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💡 Mobilité aux USA – contexte, tendance et prospective

Par : Lesley Brown 12 octobre 2019 no comments

💡 Mobilité aux USA – contexte, tendance et prospective

20 septembre 2019 : lors de cette session de Futura-Mobility, retransmise en direct depuis la Californie, des intervenants de Valeo US et de Winnovation – filiale de Bouygues, ont dressé le panorama actuel de la mobilité aux Etats-Unis, défriché les tendances et exploré les scénarios pour le futur.

 

Partie 1 : Le contexte général

Sur les quelque 350 millions d’habitants que compte aujourd’hui les Etats-Unis, la moitiĂ© d’entre eux vivent dans seulement 9 des 50 États du pays – « et nous nous attendons Ă  voir la mĂŞme concentration en 2050 avec une population d’environ 400 millions », a dĂ©clarĂ© Peter Groth, Directeur, Valeo Mobility Tech Center, Valeo Driving Assistance Research USA.

Il existe quatre catégories principales de types d’espace de vie : urbain, suburbain – « une tendance qui continue de croître », rural et « exurbain ». Ce dernier terme émergent décrit des biens construits dans un milieu rural au-delà des limites des villes existantes et leur périphérie. Ils forment donc un quartier non intégré à la ville.

 

Source : présentation Valeo/Winnovation

 

IntĂ©ressant Ă©galement, chaque Etat est divisĂ© en un certain nombre de comtĂ©s qui tendent Ă  s’agrandir vers l’Ouest. Une Ă©tude du Pew Research Center a rĂ©vĂ©lĂ© que dans ces comtĂ©s, 50 % de la population vit en banlieue, 14 Ă  16 % vit dans les zones rurales, puis le reste, soit environ 30 %, vit dans les zones urbaines, « qui Ă  un certain pourcentage sont suburbaines », a soulignĂ© M. Groth.

 

Source : présentation Valeo/Winnovation

 

L’habitat continue de se disperser. Les gens s’installent davantage dans les banlieues que dans les quartiers urbains – « une tendance fondamentale pour comprendre les Etats-Unis », M. Groth. « De plus, je dirais que nous avons une culture du voyage en voiture. Pourquoi ? Parce que c’est relativement bon marchĂ©, et que vous voyez beaucoup de belles choses. Cette culture, qui fait qu’aux Etats-Unis les gens n’hĂ©sitent pas Ă  prendre la voiture, est une des raisons pour lesquelles nous avons beaucoup de voitures ici. »

Voiture contre transports publics

La voiture est toujours reine aux Etats-Unis. Les donnĂ©es issues du Transportation Energy Data Book N°36 montrent qu’environ 20 % des mĂ©nages amĂ©ricains ont trois voitures ou plus, 30 % en ont deux, 30 % en ont une, et un peu moins de 10 % n’en ont pas du tout – « ce que je trouve Ă©trange ! » a remarquĂ© M. Groth.

En termes de kilomètres parcourus en voiture par personne et par an, le graphique ci-dessous montre que les États-Unis devancent les autres pays. « Je pense que cela s’explique simplement par le dĂ©veloppement des banlieues loin des centres villes. Le fait que nous nous rendons au travail, que nous n’avons pas peur de prendre la route et que les gens s’éloignent », a commentĂ© M. Groth.

Source: présentation Valeo/Winnovation

 

Autre façon intĂ©ressante d’observer ces comportements, une Ă©tude de l’Energy Information Administration des États-Unis s’est penchĂ©e sur le nombre de kilomètres-passagers par pays et par mode de transport en 2012. Les principales conclusions montrent que la voiture est encore plus utilisĂ©e au Canada qu’aux Etats-Unis. Pour ces deux pays Ă©galement, l’utilisation de l’autobus par les passagers est faible, sans parler du transport ferroviaire qui l’est plus encore !

Aux États-Unis, il est encore beaucoup plus facile de sauter dans sa voiture que d’utiliser les transports en commun. « En effet, le taux d’utilisation des transports en commun est infĂ©rieur Ă  10 % dans la plupart des villes amĂ©ricaines, sauf Ă  New York oĂą il est de 20 % – mais c’est une exception et ne reprĂ©sente pas l’AmĂ©rique », a soulignĂ© M. Groth. « Dans l’ensemble, le nombre d’usagers est bas, ça ne se dĂ©veloppe pas bien. »

Autre élément à regarder : le lien que les Américains entretiennent avec leurs voitures. Les trois véhicules les plus vendus aux USA en 2018 sont trois grands pick-ups.

