đĄ Parlons LOM (Loi d’Orientation des MobilitĂ©s)
đĄ Parlons LOM (Loi d’Orientation des MobilitĂ©s)
par Joëlle Touré et Lesley Brown, Futura-Mobility
Enfin ! En dĂ©cembre 2019, la loi dâorientation des mobilitĂ©s (LOM) a Ă©tĂ© votĂ©e par lâAssemblĂ©e Nationale. AprĂšs un long parcours, cette nouvelle loi tant attendue vise Ă rendre les transports du quotidien Ă la fois plus accessibles, plus adaptĂ©s Ă la diversitĂ© des besoins et plus propres.
« Câest une profonde transformation que nous portons pour amĂ©liorer la mobilitĂ© de tous et dans tous les territoires, et engager la transition Ă©cologique de nos transports », avance Ălisabeth Borne, ministre de la transition Ă©cologique et solidaire.
La sĂ©ance (Ă distance) du think tank Futura-Mobility du 2 juin 2020 a Ă©tĂ© lâoccasion dâexplorer les principaux impacts de la LOM en termes de gouvernance et sur le terrain des mobilitĂ©s.
Gouvernance de la mobilité
« Ce que la LOM reprend Ă©tait en germe depuis longtemps », expose Mariane ThĂ©bert, chargĂ©e de recherche au Laboratoire Ville MobilitĂ© Transport de l’UniversitĂ© Gustave Eiffel. En parcourant lâhistorique du cadre lĂ©gislatif des transports depuis les annĂ©es 1980, elle dĂ©voile comment cette loi est le fruit des dĂ©cennies de dĂ©bats et de rĂ©flexions.
Une premiĂšre phase dâĂ©volutions lĂ©gislatives a eu lieu entre 1982 et 2010. Elle a commencĂ© avec la LOTI (1982), lâacte fondateur de lâorganisation du secteur des transports « qui dĂ©centralise le secteur mais sâoccupe assez peu de la gouvernance et encore moins de la mobilité », souligne Mme ThĂ©bert. Ensuite il y a un certain nombre de lois (notamment les Grenelles 1 et II en 2009-2010) qui essaient dâintĂ©grer lâimpĂ©ratif de durabilitĂ© dans lâarsenal lĂ©gislatif, câest-Ă -dire le verdissement des outils de la planification de la mobilitĂ© et des territoires. « Dans cette pĂ©riode on passe du droit au transport instaurĂ© par la LOTI au droit Ă respirer un air qui ne nuit pas Ă la santé », explique Mme ThĂ©bert.
Aussi pendant cette pĂ©riode, notamment avec la loi SRU en 2002, va sâimposer lâidĂ©e que toutes les mobilitĂ©s ne sont pas bonnes et peuvent mĂȘme sâavĂ©rer non souhaitables : celles gĂ©nĂ©rĂ©es par les extensions pĂ©riurbaines, par exemple.
En rĂ©ponse Ă ces enjeux, le lĂ©gislateur agit sur la coordination urbanisme-transport en essayant de crĂ©er un maximum de passerelles entre la planification urbaine et celle de la mobilitĂ©. Il commence Ă©galement Ă agir sur la multimodalitĂ© des autoritĂ©s organisatrices de transport urbain (AOTU, lâappellation Ă lâĂ©poque) en leur donnant de nouvelles compĂ©tences, par exemple sur les vĂ©los en libre-service, sur la voirie lorsquâelle accueille des transports en commun en site propre. LâAOTU pouvait aussi distribuer un label d’autopartage. Cet Ă©largissement des prĂ©rogatives au-delĂ du champ des transports vers celui, diversifiĂ©, des mobilitĂ©s annonce les consolidations lĂ©gislatives de la dĂ©cennie suivante.
La deuxiĂšme phase de cette Ă©volution lĂ©gislative commence en 2014 avec la MAPTAM et se termine avec la LOM. L’enjeu de cette phase Ă©tait de « clarifier la rĂ©partition des compĂ©tences entre acteurs publics, tout en faisant face Ă la multiplication des acteurs privĂ©s entrant sur le nouveau marchĂ© de la mobilitĂ© ». Il sâagit de renforcer la capacitĂ© dâaction publique de lâĂ©chelon rĂ©gional et intercommunal, notamment dans le secteur de la mobilitĂ©.
