Énergie et mobilité : cycles de vie
Énergie et mobilité : cycles de vie
Énergie et mobilité : les cycles de vie : c’est le thème de cette séance de Futura-Mobility, qui a réuni plus de 30 participants le 8 décembre 2018, à Paris.
Le cycle de vie était pris dans sa compréhension complète en terme d’énergie (nous avons déjà commencé à aborder ce sujet en juin 2017), de gaz à effet de serre et de matériaux utilisés sur l’ensemble de la vie : de la conception à la fin de vie et au-delà, que ce soit pour les véhicules ou les infrastructure de tout ce qui flotte, vole ou roule.
Vers la finitude des ressources
« Aujourd’hui on est au cœur d’une civilisation fossile qui doit se réinventer. » Geneviève Férone-Creuzet, pionnière de la finance responsable, fondatrice de Casabee et auteure du livre « Le crépuscule fossile », pointe du doigt l’américain John Davison Rockefeller (1839 – 1937), « le père de cette civilisation fossile » ou le pétrole est « absolument partout dans nos vies », dans les objets en plastiques, dans les cosmétiques, dans les véhicules, bien sûr…. Il est au coeur des grands (dés)équilibres geopolitiques et militaires et pourtant « il échappe à toute gouvernance démocratique ».
En faisant une parallèle avec l’économie de la donnée d’aujourd’hui, qui peut contester qu’on soit toujours dans une économie extractive ? « On extrait des données comme on extrait du pétrole. Elles sont gratuites, et le produit c’est nous », note Geneviève Férone-Creuzet.
« La majorité d’entre nous n’a pas cette conscience de la finitude des ressources. Il suffit de regarder comment on vit au quotidien », affirme Christine Guinebretière, présidente d’EPEA Paris, lors de sa présentation sur la méthodologie cradle-to-cradle (C2C ou du berceau au berceau).
A propos de cette finitude, Christine Guinebretière rappelle qu’il ne s’agit pas que du pétrole mais aussi des métalloïdes connus à ce jour, qui sont généralement utilisés dans l’industrie à travers leurs alliages. Côté voiture par exemple …
« Tesla n’est pas un bon modèle – ces voitures sont des chars sur roues (qui utilise donc beaucoup de matériaux) ! Comment écrire la loi pour empêcher que la voiture électrique ne devienne la porte d’entrée vers des voitures-tanks ?! » s’insurge Claude Turmes, membre luxembourgeois du Parlement Européen pour Les Verts (Dei Greng).
Un constat alarmant dans l’espace et sur les mers
« Environ 300 navires de commerce partent à la casse tous les trimestres. Ce qui constitue un convoi d’environ 30 à 50 km de longueur ! Et 80 à 95 % de ces navires vont mourir sur les plages du continent asiatique », explique Jacky Bonnemains, président de l’association écologiste Robin des Bois.
Les éléments les plus nocifs pour les chantiers navals et l’environnement maritime sont l’amiante, les polychlorobiphényles (PCB) dans les peintures et les câblages électriques, et les enduits toxiques. En principe, la convention relative au recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, adoptée à Hong Kong en 2009, aurait dû changer la donne. Mais elle n’est pas entrée en vigueur faute d’un nombre suffisant de pays signataires. A quand des chantiers de démolition en méditerranée ?
Pas mieux dans l’espace. Les débris sont si nombreux qu’ils font peser des risques de collision avec des satellites ou avec la station spatiale internationale, notamment lors des missions de sortie des spationautes. « Ces débris restent dans l’espace, selon leur orbite, de quelques heures en dessous de 200 km à plusieurs siècles à 1000 km ! » précise Jean-Pierre Haigneré, spationaute à European Space Agency (ESA).
Un des plus importants épisodes de création de débris était du en 2007 à un essai chinois de missile anti-satellite, à une altitude de 850 km, impliquant une présence en orbite des débris générés d’au moins 35 ans ! Cet essai a généré 2 300 débris de taille observable, 35 000 débris d’au moins 1 cm et plus d’un million de débris d’au moins 1 mm. En juin 2007, le satellite Terra a même du être dévié pour éviter des collisions avec ces débris.
« Au rythme de 80 lancements par an, et avec l’arrivée des nano et micro satellites, ainsi que l’arrivée des méga constellations de satellites, le nombre de débris s’accroit de manière spectaculaire malgré la régulation prise par la NASA, le CNES [Centre national d’études spatiales] et les Nations Unies », met en garde Jean-Pierre Haigneré.
Des analyses de cycles de vie complexes
Du côté des industriels, « si on veut faire quelque chose pour l’environnement, les ingénieurs ont besoin d’outils de calcul compréhensibles de cycles de vie », dit Agnès Jullien, directrice-adjointe à la Direction des Affaires Européennes et Internationales, IFSTTAR.
« On dispose de très peu d’analyses de cycles de vie en interne sur les différents matériaux utilisés », explique Benoît Aliadière, chef de projet éco-conception chez SNCF Réseau, le gestionnaire du réseau ferroviaire français, mais « on connaît un peu mieux aujourd’hui le sujet de la traction électrique avec le cuivre et les transformateurs ».
