.. Chargement en cours ..

📌 La décarbonation des mobilités vue des infrastructures de transport

Par : Lesley Brown 4 décembre 2024 no comments

📌 La décarbonation des mobilités vue des infrastructures de transport

Les infrastructures des ports, des aéroports et du transport ferroviaire sont soumises à un double enjeu du point de vue de la décarbonation : décarboner leurs propres activités, et accueillir les prochains vecteurs d’énergie propres pour alimenter les véhicules qu’ils servent.

Futura-Mobility a examiné ce sujet lors de sa dernière séance, le 15 novembre, avec trois experts de SNCF Réseau, du Groupe ADP, et d’HAROPA PORT.

L’objectif de neutralité carbone du Groupe SNCF en 2035 implique des nouvelles solutions tout en tenant compte du contexte économiquement contraint de l’entreprise. Pour SA SNCF Réseau, « il s’agit de maîtriser les coûts pour rendre les projets de décarbonation réalisables à cette échéance », explique Philippe Berthier, responsable du département traction électrique à SNCF Réseau.

Du coté des aéroports, le Groupe ADP a pris un engagement SBTi (Science Based Targets initiative) aligné sur l’accord de Paris pour tous ses plateformes, ce « qui signifie zéro émission nette à l’horizon 2050 », explique Blandine Landfried, directrice de la division climat et transport aérien durable du groupe ADP. « Pour y arriver, on s’engage à faire décroitre nos émissions de carbone à la fois directes de nos aéroports et de nos parties prenantes, majoritairement les compagnies aériennes et leurs avions, d’au moins 90 % entre 2019 et 2050 ». Un des piliers de la stratégie de décarbonation du Groupe ADP souhaite faire de ses aéroports des hubs énergétiques, afin de pouvoir produire et distribuer les énergies nouvelles, décarbonées ou bas carbones.

Pour HAROPA PORT, l’autorité qui gère les ports du Havre, Rouen et Paris, le plus gros enjeu est « d’encourager et d’accompagner les partenaires installés sur nos terrains ou à proximité de décarboner », explique Cédric Virciglio, directeur du pilotage stratégique d’HAROPA PORT.

Solutions et innovations pour la décarbonation

  • L’électrification, un levier essentiel

Pour ces trois acteurs, électrifier les infrastructures, sans être la solution unique, joue un rôle majeur dans cette transition. Chez SNCF Réseau, la décarbonation par l’électrification est aujourd’hui orientée vers les lignes de desserte fine du territoire (LDFT). Ces LDFT sont principalement destinées aux trajets quotidiens assurés par les services organisés et financés par les Régions, ou ÃŽle-de-France Mobilité dans la région francilienne. « Aujourd’hui, beaucoup de LDFT ne sont pas électrifiées, ce qui permet donc de tester différentes solutions sur ses axes-là et aussi d’être en lien direct avec les acteurs et les autorités organisatrices à l’échelle du territoire ».

La mise en place d’un MiniLab au sein de SNCF Réseau il y a environ 5-6 ans a fait émerger la notion d’électrification frugale. L’idée est de profiter de l’émergence ces dernières années des nouvelles opportunités liées au couplage entre les innovations des matériaux roulants et ce que l’infrastructure peut mettre en place pour utiliser au mieux ces nouvelles opportunités technologiques. C’est « une vision système pour surmonter la barrière du coût de l’électrification des lignes pour les régions de France », explique M. Berthier. Une des solutions issues de cette démarche est le train bi-mode électrique-batterie, qui permet de sortir du diesel sur les lignes à faible trafic, sans toutefois avoir à les électrifier en intégralité. Un autre axe de ce travail de frugalité concerne spécifiquement les trajets de « dernier kilomètre » des locomotives de fret : l’équipe du MiniLab cherche des solutions beaucoup plus frugales au sens du coût d’électrification. « Ces trains de fret roulent lentement sur les derniers kilomètres de leur parcours, autour de 30 ou 40 km / heure », explique M. Berthier. « Donc plutôt que d’installer des caténaires pour des trains qui roulent à 160 km/heure, on va s’intéresser à des technologies de caténaires pour ces tronçons qui vont nous coûter moins cher ».

Une troisième approche également à l’étude au sein du MiniLab est l’adaptation des tensions d’électrification. Une partie du réseau ferroviaire est électrifiée en 25 000 volts, une autre en 1 500 volts continus. Beaucoup de travaux sont en cours aujourd’hui sur ces technologies d’alimentation en courant continu pour monter les tensions et donc améliorer la performance et réduire les pertes. « C’est intéressant pour nous car cela pourrait se faire à infrastructure quasiment équivalente, cependant cela nécessite que le matériel roulant soit compatible avec ces tensions-là et donc il faut aussi qu’il y ait un effort du côté des constructeurs ».