La crĂ©ation des AO de la mobilitĂ© (AOM) achĂšve dâĂ©largir leurs compĂ©tences Ă tout ce qui est nouveaux services de mobilitĂ© (autopartage, covoiturage, vĂ©hicule en libre-service, etc.) tandis que l’effacement de la rĂ©fĂ©rence Ă l’urbain pour la mobilitĂ© â le pĂ©rimĂštre de transport urbain est remplacĂ© par le ressort territorial de l’AOM â acte de la diversitĂ© des territoires sur lesquels sâexerce la compĂ©tence, et donc de la diversitĂ© des solutions de mobilitĂ© Ă mettre en Ćuvre. « Ce nâest pas neutre du tout parce que ça signifie qu’une AOM peut dĂ©velopper, sur son pĂ©rimĂštre de compĂ©tence, des transports non-urbains« , poursuit Mme ThĂ©bert.

Mille-feuille ?
Au fil des ans, lâĂ©laboration des politiques de mobilitĂ© a connu des dĂ©fis rĂ©currents. Les cloisonnements organisationnels et opĂ©rationnels par exemple empĂȘchaient l’approche multimodale. La compĂ©tence transport Ă©tait en effet trĂšs Ă©clatĂ©e entre diffĂ©rents Ă©chelons en fonction des modes de transports (ferroviaire, routier…) et entre les diffĂ©rents services au sein mĂȘme d’un Ă©chelon. « Ăa a Ă©voluĂ© depuis une bonne dizaine dâannĂ©es car on a maintenant des services « dĂ©placement » qui ont cette approche multimodale », rassure Mme ThĂ©bert.
La sectorisation des politiques publiques reste Ă©galement un dĂ©fi : « Si on essaie dâun cĂŽtĂ© dâavoir du report modal et que de lâautre on favorise la pĂ©ri-urbanisation, on est dans une contradiction. » De mĂȘme pour la coĂŻncidence entre pĂ©rimĂštres fonctionnel et institutionnel : « Il y a toujours cette volontĂ© du lĂ©gislateur de dilater les pĂ©rimĂštres institutionnels, » prĂ©cise Mme ThĂ©bert. « A partir du moment oĂč il y a des gens qui sâinstallent en pĂ©riphĂ©rie, ils sont en dehors du pĂ©rimĂštre institutionnel des autoritĂ©s organisatrices et alors quâest-ce quâon fait pour eux en terme de mobilitĂ© ? ».
Ainsi, la LOM rĂ©pond Ă cette question en rĂ©organisant la gouvernance des mobilitĂ©s dans lâobjectif dâune couverture exhaustive du territoire en AOM. « Les communes doivent transfĂ©rer leur compĂ©tence mobilitĂ© Ă leur intercommunalitĂ©. Donc d’ici un an environ 900 communautĂ©s de communes sur les 1 000 existantes vont devoir se prononcer sur la compĂ©tence mobilitĂ© ou bien la laisser Ă la RĂ©gion qui est compĂ©tente de droit ». Le pĂ©rimĂštre est donc Ă©largi. Une fois l’AOM identifiĂ©e, elle pourra signer des « contrats opĂ©rationnels de mobilitĂ© sur des bassins de vie cartographiĂ©s ».

Echanges de données et « Mobility as a Service »
Ce qui a transformĂ© le paysage des mobilitĂ©s ces dix derniĂšres annĂ©es ? Sans aucun doute, le dĂ©veloppement des services numĂ©riques â avec l’avĂšnement du smartphone et donc la saisie de donnĂ©es â et l’arrivĂ©e de nouveaux opĂ©rateurs et modes de transport.
Pour aller plus loin, la LOM vise Ă accĂ©lĂ©rer lâouverture des donnĂ©es et le dĂ©veloppement des services numĂ©riques. DĂ©jĂ imposĂ©e aux autoritĂ©s organisatrices (AO) par la « Loi Macron » en 2015 et le droit europĂ©en (rĂšglement MMTIS de 2017), lâouverture des donnĂ©es est confirmĂ©e, amplifiĂ©e et facilitĂ©e par cette nouvelle loi. « Ce quâil faut retenir de lâarticle 25 câest que toutes les AO (mĂ©tropoles, communautĂ©s de communes ou intercommunalitĂ©s) sont tenues d’ouvrir les donnĂ©es sur tous les modes existants », rĂ©sume Nicolas PĂ©lissier, directeur dĂ©lĂ©guĂ© aux collectivitĂ©s et relations institutionnelles, Keolis.