« Il y a un certain pourcentage de la population qui utilise des pick-ups et des SUV plutĂ´t que des voitures parce qu’ils sont pratiques pour les loisirs, c’est-Ă -dire pour transporter de l’Ă©quipement, tracter des remorques avec des motos, pour voyager d’un Etat Ă  l’autre. De plus, l’essence est bon marchĂ© et nous avons les routes pour » a dit M. Groth. « Ces types de vĂ©hicules font partie intĂ©grante de l’identitĂ© amĂ©ricaine – un point important Ă  garder Ă  l’esprit lorsque l’on pense aux vĂ©hicules autonomes et aux tendances de l’avenir. En d’autres termes, les AmĂ©ricains accepteront-ils de renoncer Ă  la propriĂ©tĂ© et Ă  la conduite de leur voiture ? »

Qui fait quoi ?

Le cadre lĂ©gislatif amĂ©ricain allonge la durĂ©e de mise en place des modifications apportĂ©es aux infrastructures de transport ou de nouvelles normes. Trois niveaux de gouvernement – fĂ©dĂ©ral, Ă©tatique et local – sont responsables de diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de l’Ă©cosystème des transports. Le fait d’avoir Ă  traiter avec des autoritĂ©s diffĂ©rentes en fonction de ce sur quoi vous travaillez dans le domaine des transports est source de confusion. Cela ralentit la progression de certains aspects pour les vĂ©hicules autonomes. Par exemple, lorsqu’il s’agit de la dĂ©livrance des permis, de la sĂ©curitĂ©, de la certification ou de l’Ă©quipement autorisĂ© sur les vĂ©hicules, qui est responsable de quoi ? La situation est beaucoup plus simple pour le transport aĂ©rien et la mobilitĂ© aĂ©rienne, qui relèvent entièrement du gouvernement fĂ©dĂ©ral.

En outre, une nouvelle mobilitĂ© peut prendre plus de temps Ă  se mettre en place parce que la propriĂ©tĂ© et la gestion des infrastructures de transport sont rĂ©parties entre diffĂ©rents types d’entitĂ©s, comme le gouvernement fĂ©dĂ©ral, les États, les comtĂ©s, les villes, etc. « Ainsi, lorsque vous essayez de mettre en Ĺ“uvre quelque chose qui concerne l’infrastructure, vous avez affaire Ă  beaucoup d’interlocuteurs diffĂ©rents », a soulignĂ© M. Groth. « Par exemple, la signalisation routière est du ressort des Etats… ce qui signifie qu’elle diffère d’un État Ă  l’autre. »

 

Partie 2 : tendances de mobilité et développement – l’investissement compte

David Hermina, Directeur de l’innovation et de la recherche collaborative chez Valeo, a ensuite prĂ©sentĂ© les tendances de la mobilitĂ© en AmĂ©rique du Nord Ă  partir de l’analyse des investissements – une approche qui a surpris nos esprits europĂ©ens, plus habituĂ©s Ă  Ă©tudier les tendances Ă  travers le prisme des expĂ©rimentations, du nombre d’utilisateurs ou des retours des usages.

Nous avons appris que les vĂ©hicules autonomes se taille la part du lion, avec un total de 11,41 milliards de dollars amĂ©ricains, soit près de 2 milliards par an, entre 2014 et 2019. Viennent ensuite 29,7 milliards de dollars (1,75 milliard de dollars par an) investis dans la mobilitĂ© partagĂ©e depuis 2002 ; 1,73 milliard de dollars (0,22 milliard de dollars par an) dans les solutions de dernier kilomètre depuis 2011 ; 1,33 milliard de dollars (0,17 milliard de dollars par an) en micro-mobilitĂ© depuis 2013 ; et 45 millions de dollars pour la mobilitĂ© aĂ©rienne depuis 2015. Il est toutefois important de noter que, pour la mobilitĂ© aĂ©rienne, « nous manquons de donnĂ©es de Google, d’Amazon et de Tesla, qui sont tous des acteurs majeurs », a dĂ©clarĂ© M. Hermina.

 

Source : présentationValeo/Winnovation

 

« Les secteurs sont clairement à différents niveaux de maturité. Alors que la mobilité aérienne est hors du radar, des marchés comme celui des trottinettes sont en consolidation », a-t-il ajouté.

