William Elong, Faraday Lab : pour une IA européenne concurrente de ChatGPT
William Elong, Faraday Lab : pour une IA européenne concurrente de ChatGPT
Cinq ans après sa première rencontre avec Futura-Mobility, William Elong est de nouveau accueilli par le think tank, en septembre 2023, pour présenter Faraday Lab, l’entreprise qu’il a créée pour développer l’intelligence artificielle (IA) ARES Chat, une IA européenne concurrente de ChatGPT.
Ancien élève de l’Ecole de guerre économique et entrepreneur camerounais aux nombreux succès (Will & Brothers, Algo Drone), William Elong est classé par Forbes parmi les jeunes leaders africains les plus influents.
Futura-Mobility : Pourquoi se lancer dans la création d’une IA générative ?
William Elong : Tout d’abord on s’est posé la question « pourquoi personne ne pense à créer un autre navigateur que Chrome ou Edge ? » C’est de l’open source, donc techniquement ça devrait être faisable. On a beaucoup entendu qu’il fallait des centaines de millions d’euros pour en créer un… on a fait notre beta en 10 jours !
Puis on s’est lancé dans l’idée de rendre ce navigateur intelligent. Toutes les entreprises que vous connaissez, comme Microsoft, ont commencé à intégrer l’IA générative dans leurs navigateurs. L’avenir du navigateur c’est un navigateur intelligent qui va traduire votre vidéo YouTube, créer du contenu en temps réel… c’est vers ça qu’on va en réalité.
Pour rendre le navigateur intelligent, on a créé un module. Au début, il s’agissait juste d’une extension à notre navigateur, mais de fil en aiguille cette IA est devenue un produit. Aujourd’hui, sans publicité, sans communication et avec une équipe de 8 personnes, on est arrivé à avoir 40 000 utilisateurs en 3 mois dans 30 pays, juste en allant dans les forums, avec le bouche-à-oreille de la communauté des geeks.
Donc on a commencé par développer un navigateur Web, ARES, puis en travaillant sur une IA intégrée, on s’est aperçu des opportunités de marché pour un chatbot. Le navigateur est donc encore en beta, alors qu’on a travaillé à fond sur notre IA.
FM : Comment avez-vous créé ARES Chat en si peu temps ?
WE : Nous sommes partis de modèles existants performants et en open source comme Bloom du CNRS en France ou le Falcon 40B du Technology Innovation Institute aux Émirats arabes unis, et même LLAMA 2 de META. Puis nous les avons améliorés en travaillant en particulier l’interface utilisateur et les capacités linguistiques, notamment en français, pour que n’importe qui, sans connaissance particulière ni compétence en coding, puisse interagir avec notre IA. Par ailleurs, nous avons utilisé beaucoup de briques de code open source disponibles sur le marché pour le cœur de notre architecture, notamment des outils publiés par Hugging Face.
FM : Parlez-nous de ARES Chat, ses points forts et sa place sur le marché…
WE : Avec notre modèle ARES Chat, qui tourne grâce à nos modèles baptisés ARIA, il est possible de générer un mail, du code… tout ce que vous avez l’habitude de faire dans votre chat habituel. Une quarantaine de langues sont intégrées. Nous avons apporté une dimension multimodale : pour que tout se passe sur la même interface, il y a un bouton qui permet de générer à la fois du texte et des images. Nous sommes un concurrent direct de ChatGPT.
Notre stratégie est de mettre à disposition des chatbots performants, développés à coûts maîtrisés et taillés sur mesure par rapport aux besoins de l’entreprise cliente dans des délais record de 15 jours maximum. Nous voulons émerger plus rapidement que nos concurrents européens. On vend notre vitesse, notre efficacité et notre capacité de produire sans trop de métaphysique. Le fait de travailler avec des acteurs majeurs comme Nvidia, Reply et Amazon nous a donné un sérieux boost d’efficacité et des résultats qui font que nos modèles ARIA sont très bien situés au classement mondial Hugging face Leaderboard qui regroupe la plupart des modèles open source et leurs scores. La collaboration avec ces 3 grands groupes nous a donné accès à une infrastructure de personnalisation d’IA dans le cloud (Amazon Sagemaker), des cartes graphiques (Nvidia) et une expertise forte en matière d’IA (les experts IA de Reply).
