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💡 La place des micromobilités dans la mobilité

Par : Joëlle Touré 22 juin 2020 no comments

💡 La place des micromobilités dans la mobilité

par Joëlle Touré, déléguée générale, Futura-Mobility

 

Mercredi 3 juin 2020, une séance (à distance) du think tank Futura-Mobility a lieu sur la place des micromobilités dans la mobilité.

La question posĂ©e aux intervenants est celle de l’articulation des nouveaux modes de transports lĂ©gers – que ce soit de marchandises ou de personnes – aux modes de transports traditionnels qui permettent de massifier les flux.  Mohamed Mezghani, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’Union Internationale des Transports Publics (UITP) et Laetitia Dablanc, directrice de la Chaire de la CitĂ© de la Logistique Ă  l’UniversitĂ© Gustave Eiffel Ă©clairent cette question sous les deux angles, mobilitĂ© des personnes pour le premier, mobilitĂ© des marchandises pour la seconde.

Des micromobilités en croissance

Mohamed Mezghani identifie deux raisons principales Ă  l’essor ces dernières annĂ©es des micromobilitĂ©s (vĂ©los, scooters, trottinettes… Ă©lectriques ou non, partagĂ©s accessibles Ă  travers une application mobile) dans le transport de personnes. Tout d’abord la faible distance de la plupart des trajets : « par exemple en France, 25 % des dĂ©placements motorisĂ©s font moins d’un kilomètre, 50 % font moins de 3 kilomètres et 90 % moins de 10 kilomètres », prĂ©cise-t-il. Puis, la capacitĂ© qu’ont ces engins de dĂ©placement personnels de connecter les passagers Ă  leur porte de dĂ©part ou d’arrivĂ©e en complĂ©ment du rĂ©seau de transports massifiĂ©s.

Le dĂ©veloppement rapide du numĂ©rique et de l’Ă©conomie du partage fait le reste. Il est très facile aujourd’hui dans les grandes villes de faire usage de ces engins de micromobilitĂ©.

En parallèle, la vision du transport de personnes a basculĂ© de l’offre vers la demande, des infrastructures et/ou rĂ©seaux de transport vers le service, en somme, du prĂŞt-Ă -porter vers le sur-mesure.

Ainsi, M. Mezghani affirme « pour nous, Ă  l’UITP, les micromobilitĂ©s font partie intĂ©grante du transport public car elles rĂ©pondent Ă  des objectifs qui se rejoignent aussi : meilleur utilisation de l’espace urbains, moins d’émissions de polluants et de gaz Ă  effet de serre ; et ce sont des modes qui peuvent se combiner facilement avec le transport public conventionnel aussi bien physiquement que d’un point de vue des services et des tarifs avec l’approche Mobility as a Service ».

De plus, les micromobilitĂ©s permettront d’Ă©tendre la zone de couverture des transports publics « en dĂ©ployant de nouvelles options dans des zones de faible densitĂ© oĂą la desserte ne serait Ă©conomiquement justifiĂ©e par des rĂ©seaux de transports publics lourds ».

 

 

Pour illustration, des partenariats publics-privĂ©s se nouent entre des opĂ©rateurs de mass transit et des opĂ©rateurs de micromobilitĂ©. On peut citer par exemple la compagnie nationale espagnole de trains Renfe qui a liĂ© de nombreuses alliances, notamment avec l’opĂ©rateur de trottinettes Circ, qui va mĂŞme ĂŞtre intĂ©grĂ© dans une plateforme MaaS en 2020. « Plus rĂ©cemment Blablacar a nouĂ© un partenariat stratĂ©gique avec l’opĂ©rateur de trottinettes Voi » lui permettant ainsi de couvrir les trajets de ses clients porte Ă  porte.

Dans le domaine logistique, les micromobilitĂ©s s’attachent au dernier kilomètre et mĂŞme « maintenant, comme on dit dans le secteur, aux 15 derniers mètres », explique Laetitia Dablanc. Le secteur est encore très traditionnel mais il Ă©volue rapidement « avec beaucoup d’Ă©volutions, d’innovations et qui touchent le monde entier ; et avec des acteurs qui se ressemblent beaucoup ou sont les mĂŞmes partout ! ».

Aujourd’hui, la livraison dans les grandes villes se fait essentiellement avec un humain au volant de camionnette ou d’un deux-roues roulant au diesel. « C’est ça la routine de la livraison », expose Mme Dablanc. Au-delĂ  de l’Ă©lectrification des vĂ©hicules qui croĂ®t rĂ©gulièrement, se dĂ©veloppent d’autres moyens de transport, bien que leurs parts de marchĂ© soient encore très minimes. « Avec le Covid, on a vu apparaitre une accĂ©lĂ©ration de ces expĂ©rimentations », indique nĂ©anmoins Laetitia Dablanc.