Parmi les dĂ©veloppements rĂ©cents, de nouvelles alliances dans le domaine de l’autonomie sont apparues sur le marchĂ©, comme le partenariat de Volkswagen avec Ford pour investir dans Argo AI, une start-up qui travaille sur le dĂ©veloppement de voitures autonomes. Dans le domaine de la mobilitĂ© partagĂ©e, Uber tente de changer de modèle Ă©conomique avec une offre d’abonnement tout-en-un. La mobilitĂ© du dernier kilomètre se traduit par des alliances avec des acteurs B-to-C, comme entre Walmart et la start-up de livraison par robot Uldev.

« Le lien commun entre tous ces segments de la mobilitĂ©, tels que les vĂ©hicules autonomes et la micromobilitĂ©, est l’Ă©lectrification », a ajoutĂ© M. Hermina.  « En gardant cela Ă  l’esprit, l’infrastructure de demain devra ĂŞtre capable de tous les alimenter. »

 

Partie 3 : la mobilité à horizon 2050

En examinant « la boule de cristal », les intervenants ont ensuite tentĂ© de prĂ©dire dans une certaine mesure l’avenir – Ă  quoi ressemblera la mobilitĂ© dans trois dĂ©cennies ? – en examinant 1) les dĂ©fis Ă  relever pour y parvenir et 2), hypothĂ©tiquement, les consĂ©quences pour les personnes et la sociĂ©tĂ© dans 30 ans.

  • MobilitĂ© partagĂ©e

M. Hermina a insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© d’un consensus sur ce que signifie exactement « mobilitĂ© partagĂ©e ». Certaines dĂ©finitions incluent la micromobilitĂ© des trottinettes, ou encore les rĂ©seaux de coursiers comme la livraison de repas Ă  la demande, etc. « Pour l’instant, ce n’est pas clair et ce manque de cohĂ©rence entrave le partage, l’adaptation et le dĂ©ploiement des meilleures pratiques. »

Il estime aussi qu’il faut assurer une accessibilitĂ© Ă  la mobilitĂ© partagĂ©e dans toutes les zones et une intĂ©gration de cette mobilitĂ© aux transports publics pour rĂ©duire la sĂ©grĂ©gation spatiale. En effet, des inĂ©galitĂ©s commencent Ă  apparaĂ®tre, avec diffĂ©rents types de moyens de mobilitĂ© pour diffĂ©rents types de distances offerts dans diffĂ©rentes rĂ©gions.

 

Source : présentation Valeo/Winnovation

 

La mobilitĂ© partagĂ©e en 2050 pourrait bien donner naissance Ă  de nouveaux modèles tant pour les utilisateurs que pour les fournisseurs, comme par exemple une diffĂ©renciation des vĂ©hicules utilisĂ©s en fonction du type de trajet. L’assurance aussi, traditionnellement basĂ©e sur la propriĂ©tĂ© des vĂ©hicules, pourrait bien Ă©voluer vers un modèle au kilomĂ©trage. De nouveaux modèles d’entreprises pourraient voir le jour, dans lesquels ces dernières tenues d’offrir Ă  leurs employĂ©s des abonnements Ă  des forfaits multimodaux de mobilitĂ©.

  • La mobilitĂ© du dernier kilomètre

Comment combler l’Ă©cart entre le dernier kilomètre et le dernier mètre si on voit apparaĂ®tre l’utilisation de robots ou de drones ?

Du point de vue de l’infrastructure, quelle est la bonne rĂ©ponse Ă  tous ces types de mobilitĂ© – y aura-t-il des voies rĂ©servĂ©es, une conception nouvelle qui tienne compte de l’ensemble des vĂ©hicules et bâtiments pour que ce dernier kilomètre soit bien desservi ?

  • Micro-mobilitĂ©

Les dĂ©fis Ă  relever en 2050 pourraient porter sur la rĂ©glementation, le stockage et le passage Ă  l’Ă©chelle. « », a imaginĂ© HĂ©di Calabrese, spĂ©cialiste en construction et technologie routière pour Winnovation.

  • MobilitĂ© aĂ©rienne

Mettre en place la mobilitĂ© aĂ©rienne amène la question des autorisations d’exploitation, de la division de l’espace aĂ©rien et de l’Ă©mergence d’un modèle d’affaires – ou comment assurer une capacitĂ© suffisante pour rendre ce mode de transport attrayant en termes de prix pour les usagers ?

