L’informatique quantique : un virage à ne pas manquer pour les entreprises
L’informatique quantique : un virage à ne pas manquer pour les entreprises
La 11ème Matinée de l’Innovation de Bouygues qui a eu lieu le 15 mars 2024, a été l’occasion pour les membres du Futura-Mobility – invités pour l’occasion – de mieux comprendre et découvrir le potentiel de l’informatique quantique pour les entreprises.
Mais tout d’abord, une définition pour les non-initiés : « La théorie de la physique quantique décrit le comportement des objets physiques au niveau nanoscopique. L’informatique quantique est une technologie en plein essor qui exploite les lois de cette théorie pour résoudre des problèmes trop complexes pour les ordinateurs classiques. » (source : IBM)
« Depuis 2017-2019, on est dans la deuxième révolution quantique », annonce Pascale Senellart, directrice de recherche au CNRS et coordinatrice de Quantum Paris Saclay. « C’est une révolution technologique en marche car aujourd’hui, on est dans la phase cohérente et dans l’intrication ».
La cohérence est une propriété des systèmes quantiques qui se réfère à leur capacité à maintenir une relation de phase stable entre différents états quantiques. Le maintien de la cohérence quantique est essentiel pour que l’informatique quantique atteigne son plein potentiel.
L’intrication est un phénomène quantique dans lequel deux particules (ou groupes de particules) forment un système lié et présentent des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare. Elle ouvre la voie aux technologies qui vont des capteurs quantiques aux ordinateurs quantiques et qui promettent notamment d’optimiser radicalement des processus (temps, précision et énergie).
De plus en plus de qubits
« Un ordinateur universel quantum verra le jour d’ici 10 ans », estime Stéphane Bout, qui pilote le pôle de compétence technologie, digital et analytics de McKinsey en France, et sa filiale QuantumBlack dédiée à l’intelligence artificielle.
Des possibilités encore inconnues font rêver certes, mais il y a du chemin à faire avant d’entrer dans cette nouvelle ère de l’informatique ultra puissante. En effet, l’informatique quantique reste aujourd’hui dans une phase de R&D. Parmi les axes de travail, les chercheurs cherchent à développer les qubits – les unités de données utilisées par la mécanique quantique – pour les rendre plus fiables et cohérents, et à augmenter leur nombre.
« Les ordinateurs quantiques seront vraiment utiles quand on dépassera le million de qubits au total ; aujourd’hui on est entre quelques dizaines et un millier », explique Chloé Poisbeau Cantelli, COO d’Alice & Bob, une jeune pousse française qui développe du hardware quantique depuis 2020. « On va passer du calcul classique au calcul quantique, qui promet de résoudre des problèmes/calculs actuellement insolubles [parce qu’ils prendraient trop de temps] ».
L’accélération des investissements
D’où l’intérêt croissant de tous les secteurs d’activité : l’énergie, la défense, les transports, la logistique, les communications, la finance, la chimie, la recherche…
« On voit une accélération des investissements dans le privé et le public depuis plusieurs années, depuis 2017, 2018, 2019 », dit Mme Senellart. Une observation confirmée par Xavier Vasques, vice-président et CTO, IBM France, qui dévoile que le géant de la tech « est passée à une certaine échelle. Aujourd’hui on a 38 Quantum Innovation Centers dans le monde et plus de 281 clients dont la taille va de la startup au grand groupe ».
Selon Christophe Legrand, SVP global business sales de la jeune pousse Pasqal, grâce à sa puissance de calcul et plus faible consommation énergétique à demande équivalente, « l’informatique quantique est une opportunité pour résoudre des défis de l’IA et de la transition verte ». Parmi les clients de Pasqal se trouvent des acteurs de la mobilité comme Rolls Royce, Safran, Airbus, Siemens, Thales et BMW.
Les cas d’usage de l’informatique quantique déjà identifiés, tous domaines confondus, offrent des perspectives prometteuses : optimiser les réseaux de transport électrique, faire de la maintenance prédictive (en réduisant les coûts de maintenance des barrages hydroélectriques par exemple), rechercher de nouveaux matériaux, étudier et améliorer la composition chimique des batteries ou encore optimiser les trajets des flottes de taxis...
