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Bertrand Wolff d’Antilogy : métavers, un monde en construction ? – mars 2022

Par : Lesley Brown 21 mai 2022 no comments

Bertrand Wolff d’Antilogy : métavers, un monde en construction ? – mars 2022

Par Lesley Brown et Joëlle Touré

Fondée en 2017, Antilogy favorise la diffusion d’expériences immersives. L’entreprise accompagne les grands groupes, les institutions et les organisations à tirer le meilleur parti de la XR (« réalité étendue ») face à leurs grands enjeux de transformation digitale : mieux communiquer, produire, vendre, recruter et former.

En mars 2022, Futura-Mobility a reçu Bertrand Wolff, co-fondateur d’Antilogy, pour s’immerger dans l’univers virtuel du métavers.

« Le métavers c’est comme l’internet sauf qu’au lieu d’être devant, on est dedans », explique M. Wolff. « Il s’agit d’une évolution de la façon d’utiliser les données : on n’est pas face à la donnée mais dans la donnée ». Ce nouvel univers donne la possibilité de se téléporter dans un monde virtuel où l’on pourra se former (un semestre de Stanford a déjà eu lieu dans le métavers), se divertir, voyager dans le temps et dans l’espace, consommer des objets physiques, digitaux ou mixtes, et travailler.

Les origines de ce nouvel engouement pour le métavers ? M. Wolff l’affirme, « l’historique des recherches sur Google du mot métavers montre qu’il n’y a rien jusqu’à octobre 2021… soit jusqu’à l’aboutissement d’une série de communications de Mark Zuckerberg ». En effet, à l’été 2021 le PDG de Facebook annonce son intention de faire de son réseau social la première « compagnie métavers » puis, suite à une série importante d’embauches, le 28 octobre 2021 il renomme la maison mère « Meta ».

Très vite après l’annonce de Mark Zuckerberg, en novembre 2021 le PDG de Microsoft, Satya Nadella, annonce à son tour que son entreprise travaille sur le métavers. « Cependant, contrairement à Meta qui vise la vie privée comme la vie professionnelle, Microsoft se focalise sur des situations professionnelles », souligne M. Wolff. Il s’agit, par exemple, de la possibilité pour les utilisateurs de Microsoft Teams de créer leurs propres avatars numériques 3D et de collaborer dans des espaces virtuels.

Toujours en novembre 2021, Dave Baszucki, co-fondateur et CEO de la plateforme de jeux vidéo Roblox, rappelle que son entreprise a pensé au métavers il y a 16 ans déjà ! Et qu’elle l’opère aujourd’hui. Roblox crée en effet des expériences sociales connectées et interactives, comme des concerts par exemple, et est donc déjà engagée en dehors de l’expérience stricte du jeu vidéo.

Toutes ces annonces ont créé des spéculations, notamment immobilières dans le métavers, par exemple sur The Sandbox, un espace de jeu virtuel qui combine la technologie « blockchain » et les NFT (« Non fungible token »).

Un concentré de technologies

« Le métavers est un lieu où converge toutes les technologies du moment, comme le cloud computing, la 5G, la blockchain, l’IA, les casques et les outils pour y accéder », confirme M. Wolff. Cette convergence explique le rachat de fabricants de casques de réalité virtuelle par des grands noms du numérique comme Oculus par Facebook en 2014, ou Pico Interactive par ByteDance (Tiktok) en 2021. Microsoft, de son côté, a dévoilé Hololens (technologie hologramme pour la réalité augmentée) dès 2015 et a d’ailleurs acheté Minecraft à ce moment-là, certainement déjà dans une logique de convergence.

« Il faut savoir que plus les appareils sont petits – les casques par exemple sont de plus en plus petits – plus il faudra de la puissance de calcul du cloud computing, qui va faire appel à la 5G, pour faire transiter les données », explique M. Wolff. La 5G est aussi nécessaire pour le métavers parce que les utilisateurs seront dans un univers en réalité virtuelle mais pas forcément installés dans une pièce, ils pourront aussi se déplacer en mode nomade, avec de la réalité augmentée en enrichissement du monde physique dans lequel ils évoluent.

L’IA aussi sera partout dans le métavers : pour la traduction universelle, pour reconnaître le langage et pour permettre à la voix de devenir le mode d’interaction principal entre l’homme et la machine. « Meta est en train de développer l’ordinateur le plus puissant du monde : 5 à 6 fois plus performant que l’ordinateur japonais actuellement le plus rapide, » souligne M. Wolff. Aujourd’hui Apple, Google, Microsoft, Meta et Amazon sont ceux qui investissent le plus dans l’IA.