Ainsi, commencent Ă  de dĂ©velopper des livraisons pas drone. Aux USA, Fedex ou UPS ont Ă©tĂ© autorisĂ©es Ă  les mettre en place dans des campus, des hĂ´pitaux, donc dans des environnements plutĂ´t fermĂ©s. En Islande, Flytrex a mis en place une liaison de routine qui concerne l’alimentaire. Un gros acteur chinois du e-commerce, JD a très fortement accĂ©lĂ©rĂ© le dĂ©ploiement de ses drones et robots Ă  l’occasion de la crise du Covid19, notamment Ă  Wuhan.

« Aux USA, le robot Nuro – qui est un robot de rue et non de trottoir – est celui qui se développe le plus de façon banalisée », analyse Laetitia Dablanc. Starship au Royaume-Uni, utilise des droïdes depuis quelques années et a annoncé un développement encore accéléré. Mais Mme Dablanc précise « encore une fois pour le moment on reste sur des parts de marché tout à fait marginales ! ».

 

Robot de rue Nuro

 

DroĂŻdes Starship

 

La livraison par vĂ©los cargos Ă  assistance Ă©lectrique « qui ont deux quatre fois moins de capacitĂ© qu’une fourgonnette, devient un vĂ©ritable petit marché », surtout en Europe. Ce marchĂ© croĂ®t rapidement. « Son avantage principal est l’accès aux voies cyclables », avance Laetitia Dablanc.

Une autre initiative intĂ©ressante, « le service Fludis sur la Seine entre le port de Gennevilliers et le centre de Paris, cumule trois innovations » : la barge elle-mĂŞme est Ă©lectrique, elle est chargĂ©e Ă  l’aller et au retour et elle permet d’exploiter le temps du trajet pour recharger des vĂ©los cargos Ă  bord.  « Mais ce service reste assez cher en terme de coĂ»ts d’exploitation » et a donc du mal Ă  s’imposer dans un secteur oĂą les marges sont faibles.

 

 

Des modèles d’affaires ou organisationnels qui Ă©voluent rapidement

Dans le transport de personnes, les modèles d’affaires Ă©voluent, souvent rapidement en raison de la crise du Covid19.

Par exemple, on peut voir les opĂ©rateurs micromobilitĂ©s « se recentrer sur des clients plutĂ´t locaux, parce qu’il y a moins de touristes », rapporte Mohamed Mezghani. Ainsi, des offres fleurissent avec des abonnements ou de la location longue durĂ©e (Pony, Spin, Wheels – permettant au passage d’Ă©viter le problème sanitaire). Le placement des trottinettes Ă©volue Ă©galement pour se rapprocher de cette clientèle.

« Certains vont aussi diversifier les sources de revenus en utilisant par exemple les trottinettes pour faire de la livraison ».  C’est le cas de Voi, Dott, Gotcha… D’autres dĂ©veloppent « une offre Ă  destination des entreprises pour leur permettre d’offrir ce type de dĂ©placement Ă  leurs dĂ©placements de leurs employĂ©s comme Velib, Voi, Cityscoot, Tier ».

On voit apparaître aussi de la coopération entre des exploitants concurrents, comme la mise en commun du remisage des vélos ou du nettoyage. « Ce sera bientôt le cas à Lyon par exemple », illustre Mohamed Mezghani.

Autre Ă©volution, une orientation vers un « schĂ©ma de service public des micromobilitĂ©s : une tendance oĂą les autoritĂ©s publiques veulent reprendre la main sur ces services ». Cela implique un changement de business model pour les opĂ©rateurs de micromobilitĂ©s qui se verraient soutenus financièrement par les autoritĂ©s organisatrices, plutĂ´t que ponctionnĂ©s d’une redevance. Du cĂ´tĂ© des autoritĂ©s organisatrices, l’intĂ©rĂŞt est de mieux intĂ©grer ces services avec les transports publics traditionnels et de contrĂ´ler le niveau d’offre et la qualitĂ© de service.

Du cĂ´tĂ© du transport des marchandises, « la logistique aura beaucoup Ă©voluĂ© d’ici Ă  2050 mais, surtout avec des innovations de services, des innovations organisationnelles au sein des entreprises notamment des e-commerçants », prĂ©voit Laetitia Dablanc, plus qu’avec des innovations technologiques.

