentĂ© ses propres propositions, ses propres plans de mesures », explique-t-il. « Les provinces, les municipalitĂ©s, les ONG, les propriĂ©taires fonciers, les diffĂ©rents ministĂšres et tous les autres acteurs concernĂ©s travaillaient en silos. Il Ă©tait donc extrĂȘmement difficile d’Ă©valuer et de comparer les mesures prises ».

Pour rĂ©soudre ce problĂšme, les ministĂšres nĂ©erlandais de transport, de lâenvironnement et de la planification spatiale ont finalement adoptĂ©, en 2004, une mĂ©thode unique Ă utiliser par tous. Elle repose sur des modĂšles d’analyse de la viabilitĂ© des populations sur le territoire. Ces modĂšles utilisent la comparaison de deux scĂ©narios (voir image ci-dessous), rĂ©alisĂ©s espĂšce par espĂšce et pour un certain nombre dâespĂšces sĂ©lectionnĂ©es. A gauche, les infrastructures de transport existantes sont cartographiĂ©es et, Ă droite, elles sont toutes virtuellement retirĂ©es du paysage. « En d’autres termes, pour la carte de droite, nous faisons comme si toutes les routes, toutes les lignes de chemin de fer et tous les canaux avaient Ă©tĂ© âattĂ©nuĂ©sâ et donc ne reprĂ©sentaient plus de barriĂšres pour la faune », explique M. van der Grift. « Ensuite, nous Ă©valuons les habitats de lâespĂšce en question et dĂ©terminons s’ils sont viables, trĂšs viables ou tout simplement non viables. Ces deux cartes permettent donc de mieux comprendre ce que signifierait la mise en place de mesures d’attĂ©nuation. »

Ces modĂšles permettent dâidentifier les meilleurs emplacements pour les mesures d’attĂ©nuation et de dĂ©finir des prioritĂ©s dâaction en fonction de lâimpact attendu de ces mesures sur les espĂšces (nombre dâespĂšces impactĂ©es, taille des populations concernĂ©esâŠ).
Les mesures dâattĂ©nuation sont principalement constituĂ©es de tunnels ou de ponts fauniques (petits et grands), de clĂŽtures, de gestion de la vĂ©gĂ©tation, de systĂšmes de dĂ©tection d’animaux, et mĂȘme de mesures de rĂ©duction de la vitesse du trafic ou dâavertissement des conducteurs pour quâils adaptent leur comportement. Aux Pays-Bas, 2 500 tunnels environ ont Ă©tĂ© ainsi construits, allant de taille modeste (25 cm) jusqu’Ă des tailles importantes (> 50 m) – selon les espĂšces Ă aider. Il est important que passages soient eux-mĂȘmes des habitats, donc vĂ©gĂ©talisĂ©s « si possible, et plutĂŽt des ponts que des tunnels ».

