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La Suisse, territoire d’innovation pour des systèmes énergétiques plus performants

Par : Lesley Brown 30 novembre 2023 no comments

La Suisse, territoire d’innovation pour des systèmes énergétiques plus performants

À EPFL Valais, Energypolis abrite à lui seul 29 laboratoires offrant une chaîne de valeur complète : de la recherche fondamentale à la mise sur le marché de solutions innovantes, en combinant recherche et business. Le laboratoire Industrial Process and Energy Systems Engineering (IPESE), dirigé par le professor François Marechal, est spécialisé dans l’optimisation des systèmes énergétiques à différentes échelles : une usine, un système de transport, un quartier, une ville ou même un pays.

Actuellement, dans le secteur de l’énergie, les tensions géopolitiques ont rendu imprévisibles les stocks de pétrole. Les critères de prise de décision en matière de gestion de l’énergie doivent être revus pour inclure des aspects tels que l’accès à la ressource et la résilience des systèmes. En outre, des questions telles que les ressources matérielles, la circularité des déchets (des déchets aux produits), ainsi que le carbone en tant que ressource et élément recyclable, doivent être explorées.

Face à ces défis et à l’objectif du net zéro, le professeur Maréchal et son équipe de chercheurs développent des méthodes d’aide à la décision pour l’ingénierie des systèmes énergétiques dans un triptyque déchets – eau – énergie. Leur plateforme informatique Osmose par exemple, fournit une aide à la décision pour la conception de systèmes énergétiques intégrés afin d’augmenter l’efficacité dans l’industrie et les énergies renouvelables.

En ce qui concerne le secteur de la mobilité, le laboratoire travaille sur un projet avec le fabricant Novelis, afin de produire de l’aluminium pour l’industrie automobile sans émissions de CO2.

Une autre initiative, en collaboration avec Qaptis, spin-off de l’EPFL, se concentre sur la capture et le recyclage du CO2 des poids lourds (ainsi que des bateaux et des trains) afin de réduire les émissions de carbone dans le secteur du transport de marchandises. Cette solution innovante consiste à équiper les camions existants d’un système situé derrière la cabine. Le CO2 émis par les gaz d’échappement du camion est capturé et stocké sous forme liquide au niveau du véhicule, puis transformé en carburant dans une station-service. Les tests révèlent qu’il est possible de capter jusqu’à 90 % du CO2 émis.

Le laboratoire IPESE collabore avec Qaptis, une entreprise dérivée de l'EPFL, pour réduire les émissions de carbone dans le secteur du transport de marchandises (source : professeur François Maréchal)

Centre d’énergie renouvelable et véhicules électriques (VE)

« La société évolue vers un système énergétique moins centralisé et moins coûteux », explique le professeur Maréchal. Au niveau des maisons des particuliers, les batteries des véhicules stationnant au garage, les panneaux solaires sur les toits, ainsi que l’émergence de nouveaux services tels que la chaleur générée par les centres de données à proximité, rapprochent la production d’énergie de la maison.

Comment rationaliser la consommation d’énergie dans les villes (source : professeur François Maréchal)

Dans ce contexte mouvant, le professeur Maréchal et son équipe de chercheurs travaillent à rationaliser la consommation d’énergie dans les villes. Ils explorent les moyens de concevoir des systèmes optimisés et locaux qui collectent l’énergie perdue dans l’environnement et la canalisent là où elle est nécessaire, en se basant sur les principes de la thermodynamique. Le laboratoire étudie toutes les solutions technologiques possibles (pompes à chaleur et piles à combustible plus avancées, déchets biologiques, etc.), ainsi que des modèles d’interconnexion, pour créer un système global (voir diapositive ci-dessous).

De telles villes intégrées, avec des centres d’énergie renouvelable et des micro-réseaux, gagneront en autonomie énergétique et auront donc moins besoin de s’approvisionner auprès du réseau national. « Pour cette approche de système autonome plus localisé, nous devons également investir dans les réseaux et le stockage », souligne le professeur Maréchal.

Des villes intégrées auront moins besoin de s'approvisionner auprès du réseau national (source : professeur François Maréchal)

Les ménages devraient en bénéficier non seulement en réduisant leur facture énergétique mais aussi, en Suisse, en ayant la possibilité de revendre l’énergie excédentaire au réseau avec un bénéfice. L’approche est donc extrêmement intéressante, surtout si l’on considère le coût élevé de l’énergie en Europe aujourd’hui, et qui devrait se maintenir dans un avenir proche.