FM : Quelle est votre position sur la question de la souveraineté ?
WE : En cours de développement mais disponible en version Beta, notre navigateur Internet souverain européen inclut ARES Chat, la sécurisation des communications par Thalès (Citadel), le stockage des données en Europe et de nombreux contenus open-source intégrés. Le fait est que les navigateurs les plus utilisés, Chrome, Edge, Firefox sont américains et le Patriot Act existe…. Vos données bancaires, historiques, favoris sont donc dans un outil sur lequel vous n’avez concrètement aucun contrôle. En utilisant la même base de Chrome baptisée Chromium, nous avons pu créer une beta de notre propre navigateur. Outre l’autonomie stratégique qu’il apportera à l’Union Européenne et à ses États, il possède de par ses nombreux usages hors-ligne, une vocation particulière pour les pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique Latine-Caraïbes.
Je pense que la France a largement les compétences et les atouts pour construire sa souveraineté numérique en matière d’IA générative. On a vu le CNRS publier Bloom, par exemple, qui avait des compétences comparables à ChatGPT, mais la solution reste largement inconnue du grand public parce qu’il n’y a pas d’interface utilisateur simple et ludique pour l’utiliser tout simplement. Ceci dit, pour construire une souveraineté numérique, il faut une approche business. Créer des solutions exceptionnelles dans des laboratoires, c’est bien ; réussir à les vendre à des clients qui ont un besoin, c’est mieux. Ce gap entre la recherche et la réalité économique du marché est ce qui retarde l’avancée de la France sur ce sujet. Il faut avoir une approche pragmatique, sortir des démarches administratives qui prennent des mois, lorsqu’on est sur des marchés avec des technologies qui évoluent littéralement tous les 15 jours comme celui de l’IA générative.
FM : Quel est votre modèle économique ?
WE : Il y a deux écoles. Soit on veut tout réinventer, soit on utilise ce qui existe déjà. Dans la première, les start-ups et les chercheurs vont d’abord lever de l’argent pour potentiellement créer un modèle en 2024. Dans la deuxième, les entrepreneurs comme moi vont créer leurs modèles tout de suite à partir de l’existant, chercher des clients pour faire des bénéfices et les réinvestir dans la R&D. C’est ce dernier modèle de développement que nous avons choisi chez Faraday Lab et nous l’assumons totalement.
Nous avons trois approches économiques pour 3 cibles :
- Primo, ARES Chat est gratuit pour le grand public, avec la possibilité d’abonnement pro à 20 euros/mois pour plus de fonctionnalités.
- Ensuite pour les entreprises, nous commercialisons directement nos modèles ARIA à travers une API facturée à la requête.
- Enfin pour les gouvernements ou les très grands comptes, nous proposons des modèles personnalisés sur leurs propres données et hébergés sur leurs propres serveurs. Cette proposition de valeur apporte une dimension cybersécurité et une approche que nos principaux concurrents n’ont pas. Avec ce modèle, nous couvrons le B2C, le B2B et le B2G.
Vous avez d’une part des startups qui lèvent plus de 100 millions d’euros chacune sur base des Curriculum Vitae de leurs fondateurs sans aucun produit et disent pouvoir éventuellement arriver en fin d’année 2024 avec des modèles Fondations performants. De notre côté, nous sommes actifs sur le marché tout de suite et nous avons des modèles et des solutions fonctionnelles, certes perfectibles, mais qui existent. Nous ne recommençons pas tout à partir de zéro donc nous n’avons pas eu besoin de gros capitaux au départ. C’est un autre choix, nous partons de l’existant, nous l’améliorons et optimisons, créons quelque chose qui fonctionne. Nous cherchons des clients, nous développons notre place sur le marché… ceci en gardant à l’esprit l’idée de créer à terme nos propres modèles Fondations pour ne pas être dépendant de Meta, Falcon etc. Nous faisons les deux en parallèle. On peut faire de la recherche ET du business.