« Les consĂ©quences potentielles de ce nouveau mode pourraient ĂŞtre l’augmentation des coĂ»ts d’assurance des bâtiments et la crĂ©ation de « zones d’envol », » a dĂ©clarĂ© M. Calabrese. « Nous pourrions assister Ă  une baisse de la valeur des biens immobiliers et Ă  une hausse des primes d’assurance pour les bâtiments situĂ©s dans ces zones, ainsi qu’Ă  la nĂ©cessitĂ© de revoir les mĂ©thodes de construction, par exemple la rĂ©sistance structurelle des bâtiments et la conception des toitures – si elles sont utilisĂ©es pour la mobilitĂ© aĂ©rienne, il n’y aura plus de place pour les mâts de tĂ©lĂ©vision et de tĂ©lĂ©phone, les climatiseurs et autres Ă©quipements similaires. »

  • VĂ©hicules autonomes

« Nous estimons qu’il sera très difficile de mettre en place les véhicules autonomes », a déclaré M. Groth, se concentrant sur les deux défis « les plus préoccupants ».

Premièrement, pour être utile et viable, l’offre doit être accessible partout. Cela signifie que ces voitures doivent être capables de conduire à peu près partout, tout le temps, au niveau 5 (complètement autonome). Pour ce faire, la technologie des véhicules doit maîtriser les cas extrêmes – comme de mauvaises conditions météorologiques ou des arrêts / démarrages intempestifs – et avoir une perception suffisante pour comprendre parfaitement ce qui se passe. Selon M. Groth, cette perception reste très limitée et même des scénarios simples qui se produisent tous les jours restent extrêmement difficiles à gérer pour les véhicules autonomes. « Le chemin sera donc très long pour maîtriser toutes ces différentes situations. »

« Beaucoup de dĂ©ploiements de vĂ©hicules autonomes aujourd’hui aux Etats-Unis se font dans des zones oĂą il est plus facile de conduire, comme l’Arizona ou bien les banlieues oĂą les limitations de vitesse sont faibles, les routes larges. S’il y a un problème, le vĂ©hicule peut tout simplement s’arrĂŞter », a-t-il ajoutĂ©. « Si vous voulez un service sĂ»r avec un vĂ©hicule qui s’arrĂŞte constamment, les clients ne reviendront pas. »

L’autre prĂ©occupation de M. Groth est celle du coĂ»t. En combien de temps le prix peut-il baisser ? La possession d’un vĂ©hicule personnel aux États-Unis est encore assez bon marchĂ© aujourd’hui. « Mais comment la promesse de l’autonomie d’être moins cher peut-elle tenir quand on sait que chaque dĂ©ploiement aujourd’hui inclut le coĂ»t d’un ingĂ©nieur ou d’un chauffeur pour la sĂ©curitĂ© et un vĂ©hicule plus cher ? Ă€ quelle vitesse pourra-t-on se passer du chauffeur pour la sĂ©curitĂ© pour vraiment permettre Ă  cette offre de ? »

De plus, si les vĂ©hicules autonomes deviennent rĂ©alitĂ© dans 30 ans, les coĂ»ts d’entretien de l’infrastructure routière augmenteront probablement en raison de la co-habitation de vĂ©hicules avec et sans conducteur. « Dans ce cas, une alternative pourrait ĂŞtre d’avoir des voies sĂ©parĂ©es selon qu’il y a ou non un conducteur », a suggĂ©rĂ© M. Groth.

Une autre des consĂ©quences imaginĂ©es – plutĂ´t surprenante – est que comme la sĂ©curitĂ© routière devrait s’amĂ©liorer (la plupart des accidents sont dus Ă  des erreurs humaines), les dons d’organes, dĂ©jĂ  insuffisants, pourraient diminuer. Il faut en effet savoir que 20% des organes fournis pour des transplantations aux Etats-Unis proviennent d’accidents mortels sur les routes.

Sur une note plus lĂ©gère, M. Groth s’est Ă©galement demandĂ© ce qu’il adviendrait des poursuites en voiture dans les films si les voitures autonomes Ă©taient mises en service. « Nous pensons qu’Hollywood trouvera une solution ! C’est souvent le cas. Mais ça pourrait ĂŞtre ennuyeux parce que les vĂ©hicules autonomes n’enfreignent pas les règles, s’ils sont vraiment cyber-sĂ©curisĂ©s, on ne pourra pas les pirater… eh bien, nous verrons ! »

 

Bullitt (1968) – poursuite en voiture à San Francisco

 

 

Photo de couverture : CC by Julien Chatelain