Réduction des émissions...
... et des factures énergétiques des ménages (source : professeur François Maréchal)

Les véhicules électriques (VE), avec leurs batteries embarquées, jouent un rôle clé dans cet écosystème énergétique local. En effet, l’achat d’un VE signifie une plus grande flexibilité et donc une moindre dépendance à l’égard de l’énergie provenant de l’extérieur. Le propriétaire d’un VE achète en réalité une batterie pour le réseau, donc une capacité de stockage. Cette configuration redéfinit complètement la relation avec le système énergétique. Toute batterie installée dans une voiture finira dans la maison lorsque ses performances auront atteint un certain niveau. Elle va rester 10 ans dans la voiture, puis 10 ans dans la maison. « Nous allons donc doubler la capacité de la batterie dans 10 ans. Dans 20 ans, on en achète une autre », résume le professeur Maréchal. « Mais en réalité, nous ré-utiliserons les batteries. »

Swiss Battery Technology Center – innovation ouverte pour les batteries de la prochaine génération

Au Parc Suisse de l’Innovation de Bienne (SIPBB, voir encadré), une grande partie des recherches du Swiss Battery Technology Center (SBTC) porte sur le recyclage et le démantèlement des batteries en fin de vie. Le SBTC est un partenaire académique des entreprises pour les projets de recherche et de développement.

Partenaires et sponsors du Swiss Battery Technology Center

« Au cours des dix dernières années, nous avons assisté à une forte électrification des véhicules, en particulier pour les poids lourds dans les secteurs de l’exploitation minière et de l’agriculture car, le plus souvent, ces secteurs peuvent bénéficier de l’énergie éolienne et solaire », explique Christian Ochsenbein, directeur du SBTC.

En parallèle, les ventes de VE ne cessent de croître : dans le monde entier, plus de 10 millions de véhicules ont été vendus pour la première fois en 2022, et l’on s’attend à ce qu’il s’en vende davantage entre 2026 et 2028 que de véhicules à moteur à combustion. En Suisse, la feuille de route nationale Elektromobilität vise une part de marché des VE de 50 % d’ici 2025.

« Le marché des VE est en pleine croissance, mais il nécessite beaucoup de métaux rares, en particulier du lithium, dont la demande, selon l’AIE [Agence internationale de l’énergie], devrait augmenter de 40 % entre 2020 et 2040 », prévient M. Ochsenbein. « Cela nous amène à réfléchir aux batteries de nouvelle génération. Nous avons besoin d’une solution à long terme. »

Le SBTC est un membre fondateur de l’iBAT, un réseau universitaire de recherche, d’industrie et de gouvernement. Avec plus de 70 membres, iBAT promeut l’étude de la technologie des piles tout au long de la chaîne de valeur, de la production à l’utilisation et au recyclage des piles.

CircuBAT pour des piles éco-conçues

Projet phare du SBTC, CircuBAT (Circular Economy Lithium-Ion Batteries) a pour objectif d’« améliorer les batteries dès la conception pour permettre un recyclage plus efficace et prolonger leur durée de vie », explique M. Ochsenbein. « Nous explorons sept modules de travail en collaboration avec l’industrie, des start-ups aux grandes entreprises. »

Les sept modules de travail du projet CircuBAT (source : Christian Ochsenbein)

Le projet cherche à établir des lignes directrices pour la conception de nouvelles batteries qui vise le désassemblage et le recyclage directs. Il cherche également à rendre l’électromobilité plus durable et à minimiser l’empreinte CO2 des systèmes de batteries au lithium tout au long de leur durée de vie.

CircuBAT travaille sur le désassemblage en utilisant un processus robotique automatisé basé sur l’apprentissage renforcé : le robot est formé aux compétences de désassemblage en s’entrainant dans le metaverse BattREverse du SBTC. « L’utilisation de cette approche robotique automatisée présente des avantages, tels qu’un débit plus élevé dans la production de résultats, une précision et une répétabilité accrues, ainsi qu’une optimisation des ressources humaines », souligne M. Ochsenbein.

En même temps, le désassemblage robotisé présente de nombreux défis : de nombreuses formes/types de pièces qui doivent interagir, une connectivité complexe entre les pièces, ou des tâches où lintervention humaine est nécessaire, entre autres. C’est pourquoi le SBTC a lancé un projet phare pour surmonter ces défis, basé sur l’intelligence artificielle.

Le SIPBB fait partie d’une organisation privée suisse à but non lucratif composée de six sites répartis dans tout le pays. Ses centres de R&D démontrent comment appliquer concrètement les nouvelles technologies et comblent ainsi le fossé entre la recherche et l’industrie. Le financement, à 90 % privé, provient principalement de l’industrie, de partenariats public-privé, du canton de Berne et de la ville de Bienne. La Swiss Smart Factory du SIPBB, une plateforme de travail avec des startups et des industriels, est la première usine modèle pour l’industrie 4.0 en Suisse.

Centre de recherche sur le stockage de l’énergie – pour une meilleure connaissance et utilisation des batteries

Le SIPBB abrite également le Centre de recherche sur le stockage de l’énergie de la Haute école spécialisée bernoise. Ce centre dispose de l’un des laboratoires de recherche sur le stockage les plus avancés de Suisse. Financés par les entreprises et les cantons, ses travaux, qui vont de la recherche au développement de produits, se concentrent sur la recherche de solutions de stockage d’énergie électrochimique pour l’approvisionnement en énergie et pour la mobilité.