Pour les routes, voies ferrĂ©es ou canaux, M. van der Grift insiste sur lâimportance dâĂ©valuer l’efficacitĂ© de toutes les mesures introduites. « Il est essentiel de ne pas se contenter de vĂ©rifier que les structures sont utilisĂ©es, mais de vĂ©rifier si les objectifs de viabilitĂ© des populations sont atteints ». Les bons indicateurs de lâefficacitĂ© dâune mesure sont la baisse de la mortalitĂ© par collisions, et surtout in fine la croissance de la population des espĂšces et la richesse des Ă©changes gĂ©nĂ©tiques entre les sous-populations dâune mĂȘme espĂšce dâun cĂŽtĂ© et de lâautre de lâinfrastructure.
âïž AVIATION
La biodiversité en milieu aéroportuaire : des prairies insoupçonnées
Les aĂ©roports abritent de vastes Ă©tendues de prairies naturelles ou semi-naturelles. Dâailleurs en France, ils sont composĂ©s en moyenne de 70 % dâespaces verts. Ces prairies sont souvent Ă©pargnĂ©es par les produits phytosanitaires, ainsi agissant comme de vĂ©ritables refuges pour la faune et la flore. Dans le milieu naturel, les terrains des prairies Ă©tant les plus faciles et les moins coĂ»teux pour construire, celles-ci sont en dĂ©clin Ă l’Ă©chelle europĂ©enne. Afin de valoriser et de protĂ©ger la biodiversitĂ© sur ces terrains uniques, l’association française AĂ©ro BiodiversitĂ©, fondĂ©e en 2015, Ćuvre pour fĂ©dĂ©rer les acteurs de lâaĂ©rien et les scientifiques autour de la connaissance et la valorisation de la biodiversitĂ© sur les plateformes aĂ©roportuaires.
« Les aĂ©roports et aĂ©rodromes en France â un des pays oĂč il y a le plus de terrains aĂ©ronautiques â reprĂ©sentent environ 500 km2 d’espaces verts quand on met bout Ă bout leurs prairies », explique HĂ©lĂšne Abraham, directrice dâAĂ©ro BiodiversitĂ©.
AĂ©ro BiodiversitĂ© travaille essentiellement sur l’Ă©valuation de la qualitĂ© environnementale des prairies Ă travers des protocoles scientifiques participatifs et la promotion de la biodiversitĂ© par le biais de campagnes de communication. Lâassociation se penche Ă©galement sur les moyens d’amĂ©liorer la biodiversitĂ©, par exemple, diminuer le nombre et/ou retarder les fauches, rehausser les hauteurs de tonte ou encore rĂ©duire l’utilisation de produits phytosanitaires, dans le strict respect de la sĂ©curitĂ© aĂ©ronautique en lien avec la DGAC (Direction GĂ©nĂ©rale de lâAviation Civile).

Le label « aerobio » (marque dĂ©posĂ©e), est attribuĂ© pour une durĂ©e de 5 ans aux aĂ©roports afin de valoriser leur travail et les engagements inscrits dans la dĂ©marche de lâassociation. LâĂ©valuation est basĂ©e sur des critĂšres multiples comme la biodiversitĂ©, lâimplication de la plateforme, la communication et lâancrage territorial. A ce jour, 11 plateformes sont labellisĂ©es.

La prĂ©servation de la biodiversitĂ© est au cĆur de l’engagement Ă©cologique du Groupe ADP. Ses aĂ©rogares en Ile-de-France constituent plus de 2 500 hectares de prairies et d’espaces verts, un enjeu de taille dans un contexte urbain dense. Le Groupe a d’ailleurs Ă©tĂ© l’un des premiers acteurs du secteur Ă travailler avec AĂ©ro BiodiversitĂ©. Aujourdâhui, ses plateformes Paris-Orly et Paris-Charles de Gaulle sont labellisĂ©es par lâassociation.

