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Rencontre de la Startup Nation® à Tel Aviv autour de la mobilité

Par : Joëlle Touré 22 juin 2022 no comments

Rencontre de la Startup Nation® à Tel Aviv autour de la mobilité

Par Joëlle Touré, déléguée générale, Futura-Mobility

La semaine du 9 mai 2022, une délégation d’entreprises françaises s’est rendue à Tel Aviv en Israël autour du salon EcoMotion, le salon annuel de la Startup Nation® dédié à la mobilité. Futura-Mobility et plusieurs de ses membres en faisait partie, avec le Chutzpah Lab comme poisson pilote et organisateur de la semaine pour les participants.

De gauche à droite : Olivier Czechowski (Bouygues Telecom), Joëlle Touré (Futura-Mobility), Arnaud Julien (Keolis), David Lerouge (Colas), Matthieu Remy (Keolis), Céline Quenec’hdu (Colas), Frédéric Najman (Chutzpah lab), David Waimann (Chutzpah lab), Christophe Lienard (Bouygues SA), Laurent le Boulch’ (Colas), Servan Lacire (Bouygues Énergies & Services), Adrien Broué (Bouygues SA), Yossi Dan (Chutzpah), Franck Moine (Bouygues SA), Caroline Pinhas (TotalEnergies), Pierre Bocandé (groupe ADP), Alexandre Klaeyle (Plastic Omnium), Géraldine Pinol (TotalEnergies), André Dan (Chutzpah), Marius Gautier (groupe ADP) Absent sur la photo : Vincent Maret (Bouygues SA), Alexandre Corjon (Plastic Omnium) Photo – Chutzpah lab

De nombreuses rencontres sur quatre jours ont permis à tous de mieux comprendre le système d’innovation israélien. Deux challenges avaient également été organisés en amont permettant aux participants de cibler plus rapidement les startups intéressantes sur le plan des énergies de demain et de l’expérience utilisateur dans la mobilité.

La Startup Nation®

La marque déposée par Startup Nation Central en Israël est le reflet d’une réalité impressionnante, tant en nombre de startups, de licornes, de « soonicorns » (bientôt des licornes), de levées de fonds, d’investissement de l’État dans la recherche et l’innovation.

La Startup Nation® en chiffres

7 000 startups en mai 2022

Plus de 210 fonds d’investissements

Plus de 80 accélérateurs, 29 incubateurs

Plus de 350 centres de R&D de multinationales

9 universités publiques, 17 technology transfer offices (TTOs)

4,9% du PIB consacré à la R&D, au premier rang mondial avec un effet de levier très important sur le financement privé, ce dernier finançant à 90% la R&D israélienne

93 licornes en mai 2022 (évolue rapidement !)

± startups cotées au Nasdaq / NY Stock Exchange

Près de 10% des actifs travaillent dans la tech

26 milliards $US de financements levés en 2021 par les startups, soit 3 fois plus par habitant qu’aux États-Unis

85% des investissements provient de l’étranger

Source : Startup Nation Central

A savoir selon Jérémie Kletzkine, VP business development de Startup Nation Central, en Israël ne sont considérées comme des startups que les jeunes pousses qui travaillent dans la technologie. « S’il n’y a pas de volonté de créer de la valeur à grande échelle, drivée par la haute technologie, ce n’est pas considéré comme une startup ici. ». Autrement dit « il y a très peu de startups à usage innovant en Israël, la plupart sont des entreprises à technologie innovante ». Donc il ne suffit pas d’être une jeune pousse et de travailler sur la digitalisation pour être considérée comme une startup dans le pays. La digitalisation de processus ou de documents n’est pas considérée comme innovante, mais comme de l’amélioration continue.

Les entrepreneurs israéliens s’attachent d’abord à résoudre un problème technologique, et ensuite ils cherchent le champ d’application de cette technologie. Contrairement aux français qui cherchent à identifier une solution à un problème identifié au départ. Quelque peu déroutant pour nos entreprises françaises qui doivent comprendre la technologie avant de la relier à une éventuelle question à résoudre dans leur propre activité…

De plus, les startups en Israël travaillent beaucoup sur des segments business to business. « Quand on regarde la liste des licornes israéliennes, peu d’entre elles sont connues du grand public », ajoute Jérémie Kletzkine.

Source : Startup Nation Central

La Startup Nation®… pourquoi ?

Qu’est-ce qui explique de tels chiffres ? Comment se fait-il que l’écosystème soit aussi dynamique ? Plusieurs éléments peuvent expliquer que les conditions sont réunies pour faciliter l’innovation.