Concernant les batteries, les essais, la modélisation, la création d’algorithmes et la gestion sont les quatre activités principales. Les essais sont très diversifiés et portent sur des aspects tels que les systèmes de gestion des batteries (BMS), en gardant à l’esprit la sécurité, et la dégradation : par exemple, en tenant compte des deux principaux types de dégradation des batteries – cyclique (charge/décharge) ou en fonction de l’environnement (état de charge, conditions) – des diagnostics sont réalisés afin de comprendre les causes de la dégradation.

 

De la recherche au développement de produits, le Centre de recherche sur le stockage de l'énergie se concentre sur la recherche de solutions de stockage électrochimique de l'énergie pour la fourniture d'énergie et la mobilité (source : Bruno Lemoine)

En vue d’applications pratiques, le Centre a mis au point une méthode d’analyse statistique des batteries afin d’établir leur performance réelle, par opposition à la performance affichée par les fournisseurs.

Autre exemple, dans le cas des vélos électriques, les utilisateurs chargent toujours leurs batteries à 100 %, mais ont tendance à n’en utiliser que 50 % avant de les recharger à nouveau à 100 %. Les travaux du Centre de recherche sur la gestion du stockage de l’énergie révèlent qu’il serait plus économique de charger les batteries à 80 %.

La meilleure compréhension du comportement des batteries pourrait profiter évidemment aux exploitants de grandes flottes d’autobus ou de véhicules d’entreprise. Ils pourraient choisir les bonnes batteries (chimie et cellules les plus appropriées) pour les bons cas d’utilisation et optimiser leurs cycles d’utilisation (charge/recharge) afin de prendre des décisions d’exploitation plus rentables.

Poussant plus loin cet axe de recherche, l’équipe a même développé un modèle open-source, appelé « modèle open-sesame », qui permet de fournir aux entreprises un premier niveau de simulation de la durée de vie et le comportement de leur batterie, en fonction des profils de puissance et de température propres à l’utilisateur.

Outre les études demandées par ses partenaires, le Centre de recherche sur le stockage de l’énergie produit des rapports sur l’état des connaissances de la Haute école spécialisée bernoise : des informations sur le prochain numéro mis à jour seront partagées sur les médias sociaux.

La partie émergée de l’iceberg

Recherche et tests en laboratoire, applications sur le terrain et start-up à l’écoute… la Suisse occidentale est très en pointe sur les technologies des batteries de demain. Le voyage apprenant de Futura-Mobility a donné un aperçu précieux des activités en cours dans ce domaine. Impressionnant ! Mais il est évident que ce voyage de deux jours n’a révélé que la partie émergée de l’iceberg. Il y a certainement beaucoup plus à explorer et à découvrir…

Rencontrée lors du LEX, WattAnyWhere est une start-up franco-suisse fondée en 2020 par des ingénieurs de l’ENSEA et d’Honeywell. Au croisement des problématiques de mobilité et d’approvisionnement énergétique, elle propose une solution d’approvisionnement énergétique supplémentaire par production d’électricité à partir de biomasse, indépendamment du réseau électrique.

 « Jusqu’à présent, le développement de réseaux de bornes de recharge pour VE a été la priorité des gouvernements », explique Didier Roux, cofondateur et CEO.  « Maintenant, il s’agit de les alimenter sans surcharger le réseau national. »

Le générateur WattAnyWhere convertit l’éthanol en électricité pour la recharge des véhicules électriques. Produit dans le monde entier, l’éthanol est dérivé à quasiment 100 % de la biomasse. L’infrastructure existe, elle est opérationnelle et efficace. Aujourd’hui, 80 % de l’éthanol est utilisé dans les moteurs à combustion (E5, E10, E85 à la pompe). « Les sucriers CristalUnion et SudZucker (France, Allemagne) nous disent qu’il n’y a pas de soucis pour produire de l’éthanol », ajoute M. Roux.

WattAnyWhere vise d’abord le marché des véhicules électriques « car il est déjà mature. » « Nous pourrions ensuite cibler le secteur de la construction, l’alimentation électrique à quai dans les ports ou encore les centres de données. »  Qui sont les clients potentiels ? Les chaînes d’hypermarchés comme E. Leclerc et Auchan, achètent déjà de l’éthanol pour l’intégrer à l’essence dans leurs stations-service. « Les stations-service des supermarchés sont susceptibles d’avoir d’énormes pics de puissance si nous installons des bornes de recharge rapide pour les VE. Mais changer de catégorie d’énergie sera compliqué, coûteux et long ».

Pour l’instant, l’entreprise vise les marchés français et suisses. Un premier prototype de 5kW, prévu pour 2024, est en cours d’élaboration. Les travaux sont également déjà en cours pour le prochain prototype, de 50 kW. En 2023, l’accent est donc mis sur le développement de prototypes, en particulier avec Leclerc. « Nous avons une stratégie sérieuse pour être leader sur le marché », résume M. Roux.

Parmi les clients potentiels figurent les chaînes d'hypermarchés, qui achètent déjà de l'éthanol pour l'intégrer à l'essence dans leurs stations-service (source : WattAnyWhere)