💡 Explorer la mobilité et les territoires
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Traduit de l’anglais par JoĂ«lle TourĂ©
Paris, 3 juillet 2019: co-organisĂ©e par Futura-Mobility et France MobilitĂ©s, cette rencontre avait pour thème « MobilitĂ© et territoires ». Une trentaine de participants Ă©taient prĂ©sents, dont deux dĂ©putĂ©s du Parlement français – Damien Pichereau et Jean-Luc Fugit.
Partie 1 : Attitudes et approches de la mobilitĂ© – le besoin de changement
Carlos Moreno, co-fondateur et directeur de la Chaire Entrepreneuriat Territoire et Innovation, Paris 1 PanthĂ©on Sorbonne – IAE, a insistĂ© sur l’importance d’une mobilitĂ© choisie plutĂ´t que subie. Il a Ă©galement mis en avant les avantages de l’immobilitĂ© par opposition Ă la mobilitĂ© et a encouragĂ© les participants Ă reconsidĂ©rer le besoin de voyager. « Nous devons mieux comprendre les forces environnementales, Ă©conomiques et sociales qui sous-tendent la mobilitĂ©. Quels sont les objectifs de cette mobilitĂ© ? »
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Une enquĂŞte rĂ©alisĂ©e en 2017 par l’observatoire ObSoCo et Chronos rĂ©vèle que 48 % des Français aimeraient vivre ailleurs s’ils le pouvaient. Ce dĂ©sir est particulièrement fort chez ceux qui vivent dans les grands centres urbains. Par ailleurs, 60 % des Français disent subirent les transports.
De tels chiffres tĂ©moignent d’un malaise Ă l’Ă©gard des villes. Les gens se sentent obligĂ©s de se dĂ©placer pour le travail et pour leurs besoins quotidiens. Ils veulent une vie urbaine diffĂ©rente.
Continuité territoriale
Penser la mobilitĂ© en silos, c’est-Ă -dire des politiques et des prioritĂ©s diffĂ©rentes pour les villes, les banlieues et les zones rurales, a crĂ©Ă© une dĂ©connexion de plus en plus Ă©vidente entre ces zones et un mĂ©contentement croissant en France.
Depuis 1999, la ville espagnole de Pontevedra a interdit toutes les voitures sauf les voitures « essentielles » de son centre ville. En 2014, Oslo a dĂ©cidĂ© de prendre des mesures comme le remplacement des places de stationnement par des pistes cyclables, une vĂ©gĂ©talisation accrue et des bancs pour se dĂ©barrasser de la voiture individuelle. De telles politiques sont des exemples d’une pensĂ©e en silo. Les mesures sont prises du point de vue de la ville, mais pas Ă l’agglomĂ©ration environnante. « Nous fermons les yeux sur la question de la continuitĂ© territoriale » prĂ©vient Bruno Marzloff, sociologue et fondateur de Chronos et du Lab OuiShare x Chronos.
En rĂ©alitĂ©, la mobilitĂ© doit idĂ©alement ĂŞtre planifiĂ©e dans le cadre d’un rĂ©seau interconnectĂ© et assurer ainsi la continuitĂ© territoriale, pour permettre le dĂ©placement d’un point A Ă un point B d’une zone, pour assurer une fluiditĂ© entre les deux, et rendre les rĂ©gions plus faciles et plus agrĂ©ables Ă vivre et Ă travailler.