FM : Quels sont vos objectifs pour 2023 et au-delà ?
WE : ARES Chat est déjà installée, présente chez des clients de divers secteurs (étatiques, parapublics, corporate). Nos modèles ARIA sont déjà déployés par plus de 400 projets dans le monde depuis notre compte Hugging Face. Nous souhaitons à terme créer nos modèles fondations. Cela permet d’affiner ses fonctionnalités, sur les langues par exemple. Sur ces bases, on vise à renforcer sa place sur le marché et sa vocation internationale afin d’obtenir la position de leader européen. Cela nous donnera les ressources nécessaires pour créer des modèles développés en propre qui seront peut-être plus innovants.
Nous avons l’ambition de devenir leader mondial. Rien de plus, rien de moins. Nous sommes en ce moment même en train de rejoindre des consortiums avec des acteurs majeurs de l’Open source en France, et nous avons déjà le soutien technique de la meilleure entreprise au monde de carte graphique Nvidia, la meilleure au monde en matière de cloud AWS, et l’une des meilleures d’Europe en matière d’intelligence artificielle, Reply. Il n’y a donc aucune raison objective pour ne pas être ambitieux et viser la première place. Nos modèles sont déjà classés parmi les meilleurs sur le leaderboard de Hugging face. Llama 2 a été entraînée sur peu de français, comme beaucoup d’autres modèles open source venus des Etats-Unis, nous compensons cette lacune linguistique et nous apportons notre propre méthodologie de fine-tuning.
FM : Selon vous, quelles sont les questions que posent l’utilisation de l’IA en général ?
WE : Il faut réfléchir à la question idéologique des données et des algorithmes utilisés. Si vous posez une question à un modèle comme ChatGPT, sur la famille ou sur la géopolitique par exemple, la réponse qu’il va donner aujourd’hui est culturellement orientée et sera typée européenne ou nord-américaine. Mais d’autres courants de pensées existent dans le monde ! Donc il est nécessaire d’avoir des IAs entrainées sur tous ces différents jeux de données. Il y a plusieurs perceptions de la morale, de la vie. Il faut que l’IA reflète ces différences. Mais le contraire est en train de se passer… un groupe d’acteurs américains imposent leur logique et même peut-être bientôt leur législation.
L’Europe peut être plus qu’un régulateur et devenir un acteur. L’IA pose des questions éthiques profondes. Dans le domaine des drones que je connais, on se pose la question des robots tueurs et du niveau d’autonomie qu’on accorde à un drone qui doit frapper une cible. Aujourd’hui techniquement, presque tout est possible, sans tomber dans la science-fiction non plus, vu que l’homme garde encore le contrôle. Le reste est une question de décision politique et militaire.
Une autre problématique : il ne faut pas que l’AI Act européen, qui devrait entrer en vigueur en 2024, tue l’innovation en créant ce qu’on appelle de la “regulatory capture”. C’est une méthode classique des gros acteurs et surtout des startups américaines, qui après avoir levé des fonds, jouent la carte de la terreur pour influencer les lois et créer des cadres juridiques qui deviendront des barrières à l’entrée pour leurs concurrents. Ne soyons pas naïfs en France et en Europe. Il faut réguler l’IA, mais il faut la réguler de manière intelligente.
Pour conclure, je pense que l’intelligence artificielle est la plus grande révolution de ce début de millénaire, et les nations du monde, doivent s’emparer du sujet. Ce serait contre-productif de laisser le monde évoluer vers une situation dans laquelle on aurait le choix entre soit une IA américaine, soit une IA chinoise. Une troisième voie est possible et nous comptons bien la créer. Il faut que les jeunes entrepreneurs réalisent que l’open source est une arme qui vous permet de briser les barrières à l’entrée et de créer des communautés de talent. La révolution de l’IA passera obligatoirement par une démarche ouverte.