DĂ©sormais, ce sont les RĂ©gions qui vont orchestrer l’ouverture des donnĂ©es et lâautoritĂ© de rĂ©gulation des transports (lâART) va contrĂŽler et rĂ©guler les diffĂ©rends. La diffusion des donnĂ©es doit se faire de maniĂšre statique (un fichier) ou dynamique via un API (une interface de programmation) au point dâaccĂšs national (PAN), transport.data.gouv.fr. Ainsi, câest ce point d’accĂšs national (PAN) qui va collecter les donnĂ©es et les diffuser aux rĂ©-utilisateurs des donnĂ©es. « Sur ce sujet il y a encore dĂ©bat », explique M. PĂ©lissier. « Car en fournissant leurs donnĂ©es via ce point dâaccĂšs national, les AO deviennent incompĂ©tentes pour la diffusion de leurs propres donnĂ©es et donc n’auraient plus la maitrise de la diffusion de leurs propres donnĂ©es ».
De plus avec la LOM, dĂ©sormais les AO doivent veiller Ă l’existence de service de « Mobility as a Service » facilitant l’intermodalitĂ© sur l’ensemble des modes de transports. Elles sont Ă©galement tenues de fournir une interface numĂ©rique permettant lâaccĂšs aux acteurs proposant un service de MaaS Autre nouveautĂ© apportĂ©e par la LOM, la dĂ©finition de deux catĂ©gories juridiques de service numĂ©rique permettant lâinformation, la rĂ©servation et la vente de services de mobilitĂ©Â :
- la « plateforme de mise en relation », qui permet simplement de délivrer ses propres produits tarifaires ;
- le « distributeur » qui peut,  sous rĂ©serve de lâaccord de lâAO, fixer le prix a) de vente de ses propres produits tarifaires et b) de revente de ceux de l’opĂ©rateur de transport. Il pourrait ainsi mĂȘme crĂ©er un prix diffĂ©rent !
A propos de cette derniĂšre catĂ©gorie, M. PĂ©lissier craint « un risque de dĂ©sintermĂ©diation des opĂ©rateurs et surtout de captation de lâensemble des donnĂ©es, donc de captation de la valeur par un acteur privé ».
En considĂ©rant toutes les mesures dans la LOM pour la « Mobility as a Service », « ce nâest pas pour demain que tout sera en place. La loi est probablement assez complexe et ambiguĂ« pour ralentir lâopĂ©ration de cette mise en place des MaaS ».
Coup de pouce aux innovations
Pour encourager les nouvelles mobilitĂ©s tant en terme dâacceptabilitĂ© par les usagers que d’intĂ©gration aux systĂšmes existants, la LOM fait la part belle Ă lâinnovation.
Les articles 30 Ă 39 prĂ©voient des obligations et des ordonnances comme lâencadrement des services de « free floating » portĂ©s par les AO, un cadre juridique pour les vĂ©hicules autonomes, la possibilitĂ© dâouvrir des voies rĂ©servĂ©es aux « vĂ©hicules Ă trĂšs faibles Ă©missions », l’encadrement du covoiturage ou des droits des usagers.
Les maires ont sĂ»rement Ă©tĂ© soulagĂ©s de dĂ©couvrir lâarticle 51 de ce volet âinnovationâ. Il donne un cadre clair aux micromobilitĂ©s, notamment les trottinettes et les vĂ©los en « free floating », qui en manquaient cruellement jusquâĂ maintenant. Les « engins de dĂ©placements personnels » (EDP, trottinettes, rollers, skate-board…) non-motorisĂ©s sont maintenant assimilĂ©s Ă des piĂ©tons et sont donc soumis aux mĂȘmes rĂšgles quâeux. Les EDP motorisĂ©s (hoverboards, monoroues, gyropods, trottinettes Ă©lectriques…) sont eux assimilĂ© Ă des cycles, doivent utiliser les pistes cyclables ou les voies vertes et sont donc soumis aux mĂȘmes rĂšgles.
Avec lâarticle 53, la LOM impose un changement pour les opĂ©rateurs de transport comme Keolis pour faciliter l’intermodalitĂ© vĂ©lo-cars pour les passagers. « Ce qui est innovateur ici câest que les autocars neufs devront nĂ©cessairement ĂȘtre Ă©quipĂ©s d’un systĂšme pour transporter au moins cinq vĂ©los non-dĂ©montĂ©s au 1er janvier 2021 », expose M. PĂ©lissier.
