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L’adaptation des systèmes de transport au changement climatique

Par : Lesley Brown 24 novembre 2021 no comments

L’adaptation des systèmes de transport au changement climatique

Par Lesley Brown et Joëlle Touré

Paris, le 9 novembre 2021 : cette séance de travail, organisée par Futura-Mobility, a permis aux participants d’approfondir leur connaissance de l’impact du dérèglement climatique sur les infrastructures de transport, véritables lignes de vie pour notre société.

Prendre la température

Le changement climatique est en marche. Frédéric Long, climatologue à Météo France, explique qu’à l’échelle de la France on observe une nette hausse des températures moyennes, avec une accélération depuis les années 1980. Coté précipitations, bien qu’il y ait peu de changement au niveau des cumuls annuels, les épisodes extrêmes sont plus intenses et les sécheresses plus fréquentes.

A l’échelle globale, M. Long confirme que la planète est déjà un petit peu au-dessus d’un degré par rapport à l’ère préindustrielle et que « cette montée en température a des conséquences qu’on peut déjà observer comme, par exemple, la perte de masse des glaciers et de la banquise arctique ». En effet, cette dernière a déjà perdu 40 % de sa superficie depuis les années 1980 quand on la mesure en septembre, le moment où l’extension de cette banquise est généralement minimale. Autres conséquences, la hausse de 20 cm du niveau moyen des océans depuis 1901, ou encore des phénomènes extrêmes plus fréquents et plus intenses dans de nombreuses régions de l’Europe de l’Ouest, par exemple, avec une hausse de la fréquence des sècheresses.

Où nous mènent toutes ces évolutions ? Dans son 6ème rapport sur le changement climatique, publié en août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) étudie 5 scénarios d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2100. « Quelque soit le scénario d’émissions envisagé, le climat est déjà prévisible à horizon 2040-2050 », décrypte Frédéric Long. « C’est à partir de 2050 que ces scénarios d’émissions vont commencer à avoir une influence plus ou moins forte sur le réchauffement des années suivantes ».

Il ne faut pas sous-estimer les impacts ni la vitesse du changement climatique, alerte Frédéric Long.  « Les gens font souvent une confusion entre la météo et le climat. Le ‘+1 °C’ qu’on a eu déjà est énorme pour le climat. On n’est pas tout au fait arrivé au niveau du pic de la dernière période interglaciaire – sauf que pour cette dernière, on a mis 20 000 ans pour y arriver et là on a mis une centaine d’années ».

Ici et maintenant

« Le système ferroviaire est relativement indifférent aux intempéries », disait Roger Guibert, directeur général de la SNCF, en 1970. « Vraiment ? » répond Vivian Dépoues, chef de projet adaptation aux changements climatiques à l’Institut de l’Economie pour le Climat (I4CE), en 2021.

Suite aux fortes précipitations en Allemagne en juillet 2021, DB Networks, le gestionnaire du réseau ferroviaire national, a signalé plus de 600 km de voies ferrés et 80 gares endommagées, ainsi que des équipements au sol et de la signalétique. Selon le ministre fédéral du transport, les travaux de réparation devraient coûter plus de 2 milliards d’euros, dont 1,3 milliard pour reconstruire les voies et environ 500 millions pour les gares. Ces travaux pourraient durer jusqu’à 2025.

« Ce sont à la fois les changements de fond et les évènements extrêmes qui ont des impacts sur les systèmes de transport », avertit M. Dépoues. La fréquence répétée des vagues de chaleur, par exemple, a un impact significatif sur les minutes perdues en train en France : 75 % des minutes perdues pendant 9 jours d’affilé en juillet 2019 ont eu pour cause directe la canicule.

Source : rapport 'Retour d'expérience sur l'épisode caniculaire et la sécheresse 2019', p.28

Cette observation est bel et bien confirmée par les données partagées par Frédéric Long de Météo France :  entre 1947 et 2021, 43 épisodes de chaleur ont été observés en France, dont 18 pendant la décennie 2011-2020.

Les impacts des aléas climatiques et naturels sur les infrastructures de transport sont divers, rappelle Marie Colin, référente technique résilience des infrastructures et adaptation au changement climatique au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Une chaleur extrême, par exemple, risque de déformer les couches de surface sur les réseaux routiers, ou de dilater les rails et les câbles de captation électriques dans le ferroviaire. Pour tous les réseaux, de fortes précipitations peuvent déclencher des problèmes de drainage ou des dégradations.

Par ailleurs, dans de telles conditions extrêmes et étant donné la difficulté d’évaluation du risque d’événements exceptionnels, les assurances risquent de ne plus accepter de couvrir un certain nombre de risques à l’avenir.

Quelles mesures adopter ?