L’expérience utilisateur : addictive ?

Selon M. Wolff, le média qu’est le casque de réalité virtuelle, donne l’illusion de la non-médiation. Pour le cerveau, quand il n’y a pas de média il s’agit de la réalité. Donc le casque de réalité virtuelle crée une illusion de présence : le cerveau assimile le vécu comme de l’expérience, exactement comme dans le monde physique. Le ressenti et notamment les émotions sont les mêmes.

« Étrangement, nous n’avons pas besoin d’un réalisme très fort dans le métavers pour y croire », poursuit M. Wolff. « Il suffit d’avoir quelques bases et le cerveau fait le reste. Ici on se rapproche de la théorie de la vallée de l’étrange ». Dans cette théorie, publiée pour la première fois en 1970, un chercheur japonais a montré que le cerveau accepte de mieux en mieux les images (dans son expérience : un robot humanoïde) à mesure que le réalisme augmente, sauf à un certain stade où cette acceptation diminue tout d’un coup, pour remonter ensuite. Dans certains univers du métavers, les humains n’ont pas de jambe : une découverte qui surprend un peu au départ, puis l’utilisateur s’y habitue très bien !

« Avec l’évolution du métavers, les utilisateurs seront à la recherche de plus de confort : ce sera plus facile de porter les lunettes sur le nez voire des lentilles, que de mettre un casque », anticipe M. Wolff. L’entreprise Mojo Vision, par exemple, propose déjà des lentilles qui affichent des données. Apple prévoit le lancement de ses lunettes connectées Apple Glass pour fin 2022.

Enfin, il y a la critique du « motion sickness », ce mal de mer dû aux casques de réalité virtuelle. Cette nausée, que les gamers peuvent parfois ressentir, est générée par la différence entre la perception visuelle et les sensations du corps, et donc l’oreille interne qui détecte notre stabilité. Le corps peut réagir par des vomissements car, depuis l’apparition de l’homo sapiens, la sensation de nausée indique l’ingestion d’un aliment potentiellement dangereux.

Sur ce point, M. Wolff se veut rassurant : « Les développeurs intègrent assez bien cette notion aujourd’hui. Par exemple, pour l’éviter dans le métavers, il ne faut pas imposer un déplacement soudain. Lors d’un déplacement rapide imposé à un utilisateur, son champ de vision est réduit pendant quelques millisecondes. »

En 2018, Jason Rubin, qui travaillait à l’époque chez Oculus, a partagé avec certains dirigeants de Facebook un rapport confidentiel intitulé « The Metaverse ». Il y anticipait que « dans 20 ans, on passera autant de temps dans le métavers que devant la télévision dans les années 90 et que devant les réseaux sociaux aujourd’hui ». C’est à partir de ce moment-là, depuis 2018, que Facebook (puis Meta) a vraiment investi dans les technologies pour pouvoir proposer un environnement complètement maîtrisé.

Comme dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux, dans le métavers les choses avancent, même si on n’y est pas… ce qui va sûrement créer des phénomènes d’’addiction !

Mode, luxe, et même transports…

« Les secteurs de la mode et du luxe sont très intéressés par le métavers puisque, par excellence, avec les avatars, nous sommes dans le monde du paraître », analyse M. Wolff. Qui dit marque de luxe dit image : une association qui a conduit à la naissance du B2A, le « Business to Avatars ».  Sur Roblox, par exemple, Gucci a créé l’expérience Gucci Gardens et y a vendu un sac virtuel à plus de 4 000 dollars, ce qui est plus cher que sa version physique à 3 400 dollars ! The Sandbox a vendu un yacht virtuel en Ethereum pour environ 650 000 dollars !

Toutes les grandes marques s’y mettent. Dans Nikeland – aussi sur Roblox – les fans de la marque peuvent se promener, inventer des sports et acheter les articles de la marque. Il est intéressant de noter que les concepteurs s’affranchissent complètement du réel pour les sports. Toutes les initiatives ne sont pas bien accueillies, par exemple l’annonce d’une nouvelle « bière virtuelle » par Heineken, disponible dans son monde virtuel Decentraland, n’a pas fait l’unanimité !