Les engagements du Groupe ADP pour la biodiversitĂ© s’articulent autour de quatre piliers :
- La prĂ©servation des milieux naturels, avec un engagement de 25 Ă 30 % d’espaces dĂ©diĂ©s Ă la biodiversitĂ©. Le plan de gestion Ă©cologique des espaces verts inclue une dĂ©marche zĂ©ro phytosanitaire, de la fauche diffĂ©renciĂ©e et si possible tardive – une fois par an voire une fois tous les deux ans – ainsi que des actions innovantes d’effarouchement et de renaturation, visant Ă prĂ©venir les risques de collisions.
- L’intĂ©gration des enjeux de biodiversitĂ© dans la construction, la rĂ©novation, le maintien des infrastructures et de l’immobilier, qui se traduit par le choix de matĂ©riaux adaptĂ©s, l’installation de nichoirs, ou encore la vĂ©gĂ©talisation du parcours passagers et des toitures.
- La mobilisation et la sensibilisation des acteurs de la communautĂ© aĂ©roportuaire, en particulier des actions de sensibilisation des passagers dans le but de lutter contre le trafic d’espĂšces sauvages.
- LâintĂ©gration de la biodiversitĂ© Ă l’Ă©chelle stratĂ©gique, visant Ă amĂ©liorer les capacitĂ©s de mesure des risques financiers liĂ©s Ă la biodiversitĂ© afin de les considĂ©rer dans les dĂ©cisions d’investissement, et ainsi s’aligner sur les ambitions cadres internationaux tels que lâAccord de Kunming-MontrĂ©al.
« Depuis 2022, le Groupe ADP mesure de son empreinte biodiversitĂ© â le bilan carbone de la biodiversitĂ© â cela nous permet de gagner en cohĂ©rence par une analyse plus fine de nos dĂ©pendances et nos impacts pour agir sur les leviers les plus structurants de prĂ©servation de la nature et la planifier sur le long terme », Ă©largit Emilie Matjasic, Responsable biodiversitĂ© au sein du Groupe ADP. « Ces bilans nous ont conduit Ă une approche plus holistique qui ne se limite pas Ă la seule gestion des prairies, et inclut dĂ©sormais pleinement notre façon de construire, par exemple », signale Mme Matjasic.
Par ailleurs, le Groupe ADP travaille sur l’amĂ©lioration de ses connaissances sur les enjeux de biodiversitĂ© de chacune de ses plateformes Ă une Ă©chelle trĂšs locale. Tout d’abord, par la rĂ©alisation de diagnostics Ă©cologiques complets et d’inventaires volontaires complĂ©mentaires qui visent Ă identifier avec prĂ©cision les habitats et espĂšces d’intĂ©rĂȘt Ă©cologiques prĂ©sents â c’est-Ă -dire les espĂšces sur protĂ©gĂ©es, classĂ©es sur liste rouge, d’intĂ©rĂȘt communautaire ou avec une importance patrimoniale â les donnĂ©es fournies sont mises Ă disposition des collaborateurs au travers d’une cartographie interactive pour faciliter leur utilisation. Le Groupe a Ă©galement obtenu une subvention de la Commission EuropĂ©enne pour concevoir un tableau de bord plus complet permettant le monitoring complet de la biodiversitĂ© sur un aĂ©roport qui pourra servir Ă terme Ă d’autres plateformes du secteur.

Pour dĂ©montrer que ces efforts portent leurs fruits, Ămilie Matjasic Ă©voque l’une des success story du Groupe ADP, celle du moineau friquet. EspĂšce particuliĂšrement menacĂ©e, sa population diminue de 15 % par an au niveau mondial. « Elle est en trĂšs forte diminution en Ăle-de-France oĂč seulement 8 colonies sont encore observĂ©es » rappelle Mme Matjasic. « Et deux d’entre elles cohabitent avec nos activitĂ©s. L’une niche directement sur notre aĂ©roport de Paris-Orly et l’autre a Ă©tĂ© localisĂ©e aux alentours de Paris-Charles de Gaulle. Aujourd’hui, nous mettons en place de nombreux efforts pour constituer un milieu favorable Ă sa prĂ©sence. »
Des compétences à valoriser au plus haut niveau
Cette séance de Futura-Mobility a démontré que les compétences et les bonnes pratiques existent depuis de nombreuses années en matiÚre de protection de la biodiversité par les systÚmes de transport.
Cependant, les dĂ©fis demeurent, notamment la nĂ©cessitĂ© dâadopter une approche globale sur lâensemble des limites planĂ©taires, de coopĂ©rer davantage entre les acteurs et les secteurs, de mieux anticiper pour avoir la capacitĂ© de mesurer l’efficacitĂ© rĂ©elle des actions et d’intĂ©grer pleinement la biodiversitĂ© â et les autres limites ! â dans les stratĂ©gies dâentreprise, au mĂȘme niveau que les objectifs climatiques.
La quantification Ă©conomique des bĂ©nĂ©fices apportĂ©s par la biodiversitĂ© reste un dĂ©fi⊠dont la pertinence fait dâailleurs dĂ©bat aujourdâhui.
Ă suivreâŠ