Dans ce contexte inquiétant, quelles sont les meilleures approches à adopter ? Selon Vivian Dépoues, « il faut systématiser la prise en compte de l’adaptation dans les décisions structurantes ». Comme, par exemple, cette décision de la Commission Européenne en juillet 2021 sur l’adaptation au changement climatique des projets d’infrastructure pour la période 2021-2027, fondée sur le rapport Climate change adaptation of major infrastructure projects (2018). Ou le projet de loi américain sur les infrastructures, adopté par le Sénat en novembre 2021 : sur un montant total de 1 200 milliards de dollars d’investissements, 47 milliards de dollars sont prévus pour des mesures de résilience climatique et destinés à aider les communautés à résister à des tempêtes, des sécheresses, des inondations, des incendies, des vagues de chaleur et à l’élévation du niveau de la mer.  « Cet exemple illustre une action complémentaire mais différente de la prise en compte systématique de l’adaptation dans les décisions structurantes, qui poursuivent d’abord d’autres objectifs, puisqu’il s’agit là d’investissements ad-hoc dont l’objectif premier est l’adaptation », commente M. Dépoues.

La France n’est pas précurseur sur la matière : les entreprises semblent manquer de maturité sur le sujet et le Plan national d’adaptation au changement climatique 2018-2022 (PNACC2), reste peu opérationnel et sans influence jusqu’ici sur les principaux choix d’investissement. Plus récemment encore, dans le plan gouvernemental France Relance, publié en septembre 2020, aucune mention n’est faite à l’adaptation au changement climatique des infrastructures.

‘Les référentiels techniques seront passés en revue par les services compétents et adaptés autant que nécessaire en donnant la priorité aux secteurs des infrastructures et matériels des réseaux de transport (fiabilité et confort climatique). Le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES) soutiendra les projets visant à l’adaptation des réseaux et infrastructures de transport’.

Que dit le PNACC-2 ?

De toutes façons, dans cette course à la résilience, les politiques publiques seules ne suffiront pas. « Il s’agit aussi d’une montée en capacité des organisations concernées – ce qui demande pas mal d’évolutions au sein de ces organisations, y compris peut-être de nouvelles compétences, et un certain portage », avance M. Dépoues.

Depuis 2015, SNCF a commencé à prendre en compte l’adaptation au changement climatique en lançant de nombreux travaux (thèses, études, audits, …) par différentes entités du Groupe – « selon une approche systémique, y compris avec l’externe », explique Claire Rousselet, experte Climat Carbone chez SNCF. Aujourd’hui, le Groupe finalise sa stratégie d’adaptation au changement climatique, présentée à ses dirigeants fin novembre 2021.

Parmi les actions réalisées par l’opérateur ferroviaire français, créer du lien entre toutes les business units, sensibiliser les personnels, et établir des plans d’actions sur le long terme pour lisser les coûts. Pour y arriver, « on est ouvert et preneur de benchmark, de collaborations et de partenariats », affirme Mme Rousselet.

C’est justement pour accompagner les gestionnaires des infrastructures de transport dans une telle démarche que le Cerema a développé ses offres de services. En particulier, une méthode en 10 étapes conçue pour diagnostiquer les vulnérabilités aux aléas climatiques actuels et futurs, suivie de l’élaboration d’une stratégie d’adaptation pour des infrastructures résilientes.

« Avec le changement climatique, on va avoir des impacts différents et potentiellement plus importants sur les infrastructures et sur l’exploitation, l’entretien, les budgets, les usagers et plus globalement sur les territoires », souligne Marie Colin.

SNCF Réseau et le Grand Port Maritime de Bordeaux figurent parmi ceux qui ont fait appel au Cerema à ce sujet.

La partie immergée de l’iceberg

Pour adapter ses infrastructures du mieux possible aux aléas climatiques, les gestionnaires doivent adopter une vision globale du sujet et de ses problématiques. Notamment, il faut prendre en compte les évolutions techniques et sociétales – comme, par exemple, la création des « coronapistes » – ces aménagements cyclables souvent provisoires créés dans les villes françaises lors de la pandémie de Covid-19 en 2020 dans le but de décongestionner les transports publics et encourager un mode de transport décarboné – faute de quoi « on risque d’investir pas mal d’argent en oubliant ces évolutions à venir » avertit Mme Colin.

« Il ne faut pas ignorer les coûts sociaux et économiques du changement climatique » ajoute M. Long, en se référant au projet européen COACCH (CO-designing the Assessment of Climate CHange costs), une initiative qui allait dans ce sens. Bénéficiant d’une subvention de l’ordre de 4,5M€ entre décembre 2017 et novembre 2021, COACCH rassemblait des experts de premier plan dans le domaine des sciences du changement climatique, issus de 13 instituts de recherche européens, afin de faire progresser les connaissances relatives aux impacts et aux politiques du changement climatique, directement utilisables par les communautés de parties prenantes.

Mme Colin soulève également la question des normes et de leur adaptation au changement climatique – un sujet qui fait aussi partie du travail du Cerema.

Tous autour de la table

Des démarches collectives et prospectives à des politiques plus ambitieuses en passant par des changements et des réflexions au sein des organisations, il y a une myriade de pistes à suivre pour adapter les infrastructures de transport.

« Tout le monde doit se mettre autour de la table et agir ici et maintenant », rappelle Mme Colin. « Les mesures ne coûtent pas forcément cher en termes d’argent mais il est nécessaire d’y dédier du temps », insiste M. Dépoues.