Tout d’abord le relationnel. Israël est un petit pays (9,4 millions d’habitants sur 22 000 km2) et donc la mise en réseau est plus facile. Le relationnel fait partie de la culture et même d’une certaine résilience des habitants face aux conflits que le pays affronte depuis sa création. La fête est quasi permanente à Tel Aviv, la nourriture est abondante et partagée, les contacts facilités.

De même, le grand brassage ethnique, social et culturel que constitue le service militaire long en Israël facilite les rencontres et la naissance de relations interpersonnelles fortes et durables.

Il n’est pas étonnant que Tel Aviv soit un haut lieu de la gay pride dans le monde après San Francisco. Ce qui fait dire à Yossi Dan : « quand on superpose les cartes de la présence d’une importante communauté homosexuelle et des terrains innovants de par le monde, on s’aperçoit que les deux coïncident » (source « Global Tel Aviv », département international de la ville de Tel Aviv). Non pas que les personnes homosexuelles soient forcément plus innovantes que les autres, mais la culture d’ouverture locale y facilite certainement l’innovation.

D’après Yossi Dan, trois mots-clés expliquent la culture de l’innovation à Tel Aviv.

Chutzpah qu’on pourrait traduire par culot ou audace. C’est le fait d’oser. Oser contacter, oser demander, tenter. C’est l’esprit d’initiative, d’entreprendre.

Rosh Gadol qui signifie « tête la première ». Cela correspond au fait d’avoir toujours les yeux ouverts, de ne pas s’ancrer dans des habitudes, d’être ouvert aux idées des autres.

Enfin, Tachless, qui correspond à « bottom line » en anglais, et donc à la recherche de l’efficacité, avec un côté très pragmatique et concret. Il s’agit certainement d’une influence de la culture anglo-saxonne, nombre d’israéliens ayant étudié aux USA. « Si au bout d’un quart d’heure sur une réunion d’une heure, on s’aperçoit que l’échange ne va pas aboutir, alors on arrête là », explique Yossi Dan. Pour les français, ce comportement peut être perçu comme impoli, un peu brutal même. Pour les israéliens, on se rend service mutuellement à ne pas faire perdre à l’autre un temps précieux.

Yossi Dan, Chutzpah Lab (photo : Chutzpah Lab)

La culture managériale de l’armée, évidemment très présente dans la vie des israéliens avec un service militaire assuré pendant près de 3 ans par tous les jeunes hommes et jeunes femmes, influence la culture d’innovation du pays. Contrairement aux idées reçues, l’armée et aussi l’éducation en Israël, fonctionne de façon très peu hiérarchique. « Il leur est demandé [aux jeunes] de raisonner […] dans le respect des ordres hiérarchiques mais en laissant une marge de manœuvre importante à la prise d’initiative, qui est renforcée par le fait que la notion de hiérarchie n’est subie dans l’armée qu’en filigrane : il n’y a pas de hiérarchie sociale ou raciale », écrit Edouard Cukierman, fondateur d’un grand fonds d’investissement israélien et sa banque d’affaires Catalyst, dans son ouvrage co-écrit avec Daniel Rouach, Israël valley, le bouclier technologique de l’innovation, paru en 2013 aux éditions Pearson. Cela permet donc un accueil des idées de tous dans un esprit de Rosh Gadol, d’ouverture.

L’importance de l’armée et le niveau de conflit qui entoure le pays favorisent la recherche sur les sujets de sécurité et notamment de cybersécurité ou encore de logistique.

Autre facteur, les universités en Israël font en sorte qu’il y ait un transfert technologique rapide entre les travaux de recherche et leur application potentielle. Ainsi, les brevets sont déposés rapidement, et de nombreuses startups sont des spin-offs d’université, telles que la célèbre Mobileye, rachetée en 2017 par Intel pour 15,3 milliards de $US. Ce facteur, associé au niveau d’éducation très élevé dans le pays – 9,2% des actifs travaillent dans la haute technologie ! – explique le niveau de recherche avancé.

Enfin, le gouvernement investit de manière massive dans la recherche avec la part du PIB attribuée à la recherche la plus élevée du monde, à près de 5%. L’État investit dans les phases précoces d’un projet, prenant ainsi en charge le risque d’échec. Le « bureau scientifique en chef » supporte 85% de la charge financière durant cette phase critique, alors que les incubateurs privés reçoivent 50% des parts de l’entreprise. En cas d’échec les entrepreneurs ne sont pas obligés de rembourser l’État.

La Startup Nation®… quel type de collaboration avec les entreprises françaises ?