Mobilités plus propres et plus actives
Pollution, congestion, transition Ă©nergĂ©tiqueâŠÂ jamais les gouvernements, les villes, les autoritĂ©s organisatrices, les planificateurs, les urbanistes, les constructeurs et les opĂ©rateurs de transport nâont ressenti une telle pression pour dĂ©velopper et soutenir des mobilitĂ©s plus propres et plus actives.
« Pendant tout le dĂ©bat sur la LOM Ă lâAssemblĂ© et au SĂ©nat, il a eu de longs et passionnants Ă©changes sur les motorisations â essence, diesel, gaz naturel, Ă©lectrique… », se souvient M. PĂ©lissier. « De longs Ă©changes ont eu lieu sur comment rĂ©guler, quâest-ce quâil faut favoriser mais pas trop, comment inciter… ».
ConsĂ©quence de ces dĂ©bats, lâarticle 73 contient des objectifs de dĂ©carbonation des transports terrestres. Il proclame la fin, en 2040, de la vente des vĂ©hicules particuliers et de vĂ©hicules utilitaires lĂ©gers roulant Ă lâĂ©nergie fossile (essence, diesel, gaz naturel, etc.). En 2050, il interdit mĂȘme leur circulation.
« Câest assez violent », rĂ©agit M. PĂ©lissier. « Ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit par une loi peut demain ĂȘtre dĂ©fait par une autre. Ce nâest pas impossible pour cette disposition, en tout cas câest ma prĂ©diction ». Notamment il dĂ©plore ce quâil considĂšre comme un dĂ©lai trĂšs court entre aujourd’hui et 2040 puis 2050 pour concevoir de nouveaux vĂ©hicules, pour innover… bref pour rĂ©aliser ce changement radical du marchĂ©. « Ăa prend de longues annĂ©es, pour les constructeurs automobiles comme Renault et Peugeot. Ce sont des obligations extrĂȘmement fortes ! ».
En parallĂšle, dâautres mesures sont Ă©noncĂ©es pour responsabiliser les entreprises et leurs employĂ©s. Lâarticle 77 par exemple, fixe un taux minimum de vĂ©hicules Ă faibles Ă©missions (VFE) pour les entreprises gĂ©rant un parc de plus de 100 vĂ©hicules : 10 % du renouvellement en 2022, 20 % en 2024 et 50 % en 2030. Du cĂŽtĂ© des employĂ©s, la LOM prĂ©voit la crĂ©ation dâun forfait mobilitĂ©s durables (article 82) au bĂ©nĂ©fice des personnes se rendant sur le lieu de travail Ă vĂ©lo, en covoiturage ou en « free floating ».
Du changement Ă venir ?
Avec ses 200 articles, la LOM est trĂšs ambitieuse. Trop ambitieuse mĂȘme d’aprĂšs certains. Il reste en effet des points dâinterrogation sur les ressources nĂ©cessaires Ă l’application de la loi, qu’elles soient financiĂšres ou humaines. Les dispositifs Ă©crits dans le texte ne sont pas gravĂ©s dans le marbre non plus. « Vu le contexte actuel avec la Covid-19, il est tout Ă fait possible quâil y ait des Ă©volutions, reports ou ajustements dans ce qui a Ă©tĂ© adoptĂ© », reconnait M. PĂ©lissier.
Cependant, avec cette nouvelle loi et les autres qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©e, Mme ThĂ©bert est convaincue que « le lĂ©gislateur a vraiment essayĂ© dâorganiser une gouvernance des mobilitĂ©s qui soit Ă la hauteur des mobilitĂ©s reprĂ©sentĂ©es dans notre sociĂ©té ».
Du transport à la mobilité
MĂȘme si la LOM doit encore faire ses preuves, ses ambitions illustrent lâĂ©volution de la vision de la mobilitĂ©. Selon Mme ThĂ©bert, l’attention, technique, centrĂ©e sur le passage d’un point A Ă un point B a Ă©voluĂ© vers lâapprĂ©hension de « lâindividu mobile » qui est opĂ©rateur de son propre dĂ©placement.
Aujourdâhui, la mobilitĂ© est reconnue comme un sujet plus vaste qui engage les modes de vie, lâorganisation de la sociĂ©tĂ©, des territoires et mobilise beaucoup de disciplines.  « Le changement de terminologie entre la LOTI et la LOM (de transport Ă mobilitĂ©) nâest pas simplement pour le plaisir des mots mais il correspond Ă un vrai changement de paradigme », conclut Mme ThĂ©bert.
Photo de couverture : Gerd Altmann â Pixabay