Selon M. Pichereau, « en France, c’est le rĂ´le des RĂ©gions d’assurer la continuitĂ© territoriale ». Mais pour Jean-Luc Fugit, « ce n’est pas facile, car il faut prouver que la mobilitĂ© propre est bien accessible Ă tous. Quand on est jeune et qu’on habite dans une rĂ©gion rurale aujourd’hui, on n’a pas d’autre choix que d’acheter une voiture d’occasion Ă moteur thermique. »
Remettre en question le modèle
Messieurs Moreno et Marzloff pensent tous deux que le modèle fordiste de dĂ©veloppement n’est plus pertinent pour la mobilitĂ©. Le premier a suggĂ©rĂ© de reconsidĂ©rer notre comportement de consommation et le rĂ´le de la voiture dans notre vie. « Nous ne pouvons plus nous permettre de plaire aux lobbies, de nous complaire dans le paradis de la consommation de masse incarnĂ© par le fordisme, ni d’accepter le message de marketing de masse selon lequel la voiture est synonyme de liberté », a-t-il dĂ©clarĂ©. « Les voitures individuelles font des ravages. »
Marzloff a critiquĂ© le modèle actuel de service de mobilitĂ©, basĂ© sur une demande qui ne cesse de croĂ®tre, si dĂ©pendante de la construction d’infrastructures Ă l’infini. « Le Grand Paris Express en est un exemple. Ce projet en cours [construction d’un nouveau mĂ©tro automatique de 200 km autour de la capitale française] facilitera et augmentera ainsi les dĂ©placements, ce qui entraĂ®nera une course effrĂ©nĂ©e qui Ă©loignera encore plus les logements de la ville.
« Il est essentiel de rompre avec cette pensĂ©e basĂ©e sur l’infrastructure et le transport motorisĂ©. C’est absolument fatal ! a-t-il protestĂ©. Nous devons plutĂ´t nous concentrer sur les villes de proximitĂ©. »Â
Perspectives d’avenir….
Compte tenu des questions et des impĂ©ratifs Ă©voquĂ©s ci-dessus, l’une des solutions pour la mobilitĂ© de demain, a suggĂ©rĂ© M. Moreno, consiste Ă penser en termes de changement de problème plutĂ´t qu’en termes de changement de solution, en mettant l’accent sur :
- La re-dĂ©couverte des ressources urbaines des territoires : rĂ©inventer la proximitĂ© ou mĂŞme inventer l’hyper-proximitĂ©.
- L’imagination d’un mode de vie : les bassins de vie.
- La minimisation du mouvement : la meilleure façon d’Ă©conomiser de l’Ă©nergie est de ne pas en consommer.

Pour rĂ©inventer la vie urbaine et territoriale, M. Moreno a dĂ©veloppĂ© un concept baptisĂ© « chrono-urbanisme ». Il est basĂ© sur la modĂ©lisation urbaine, sur l’utilisation d’outils tels que la blockchain et l’utilisation des donnĂ©es. Il a expliquĂ© comment la ville du quart d’heure qui en rĂ©sulte devrait permettre aux populations urbaines d’avoir accès en 15 minutes, et aux populations rurales en 30 minutes, Ă tous leurs besoins essentiels, Ă ce qui les rend heureux. A savoir : logement, travail, nourriture, santĂ©, Ă©ducation et loisirs. « Nous avons perdu des liens territoriaux essentiels comme la vie communautaire des quartiers et les liens locaux. Personne ne connaĂ®t plus personne », a ajoutĂ© M. Moreno.
Dans ce contexte, M. Marzloff a rappelĂ© qu’après la Seconde Guerre mondiale, il y avait 600.000 bars en France. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 30 000. Cette baisse du nombre de lieux de socialisation contribue certainement Ă son sens au sentiment de frustration au sein de la population urbaine en France.