Chez Airbus, de nombreux paramètres doivent être pris en compte comme le bruit, les émissions de CO2, la consommation énergétique, l’utilisation des matériaux…
Le groupe a mis en place des analyses de cycles de vie comparatives pour aider aux décisions. Mais ce sont les contraintes réglementaires qui imposent de fait les priorités, en particulier sur les émissions de CO2. Conséquence, avec un nouveau matériau, « on fera du composite plutôt que du métal car il est plus léger et nous fait émettre moins de CO2. Ensuite on verra comment limiter les dégâts de l’utilisation de ce composite », explique Marie-Pierre Vicomte, responsable environnement chez Airbus.
Des progrès dans le recyclage
Selon François Roudier, directeur de la communication au Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA), les 10-15 dernières années le secteur a mis en place une véritable économie circulaire pour le recyclage des véhicules. « Le recyclage est maintenant complétement intégré dans le système global de l’automobile. Les matériaux sont choisis par les ingénieurs en fonction de leur valeur résiduelle dans le futur de la vie de la voiture ».
Claude Turmes rappelle : « Pourquoi est-ce que les constructeurs recyclent ? Parce qu’il y a une loi européenne ! C’est l’Europe qui est à l’origine du recyclage, avec ses lois. »
L’arrivée des voitures électriques sur le marché pose quand même la question des batteries et leur deuxième vie – « un sujet dont on ne parle pas assez », affirme François-Michel Lambert, président-fondateur de l’Institut de l’Economie Circulaire, député écologiste des Bouches-du-Rhône, et président de la Commission nationale France Logistique 2025.
« Renault est propriétaire de ses batteries. Donc dans 20 ans, quand elles sont arrivées au bout de leur première vie, le groupe pourra en extraire les métaux rares et les produits critiques. Ainsi les constructeurs peuvent devenir en quelque sorte les détenteurs de ressources minières qui vont être en crise d’ici 20 ans ».
Selon Benoît Aliadière, SNCF Réseau sait très bien réemployer des éléments clefs comme les rails – « redéploiement sur les voies plus petites, vente en ferraille » – et le ballast – « les routiers savent très bien s’en servir pour faire les sous-couches routières, et les 60 % du ballast enlevé lors d’une opération de renouvellement sont réutilisés sur les voies plus petites qui ont moins de contraintes ».
Dans ses usines, Airbus réutilise ou recycle ses déchets de composites soit en interne ou en externe.
Et si on faisait autrement ?
Selon Christine Guinebretière, experte EPEA du cradle-to-cradle : « Il est important que les industriels réfléchissent à comment concevoir leurs produits de façon à leur permettre de récupérer ces metalloïdes dont ils ont absolument besoin ».
L’idée de faire des cycles de vie complètement clos ne fonctionne que si les matériaux en entrée sont totalement propres « et c’est ça un énorme défi », confirme Claude Turmes. « La première chose qu’on devait faire c’est définir les substances, les éléments ‘ cleans ‘. Il faut d’abord avoir le courage politique d’interdire des choses pour constituer les bases d’une société de recyclage », note-t-il.
Par exemple, sur le cycle de vie des véhicules électriques, le plus important pour lui est de faire attention à l’origine de l’électricité. « Je suis en train de négocier une nouvelle loi européenne sur les énergies renouvelables et j’ai gagné un amendement qui dit : un million de voitures électriques, c’est 2,4 TWH d’électricité. Chaque Etat membre qui met un million de ces voitures sur la route a une obligation de créer de nouveaux investissements pour l’énergie renouvelable à hauteur de 2,4 TWH. Il est impératif de dire que l’électricité de ces nouvelles voitures vient partiellement du renouvelable ».
Chez SNCF Réseau, « notre avenir c’est plutôt d’essayer de construire un écosystème de performance environnemental avec les industriels, nos fournisseurs, qui travaillent dans le ferroviaire. Ca va nous permettre de faire rentrer sur le réseau des éléments recyclés ou construits à moindre impact environnemental », selon Benoît Aliadière. Chez Airbus également, « on essaie d’utiliser du bio-composite pour limiter notre dépendance au pétrole et développer les matériaux biosourcés – avec une matrice et une résine qui ne soient pas faites à base de pétrole », souligne Marie-Pierre Vicomte.
« Jusqu’à présent, le développement durable a été vu comme une réduction des impacts de l’activité en question. Et si on faisait l’inverse ? » suggère Christine Guinebretière. « L’espèce humaine n’est par séparée de la nature. Elle est capable de réfléchir et d’aller chercher le plus grand impact positif pour elle-même et pour la planète ».
Il existe des expériences et exemples concrets de cette démarche : les t-shirts de C&A, les moquettes Desso parmi d’autres. D’ailleurs, Christine Guinebretière est optimiste : « J’ai proposé au service R&D d’un fabricant de lessive : et si maintenant vous travailliez sur une lessive qui, lorsqu’elle part dans les eaux usées, commence à les nettoyer ? Figurez-vous qu’ils m’ont dit qu’ils savaient faire ! »
- La prochaine séance de Futura-Mobility se tiendra en février 2018 sur le thème « Les ruptures stratégiques des industriels de la mobilité ».