« Ce qui est le plus frappant, c’est le dĂ©veloppement de la livraison hors du domicile. » Ce sont les boutiques de proximitĂ© en Europe, le concierge Ă  Manhattan, les consignes automatiques en Asie, aux USA ou en Allemagne par exemple. A tel point que « les nouveaux grands complexes rĂ©sidentiels ont maintenant systĂ©matiquement, en Chine par exemple, des grosses boites Ă  colis ».

 

E-commerce et pratiques de mobilité : regards croisés entre Paris et New York City

 

« Une innovation considĂ©rable parce qu’elle fait appel Ă  des algorithmes et des applications que tout le monde a en main, ce sont les livraisons instantanĂ©es », c’est-Ă -dire en moins de deux heures. Le phĂ©nomène est parti de la livraison de repas et s’est Ă©tendu aux autres types de produit. Cette activitĂ© est rĂ©alisĂ©e par des auto-entrepreneurs et questionne ainsi le droit du travail partout dans le monde. Mais Laetitia Dablanc remarque que « c’est aussi Ă©galement des dizaines de milliers d’emplois non qualifiĂ©s et disponibles dans le centre des grandes villes, y compris pour des populations vulnĂ©rables comme les migrants par exemple ».

Il y a aussi un marchĂ© de niche qui apparaĂ®t, la livraison dite « par la foule ». Ce sont des particuliers qui ont une capacitĂ© de transport dans leur sac Ă  dos ou leur coffre Ă  l’occasion ou en plus de leur dĂ©placement. « En France, la rĂ©munĂ©ration doit juste permettre de couvrir les frais de transport et en aucun cas de venir un mĂ©tier car le transport des marchandises est très rĂ©glementé », analyse Mme Dablanc.

Amazon Flex fait figure de modèle intermĂ©diaire. « Les grandes enseignes ont de plus en plus d’entrepĂ´ts urbains qui permettent de livrer dans la mĂŞme journĂ©e, voire en deux heures, voire une heure pour Amazon Prime Now les habitants des grandes villes », poursuit Laetitia Dablanc. A Los Angeles, Amazon dĂ©tient 15 entrepĂ´ts urbains en coeur de ville. Et lĂ  pour Amazon, ce sont bien des particuliers qui livrent. « C’est considĂ©rable en terme de gĂ©nĂ©ration de trafic ! […]. Pour un petit entrepĂ´t de 10 Ă  20 000 m2, vous avez 45 poids lourds, 250 camionnettes et 850 voitures de particuliers Amazon Flex qui entrent et sortent chaque jour ! ». 

Paris par exemple a su garder un entrepĂ´t logistique en ville, sur plusieurs Ă©tages « ce qui permet de consommer moins de foncier », explique Mme Dablanc. LĂ , pas de livraison par des particuliers mais un prestataire d’Amazon Prime Now qui utilise le toit de l’entrepĂ´t comme parking et point de recharge de ses fourgonnettes Ă©lectriques. La Ville de Paris a aussi rĂ©ussi Ă  faire la promotion des « hĂ´tels logistiques » Ă  Ă©tage et aux usages mixtes (logistique mais aussi bureaux ou Ă©quipements sportifs). Des petits entrepĂ´ts urbains apparaissent ainsi – parfois mĂŞme sur la voirie en Chine ! – pour devenir « des points de massification finale, en rĂ©seau pour une enseigne,  avant la livraison au client ».

 

Hôtel logistique de Chapelle international (18e arr.) inauguré en juin 2018   © JGP

 

Concernant les petits commerces de proximitĂ©, la crise du Covid-19 a poussĂ© de nombreuses municipalitĂ©s Ă  mettre en place des plateformes communes de logistique pour permettre la livraison Ă  domicile. « Je pense que cela va vraiment devenir ‘normal’ pour un petit commerçant de faire Ă©galement du service avec la livraison Ă  domicile », estime Laetitia Dablanc.

Une concurrence accrue pour l’occupation de l’espace public

ConsĂ©quence du dĂ©veloppement des micromobilitĂ©s, que ce soit pour transporter des personnes ou des marchandises, « le chaos urbain se complexifie ! » affirme Mme Dablanc. Il y a en effet une forte concurrence pour la place attribuĂ©e aux vĂ©hicules que ce soit sur la voie ou sur le trottoir entre bus, tramway, vĂ©los, trottinettes, droĂŻdes de livraison (sur les trottoirs) ou robot (sur les voies), piĂ©tons Ă©videmment…  et la voiture ! « Il faudra bien inclure ce thème de partage de l’espace public dans nos discussions », conclut Mohamed Mezghani.

 

 

Images (article) : présentations de M. Mezghani et Mme Dablanc

Photo de couverture : Flickr-CC-Sam Saunders