Il a Ă©galement suggĂ©rĂ© de crĂ©er des hubs qui serviraient de points de convergence et de distribution. L’idĂ©e Ă©tant qu’ils pourraient aider Ă mieux gĂ©rer les transports et Ă rĂ©duire la consommation d’Ă©nergie, ainsi qu’Ă fournir des lieux de vie. Damien Pichereau est du mĂŞme avis sur ce point : « Les villes prennent en compte la logistique urbaine. Des projets Ă©mergent pour Ă©viter que les camions n’entrent chargĂ©s dans les centres villes pour en ressortir Ă vide. »
Tel est l’objectif du manifeste pour inventer des Hubs de (dĂ©)MobilitĂ©s, lancĂ© par la Fabrique des MobilitĂ©s, qui vise Ă favoriser le dĂ©veloppement de communs pour « rĂ©duire les dĂ©placements motorisĂ©s, encourager les mobilitĂ©s choisies, satisfaire les exigences environnementales, et renforcer les accessibilitĂ©s aux services publics et les activitĂ©s des habitants et des visiteurs. »
2ème partie : sur le terrain
Afin d’apporter un Ă©clairage concret sur ce lien entre mobilitĂ© et territoire, Futura-Mobility a invitĂ© plusieurs start-ups Ă expliquer leurs innovations pour une mobilitĂ© plus verte et plus conviviale. David Caubel, chef de projet transversal innovation et territoires, France MobilitĂ©s, a prĂ©sidĂ© cette table ronde.
Flying Whales cherche Ă dĂ©velopper le transport de fret par ballon dirigeable. « L’idĂ©e initiale Ă©tait de rĂ©pondre aux besoins de l’ONF, qui n’a pas accès Ă tous ses sites de collecte de bois », a expliquĂ© Romain Schalck, directeur marketing, Flying Whales. Le dirigeable de 150 mètres de long peut atteindre ces sites enclavĂ©s, rester en vol stationnaire pendant le chargement – jusqu’Ă 60 tonnes – et livrer Ă destination sans dĂ©pendre des infrastructures de transport terrestre.

Le transport d’autres types de matĂ©riaux lourds ou encombrants, tels que les pales d’Ă©oliennes ou les rails, constitue un autre cas d’utilisation possible. Cette capacitĂ© Ă accĂ©der Ă des zones difficiles pourrait s’avĂ©rer particulièrement utile pour Ă©viter les routes gelĂ©es dans des pays et couvrir de vastes Ă©tendues, comme au Canada. D’ailleurs, le gouvernement du QuĂ©bec a annoncĂ© une prise de participation minoritaire dans Flying Whales.
Flying Whales a Ă©galement signĂ© un accord de partenariat avec le Groupe ADP pour la conception de 150 bases pour dirigeables qui seront dĂ©ployĂ©es en France et Ă l’Ă©tranger, notamment en AmĂ©rique (desservies depuis le QuĂ©bec) et en Asie (desservies depuis la Chine). Les dirigeables eux-mĂŞmes seront construits en Nouvelle Aquitaine et les premiers essais devraient avoir lieu autour de Lyon.
Coordonner les flottes de véhicules autonomes
Retour sur terre, dans le domaine des vĂ©hicules autonomes, beaucoup d’expĂ©rimentations sont en cours un peu partout – de l’Europe Ă l’Asie en passant par l’AmĂ©rique du Nord. « Mais si les vĂ©hicules ne sont pas coordonnĂ©s, cela ne fonctionnera pas », a prĂ©venu Luc Texier, directeur du dĂ©veloppement commercial pour la mobilitĂ© autonome et la mobilitĂ© Ă la demande de Bestmile. « Le seul objectif des vĂ©hicules autonomes est d’aller d’un point A Ă un point B. Ils ne peuvent pas fonctionner tout seuls. C’est techniquement impossible. »
Bestmile a dĂ©veloppĂ© un logiciel de coordination des flottes de vĂ©hicules, qu’ils soient autonomes ou non. M. Texier a dĂ©crit cette plate-forme d’orchestration de flottes de vĂ©hicules comme une sorte de tour de contrĂ´le pour les vĂ©hicules autonomes, une intelligence Ă distance qui, selon les points A et B, dĂ©crit le trajet Ă emprunter.