Même dans le secteur du transport, certains s’aventurent dans le métavers. « Lors du CES 2022, Hyundai, qui a acheté Boston Dynamics en 2021, a axé son discours sur la notion de métamobilité », illustre M. Wolff.  Selon le constructeur automobile, ce concept permettra à la robotique de faire le lien entre les mondes virtuel et réel. Au Japon, l’opérateur ferroviaire JR East a réalisé un métavers de la gare d’Akihabara, qui dessert un quartier à Tokyo considéré comme la capitale de la culture otaku (fans des communautés virtuelles). 

Un territoire vierge… ou presque ?

L’arrivée du métavers soulèvent maintes questions. Comme l’intérêt d’acheter des objets virtuels, par exemple. M. Wolff explique que dans le métavers, la technologie NFT garantit à l’acheteur qu’il est bien l’unique propriétaire d’un objet virtuel : « si le voisin a la même chose mais n’a pas la garantie, alors c’est qu’il a acheté une copie. On peut se targuer d’avoir effectivement LE sac Gucci pour son avatar ou bien une œuvre d’art. »

Il y a également des enjeux de souveraineté autour de ce nouveau territoire. Qui va faire la loi ? Qui va maîtriser ce nouvel espace monétisable ? Qui va imposer sa culture ? Comment monétiser le temps d’attention des utilisateurs ou le niveau d’émotions généré ?

Selon M. Wolff, la Corée du Sud fait du « soft power » depuis des années.  Justement pour avoir son propre univers et ne pas être dépendant des métavers américains ou chinois, en mai 2021, le gouvernement sud-coréen a annoncé le lancement d’une alliance industrielle baptisé « Metaverse Alliance » qui regroupe désormais plus de 200 entreprises et institutions. La Ville de Séoul, qui a prévu d’investir près de 3 millions d’euros dans le métavers sur cinq ans, est incontestablement pionnière dans ce domaine.

Aux États-Unis, il y a un enjeu idéologique derrière le métavers car certains appellent de leur vœux l’avènement du Web 3.0, ce web décentralisé, échappant à la mainmise des grands de l’Internet actuel (Google, Yahoo, Amazon, Meta…). Les « rebelles » de la blockchain – technologie qui permet de se passer d’intermédiaire pour les transactions – sont très actifs à ce sujet. Dans le métavers, la blockchain permettrait de se passer de grandes plateformes selon eux. Or c’est bien là tout l’enjeu de la course actuelle entre les géants du web ou du jeu comme Roblox, Meta, Microsoft et Apple : maitriser le temps d’attention des utilisateurs et ainsi capter les revenus associés.

Il reste aussi des défis technologiques comme l’interopérabilité entre des univers cloisonnés (ou comment passer facilement d’un jeu dans Roblox au métavers de Microsoft…) ou l’accueil d’un nombre illimité de personnes dans un univers métavers – ce qui est actuellement impossible.

La vision de Matthew Ball, un venture capitalist, qui a écrit une série d’articles sur le sujet, est que le métavers sera à l’avenir « un réseau massivement étendu et interopérable de mondes virtuels 3D restitués en temps réel, dont un nombre illimité d’utilisateurs peuvent faire l’expérience de manière synchrone et persistante, avec un sentiment individuel de présence et avec une continuité des données, telles que l’identité, l’historique de navigation, les droits, les objets, les communications et les paiements ».

Le métavers pose aussi des questions éthiques, de respect de la diversité par exemple, ou simplement de respect des autres. Au fil du temps, le métavers deviendra-t-il un nouveau terrain de jeu pour les trolls ? D’ailleurs, des cas de violences sexuelles ont déjà été signalés dans ce nouveau monde virtuel.

Enfin, il y a des questions sur l’impact écologique du métavers, notamment sur l’utilisation importante de terres rares et de métaux précieux nécessaires aux équipements soutenant ce nouvel univers virtuel.

Perspective 

Concernant l’avenir du métavers, M. Wolff se réfère à la réflexion de Tim Sweeney, le fondateur du studio de jeux vidéo Epic Games, « qui dit que l’idée du métavers est convaincante mais qu’il ne voit pas bien ce que c’est ! Il dit que ce ne sont pas les concepteurs, qu’ils s’appellent Zuckerberg ou Sweeney, qui vont penser le métavers : c’est l’utilisateur qui va créer et faire le métavers au travers de ses usages. »