L’électrification des opérations au sol et même en vol au sein des aéroports du Groupe ADP comporte de nombreuses actions, allant du développement de stations d’énergies alternatives et hydrogènes pour alimenter les flottes de taxis et véhicules internes à ADP jusqu’au développement d’infrastructures de recharge pour les avions électriques de demain. Uniquement pour les aéroports parisiens, les besoins en électricité qui vont être générés par toutes les opérations au sol vont nécessiter une multiplication par environ 1,5 des puissances actuellement disponibles. « Ce qui va entraîner la modification forte des infrastructures pour rendre notre réseau d’électricité plus fiable et capacitif », explique Mme Landfried.  

Vers une électrification massive des opérations du Groupe ADP (source : présentation de Blandine Landfried)

Pour le fluvial, HAROPA PORT, en collaboration avec Voies Navigables de France (VNF), a développé un réseau d’une centaine de bornes pour permettre aux barges ainsi qu’aux navires de croisière de se brancher à quai dans une premier et de pouvoir recharger des batteries dans un second temps lorsque la propulsion sera totalement électrique – ce programme a bénéficié d’un cofinancement de l’Union européenne. « Dans nos ports, on travaille également sur la partie conteneurs pour amener la puissance électrique aux quais », dit M. Virciglio.

Source : présentation de Cédric Virciglio
  • Diversification des énergies et optimisation des usages

L’ammoniaque, le méthanol, les SAF (Sustainable Aviation Fuels, kérosènes biosourcés ou de synthèse), l’hydrogène, la biomasse, la géothermie, le photovoltaïque…. Diversifier les sources d’énergie va aussi permettre à ces acteurs de décarboner leurs activités.

Dans cette optique, HAROPA PORT cherche à installer sur son domaine des entreprises en mesure de produire un maximum d’énergies vertes, avec, par exemple, des installations de biométhanisation, notamment au Port de Gennevilliers en Ile -de France, ou l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toits des entrepôts ou hangars dans les ports. Idem pour le Groupe ADP, qui utilise déjà la géothermie pour disposer d’eau chaude et investit dans des fermes solaires « dans des régions plus ensoleillés en France que Ile-de-France ! » souligne Mme Landfried.  Le Groupe prévoit également d’installer des panneaux solaires sur ses aéroports parisiens et étudie la capacité à solariser ses prairies aéronautiques, « en veillant particulièrement que l’installation de ces panneaux ne détruisent pas la biodiversité », insiste Mme Landfriend. « Notre objectif 2030 est de faire en sorte que 30 % de notre électricité soit fournie par notre production solaire », elle résume.

Parmi les technologies émergentes, le Groupe ADP mène d’ores et déjà des études pour se mettre en capacité de stocker l’hydrogène. « L’hydrogène est la brique technologique qui représente le plus gros enjeu pour nos aéroports puisqu’elle va demander une gestion nouvelle de bout en bout de la chaine logistique », souligne Mme Landfried. Chez HAROPA PORT, 35 projets pour produire de l’hydrogène le long de l’axe Seine sont en cours avec des acteurs comme Air Liquide et Airbus (voir slide ci-dessous).

Projets en cours pour produire de l’hydrogène le long de l’axe Seine (source : présentation de Cédric Virciglio)

Pour le Groupe ADP, 50 % de l’atteinte des objectifs de décarbonation, en vol, va reposer sur le carburant nouvelle génération SAF, qui va remplacer le kérosène traditionnel.  D’où l’importance d’anticiper les besoins de demain. « On investit du CAPEX dans le développement d’usines pour produire les SAF », confirme Mme Landfried.

Les nouvelles énergies, un levier important pour décarboner le transport aérien (source : présentation de Blandine Landfried)

Un autre axe de décarbonation est l’optimisation énergétique. Parmi les pistes évoquées, SNCF Réseau étudie la récupération de l’énergie de freinage des trains et regarde comment, avec des éléments de stockage ou des sous-stations réversibles, réinjecter cette énergie vers d’autres éléments consommateurs. La création de réseaux intelligents, les smart grids, est une autre solution à l’étude qui vise à optimiser l’utilisation d’énergie.

« On a des études assez avancées sur le smart grid ferroviaire pour comprendre comment on utilise l’énergie et comment la gérer de manière plus pertinente », confirme M. Berthier. Cette démarche concerne, entre d’autres infrastructures, les sous-stations qui alimentent le réseau ferroviaire avec de l’électricité fourni par RTE et Enedis. Demain, au sein d’un smart grid, elles pourraient aussi être alimentées partiellement par des panneaux photovoltaïques, de systèmes de batteries ou de systèmes de production d’énergie à base d’hydrogène. « On pourrait tout à fait injecter aussi ce flux d’énergie aux sous-stations et repartir alimenter le train par le même biais, mais avec un management intelligent de cette énergie qui permet d’optimiser l’utilisation des différentes productions », explique M. Berthier.

Le développement  des technologies d’électronique de puissance est très importante dans le secteur ferroviaire. Elle va permettre de réduire les déséquilibres sur le réseau, de limiter les perturbations sur les lignes et ainsi de mieux gérer l’efficacité énergétique des lignes.

Ces travaux préparatoires ouvrent la voie à un smart grid ferroviaire en 2040-2050. À cet horizon, SNCF Réseau pourra gérer l’énergie de manière dynamique, « ainsi passant d’un réesau passif, c’est-à-dire à sens unique, à un grid réversible et pilotable », ajoute M. Berthier.