« Passer du point de vue du vĂ©hicule au point de vue de la flotte est vital », a-t-il ajoutĂ©. « Il ne s’agit pas seulement de se passer de conducteur, il s’agit de rĂ©duire le nombre de vĂ©hicules et d’amĂ©liorer la mobilitĂ© de demain. »
Esprit communautaire
StreetCo dĂ©veloppe un GPS piĂ©ton collaboratif adaptĂ© aux personnes Ă mobilitĂ© rĂ©duite (PMR). L’application gratuite alerte les utilisateurs s’il y a des obstacles sur leur chemin et leur permet de trouver des endroits accessibles Ă proximitĂ©.

« Le premier dĂ©fi est de faire grandir la communautĂ© afin d’amĂ©liorer la fiabilitĂ© des trajets », a dĂ©clarĂ© Arthur Alba, co-fondateur de StreetCo. « Nous travaillons aussi sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour dĂ©tecter les obstacles. »
3ème partie : partons à l’étranger
Après une pause, dans la deuxième partie de la confĂ©rence, VĂ©ronique Lamblin, directrice des Ă©tudes prospectives et de la stratĂ©gie de Futuribles, a explorĂ© l’essor de la mobilitĂ© Ă©lectrique dans nos villes, avec un focus sur la Norvège et la Chine.
La Norvège est le seul pays Ă avoir rĂ©ellement adoptĂ© la mobilitĂ© Ă©lectrique, qui reprĂ©sente 30 % du marchĂ© des transports du pays. Les NorvĂ©giens qui ont une voiture Ă©lectrique ont souvent aussi un vĂ©hicule Ă moteur thermique pour les longs trajets. « Pourtant, mĂŞme si le marchĂ© a pris son envol ici, il est important de garder Ă l’esprit que le gouvernement fournit un soutien financier important », a fait remarquer Mme Lamblin. « D’Ă©normes subventions de l’État sont disponibles grâce aux revenus du pĂ©trole et du gaz offshore. Le pays est extrĂŞmement riche. De plus, 98 % de sa production d’Ă©lectricitĂ© provient d’Ă©nergies renouvelables, principalement l’hydroĂ©lectricitĂ©. »

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En Chine, les « vĂ©hicules Ă©lectriques Ă basse vitesse » (LSVE) sont apparus spontanĂ©ment sans aucune incitation financière. Ces voitures de petite taille peuvent rouler Ă des vitesses de 40 Ă 70 km/h et ont une autonomie de 40 Ă 120 km. GĂ©nĂ©ralement vendues entre 3 000 et 5 000 $US, elles ont largement dĂ©passĂ© les ventes des voitures Ă©lectriques standard – le marchĂ© des LSVE en Chine reprĂ©sente actuellement entre trois et quatre millions de vĂ©hicules, soit l’Ă©quivalent du nombre total de vĂ©hicules Ă©lectriques et hybrides rechargeables dans le monde !

La popularitĂ© des LSVE en Chine, jusqu’Ă prĂ©sent, est en grande partie due Ă l’absence de rĂ©glementation – aucun enregistrement spĂ©cial, permis de conduire ou assurance n’est requis. Mais le gouvernement chinois Ă©tant en train d’introduire des règles, la lune de miel touche Ă sa fin. NĂ©anmoins, compte tenu des dĂ©fis auxquels sont confrontĂ©es les villes du monde entier, Ă savoir la pollution, les embouteillages et le manque d’espace, Mme Lamblin a mis en garde contre le « risque » que ces vĂ©hicules Ă©lectriques Ă basse vitesse ne cessent de se populariser dans les zones urbaines. En d’autres termes, toujours plus de voitures sur les routes et dans les villes…
Pour clore cette session, nous avons eu le plaisir d’accueillir Zhilin Sim, directeur rĂ©gional Europe au Singapore Economic Development Board, qui a donnĂ© une confĂ©rence sur la mobilitĂ© et l’innovation Ă Singapour. Cliquez ici pour le rĂ©sumĂ© de sa prĂ©sentation.