Les startups israéliennes n’ont pas besoin de fonds. « L’argent, il y en a… même certainement trop ! » affirme Jérémie Kletzkine.

Ce dont elles ont besoin est plutôt d’un terrain de jeu. En effet le pays étant très petit, les startups ne peuvent pas y déployer à grande échelle leurs innovations et les tester. D’ailleurs, le pays ne semble pas très moderne au vu de la place de l’innovation en son sein.

« Les startups ici ont besoin d’un champ d’expérimentation, de jeux importants de données aussi » explique Yossi Dan. Comme elles partent de la solution et non du problème « elles ont aussi besoin d’un problème à résoudre, d’une problématique concrète pour se confronter au réel », ajoute-t-il. « C’est aussi pour cela qu’on a rajouté un ‘startup Studio’ à Chutzpah Lab, pour accompagner les projets technologiques entre grands groupes et startups ».

Lors du salon EcoMotion, deux personnes de l’État du Michigan, en charge respectivement de l’innovation et des transports, sont intervenues uniquement dans cette optique, dans un show à l’américaine, pour dire à l’écosystème israélien « We need you ! Come and try your innovations in our territory » – nous avons besoin de vous ! Venez expérimenter vos innovations sur notre territoire – pour travailler sur tous les défis de mobilité que rencontre cet État traditionnellement ancré dans le secteur automobile. Le Michigan facilite ainsi la venue des startups israéliennes en prenant par exemple en charge les coûts et en accueillant les startups au sein du hub d’innovation créé par les grands constructeurs, Ford et General Motors en tête.

Intervenants de l’État du Michigan (photo : Futura-Mobility)

L’écosystème est également capable de travailler sur une problématique définie qu’on lui soumet. C’est une des façons de travailler du Living lab, fondée par Dr. Smadar Itzkovich. Ce laboratoire d’innovation réunit les startups et entreprises prêtes à partager leurs données pour travailler ensemble. Dernièrement, 8 startups et entreprises ont collaboré pour améliorer la gestion du trafic de Tel Aviv pour que la route soit plus sûre, en voiture, en bus, en trottinette… La question a été posée et le financement apporté par le gouvernement israélien. La vision du Dr. Itzkovich : « partager les données est bon pour le bien commun ET pour le business ! ».

Dr. Smadar Itzkovich, fondatrice du Living Lab (photo : Futura-Mobility)

Étant donné le caractère vif et la recherche d’efficacité de l’écosystème israélien, travailler avec les startups locales nécessite une organisation particulièrement agile de la part des entreprises industrielles. Il faut en effet pouvoir prendre rapidement la décision sur l’opportunité de travailler ensemble, puis fournir un périmètre d’expérimentation et des données, enfin gérer le projet collaboratif de manière efficace. Sans quoi les startups iront rapidement voir ailleurs si l’herbe est plus innovante…

Et concrètement ? Aperçu de quelques pépites rencontrées

Lors du voyage, de très nombreuses startups ont été rencontrées, certaines ont participé aux deux tech challenges organisés dans le cadre de ce voyage, d’autres ont été rencontrées sur leur site.

C’est le cas d’Electreon par exemple. Déjà rencontré en 2019, l’entreprise déploie des solutions de recharge électrique sans contact. A destination des véhicules électriques, l’entreprise propose trois types de recharge : dynamique pour des véhicules roulant à allure normale sur route, en semi-dynamique dans des zones où les véhicules roulent au ralenti (taxis par exemple sur les zones de prise en charge des passagers), ou encore en statique sur des parkings.

Source : Electreon

L’efficacité de la recharge est annoncée à 85% pour une recharge en dynamique et à 90% pour une recharge en statique. Sept pilotes sont en cours dans le monde, en Israël, aux USA, en Suède, en Allemagne, en Italie – et plus de cinquante sont en négociation. Le prix reste élevé avec 650 000 € par km pour installer la solution pour un sens de circulation (sans compter la connexion au réseau, l’asphalte ou même l’installation sur les véhicules des modules nécessaires), mais permettrait d’alléger les véhicules lourds avec un pack de batteries moins important. Toutefois, un nouveau modèle économique est maintenant en place, où Electreon prend en charge l’installation et facture au client un prix mensuel par autobus.

Impossible ici de présenter toutes les startups intéressantes rencontrées lors de ces 3 jours ! Les finalistes de nos deux tech challenges ainsi que les startups gagnantes, ITC et Parknav, sont présentés sur notre site.

Le mieux pour trouver la perle rare ? Creuser, continuer de prendre des contacts et retourner sur place l’an prochain !