Philippe Berthier, responsable du département traction électrique à SNCF Réseau, lors de sa présentation

Le smart grid fait aussi partie de la stratégie du Groupe ADP. « On étudie les possibilités du smart grid pour faire en adéquation l’offre et la demande électrique à l’échelle de nos plateformes par des systèmes de production de énergies renouvelables [EnR] et de stockage batterie », confirme Mme Landfried.

Voies vers la décarbonation – défis, contraintes et collaboration

De la complexité de la modification des infrastructures existantes à la gestion d’une chaîne logistique complexe pour les nouveaux carburants, cette volonté de décarbonation comporte un nombre considérable de défis et de contraintes d’ordres économiques, techniques et logistiques.

L’incertitude sur la disponibilité et la quantité disponible des carburants alternatifs est un des défis à relever. « Pour la décarbonation, on se prépare pour que les ports de demain puissent s’avitailler avec les énergies comme l’ammoniaque, l’hydrogène ou le méthanol, mais on ne sait pas lesquelles seront les énergies du futur », reconnait M. Virciglio. « Ce que nous savons, c’est qu’il n’y aura pas de quantités suffisantes à moyen terme pour servir tous les bateaux. D’où le besoin d’en produire soi-même autant que possible ».

Philippe Berthier souligne que la capacité à maintenir ces technologies avancées – qui vont faire passer SNCF Réseau sur une nouvelle génération d’infrastructures – va nécessiter un accompagnement social et humain important. « Ce sont des technologies très prometteuses mais nos mainteneurs par exemple, qui les découvrent aujourd’hui, n’en ont pas encore la maîtrise.  ». 

Les infrastructures ferroviaires, aériennes, maritimes et fluviales impliquent beaucoup d’éléments physiques et organisationnels. Vu cette complexité, en plus d’investissements importants, la décarbonation implique nécessairement toutes les parties prenantes de ces écosystèmes.

Entretenir les relations et le dialogue avec les autorités organisatrices, par exemple, est clé pour faire aboutir cette transition chez SNCF Réseau. « Les autorités organisatrices sont évidemment très exigeantes sur le coût des projets ferroviaires, notamment les projets d’électrification et c’est une variable extrêmement importante à prendre en compte dans nos démarches », confirme M. Berthier.  Idem pour le Groupe ADP, qui travaille entre autres avec les collectivités territoriales à la mise en place d’un nouveau réseau de chaleur dans les communes de Dugny et du Bourget. L’aéroport du Bourget va se connecter à ce réseau et ainsi faire profiter de l’énergie thermique décarbonée à plus de 60 % des entreprises présentes sur l’aéroport.

Des réglementations incitatives sont également cruciales pour encourager l’adoption de ces infrastructures alternatives, aussi bien qu’un changement des mentalités. « Sans règlement qui impose, les armateurs se branchent peu ou pas du tout aux quais car il s’avère moins cher de laisser tourner le moteur et brûler du fuel ! »  déplore M. Virciglio. « On pourrait multiplier par 6 notre trafic sur barges (fluviales) sans problème », ajoute-t-il. « Le problème ici c’est plutôt la mentalité ‘tout camion’ en France depuis les années 50 ».

La séance se termine par un pas de côté avec une présentation sur les ports du futur. Frédéric Descombes, responsable du hub Ideas Laboratory au CEA, présente les trois scénarios imaginés par les partenaires du projet Infraport (juin 2024) pour répondre aux défis que devront relever les ports maritimes dans le futur. Une ouverture sur long terme, cette vision est en décalage assumé avec le sujet du jour de cette séance.

Les scénarios présentés sont basés sur une exploration stratégique qui tente de répondre à plusieurs défis : changement climatique (montée des eaux, tempêtes et chaleurs extrêmes), transformation du modèle économique, gestion des eaux, des données, nouvelle gouvernance, foncier, sécurité…

Le port île : souterrain

Le port est maintenu sur son site historique mais passe en souterrain. Ceci implique le déchargement des conteneurs et le transport des personnes via des tunnels souterrains reliés aux territoires.

Le port huître : protégé et filtrant

Un port utilisant des matériaux locaux pour se construire, se fermer et se protéger. Les bâtiments sont fermés sur eux-mêmes en fonction des conditions climatiques ou une digue monumentale sert à la protection. La gestion des eaux devient un nouveau modèle économique.

Le port polymorphe : polyvalent

Un ensemble de structures flottantes interconnectées, construites à partir de navires en fin de vie. Ce concept intègre des espaces habitables, de production d’énergie, d’eau douce, d’alimentation et de gestion du trafic maritime.

Source : Infraport

Chaque scenario propose des solutions innovantes pour s’adapter aux conditions climatiques futures, tout en maintenant les activités portuaires essentielles. En soulignant l’importance de l’énergie, de la gestion de l’eau, et de la mutualisation des données dans les ports du futur, M. Descombes rappelle que ces scenarios sont exploratoires et visent à stimuler l’innovation dans le secteur portuaire.