« L’approche d’IBM pour les applications du quantique est basée sur la question : Qu’est-ce qui vous fait le plus mal aujourd’hui ? » explique M. Vasques, en se référant à un des clients d’IBM, la société pétrolière et gazière ExxonMobil, qui s’intéresse à l’informatique quantique pour soulager « un véritable point de douleur » : optimiser les itinéraires de ses bateaux cargos pour économiser du carburant.
Bouygues Telecom de son côté est en train d’explorer des cas d’usages dans les télécommunications, notamment la partie sécurisation des communications, en collaboration avec les entités data/digital et opérationnelles. « En tant qu’acteur majeur des télécommunications, notre rôle est d’anticiper ces changements, de comprendre leurs implications et de nous y adapter », explique Marie-Luce Godinot, directrice générale adjointe Innovation, Développement Durable et Systèmes d’Informations.
Le Groupe Bouygues s’intéresse plus particulièrement aux capteurs quantiques (par exemple, utilisés dans un gravimètre pour identifier les micromouvements d’infrastructures souterraines) car, selon Mme Godinot, « contrairement à d’autres sujets, leur disponibilité est plus rapide, et leurs promesses sont assez exceptionnelles. Comprendre et maîtriser ces outils peut nous donner un avantage compétitif majeur ! »
La France quantique
La France ne compte pas passer à côté de cette révolution. En 2021 le gouvernement a lancé un Plan Quantique sur cinq ans, avec un plan d’investissement de 1,8 milliard € en faveur de la recherche académique, la structuration de l’écosystème et la formation des talents.
Une autre démarche qui vise à positionner le pays dans ce domaine est la création du Hub Quantique du CEA de Grenoble, en cours de lancement par Y.Spot, une communauté d’acteurs français qui travaillent sur les projets en commun. La vision de ce nouveau hub est de favoriser une approche collaborative pour anticiper les applications et les impacts du calcul quantique à court, moyen et long terme.
A l’origine de ce nouveau hub, l’étude prospective Quantum 2042 (publiée en décembre 2023), menée en collaboration avec 13 acteurs français et l’acteur de la prospectif Futuribles.
« Les conclusions de l’étude signalent, en premier point, que le calcul quantique est avant tout un catalyseur de la transformation digitale, mais ce n’est qu’un catalyseur », souligne Christophe Vautey, pilote des hubs collaboratifs au sein de Y.Spot. « Et, en deuxième point que, pour les gens et les industries, il faut anticiper les cas d’usage, mais pas uniquement. II faut avoir une posture active, c’est-à-dire s’impliquer dans les communautés quantiques qui existent déjà ou en créer soi-même ».
Il faut partir à point
Le message est clair : l’informatique quantique en est encore à ses balbutiements mais c’est dès maintenant que l’industrie doit se pencher sur le sujet. Si les entreprises n’agissent pas, elles risquent d’être prises de court et de perdre en compétitivité, comme dans le domaine de l’IA. « Dès maintenant pour les entreprises, il est important d’établir une approche stratégique, de décider le niveau d’investissement et travailler sur les cas d’usage, car aujourd’hui c’est un peu le Wild West avec la course aux brevets », explique M. Bout du cabinet McKinsey
Un autre aspect à ne pas ignorer est la pénurie de talent dans le domaine émergent du quantique. Il ne faut pas tarder à former ses équipes ! Sur ce point, Mme Godinot a souligné l’importance pour le Groupe Bouygues de la montée en compétences des collaborateurs en interne, notamment des équipes dans le digital. « Dès maintenant, nous devons acquérir une compréhension approfondie et adapter rapidement nos équipes, pour intégrer efficacement ces innovations ».
De son côté, avec l’arrivée de l’informatique quantique, Jean Senellart, chief product officer de Quandela, anticipe le besoin de renforts dans certains métiers. « La recherche algorithmique va être relancée sur ce nouvel outil, le quantique », se réjouit-il.
Selon M. Bout, les entreprises ne doivent donc pas attendre. « Il faut commencer à prioriser les cas d’usage, basé sur le potentiel de création de valeur et la faisabilité ».
Le quantique : quels défis et quelles opportunités pour les industries ?