La blockchain dans la mobilité
La blockchain dans la mobilité
Par Charlotte Marrecau, assistante coordinatrice, Futura-Mobility
Le 24 mai 2019: ces derniers temps, on entend beaucoup parler de la blockchain mais il n’est pas facile d’en comprendre tous les tenants et les aboutissants. C’est dans ce contexte que le think thank Futura-Mobility a organisé, pour ses membres, une journée sur le thème de la blockchain au service de la mobilité.
Objectif : mieux comprendre les fondamentaux de cette technologie, échanger sur les applications possibles de la blockchain dans le domaine de la mobilité, discuter des enjeux actuels.
Qu’est-ce que la blockchain ?
Largement inspirée des principes fondamentaux d’Internet, la blockchain est un mélange de technologies qui permet d’échanger des informations en toute liberté, de manière anonyme et indépendante de toute influence, gouvernementale ou autre. Donc sans régulation extérieure.
Concrètement, la blockchain permet à des acteurs d’échanger des informations (ou bouts d’informations) entre eux en garantissant la sécurité et l’immuabilité de l’échange. Pour chaque blockchain, des règles d’échanges (ou protocoles) sont définies par un code que tous les membres doivent accepter. Lorsque deux membres sont d’accord sur les conditions d’un échange, un « smart contract » est créé et immédiatement stocké sur l’ensemble des ordinateurs des membres.
Ces règles peuvent être le reflet de lois étatiques mais elles peuvent être aussi le résultat de décisions prises simplement par les membres entre eux. Dans ce cas, finalement, la blockchain fait loi entre les membres.
Dès lors que tous les membres ont accepté les règles imposées par un code et que tous les contrats sont stockés sur différents réseaux, il est impossible de modifier une règle, un contrat ou une donnée, à moins d’obtenir l’accord de tous les membres. C’est dans ce principe que réside la force mais aussi la faiblesse de cette technologie comme le montre l’échec du projet The DAO, mené au sein de la société allemande Slock.it. Une faille du contrat a été exploitée par un des membres pour détourner de l’argent. Bien qu’une majorité des membres de The DAO aient accepté de modifier le protocole, le « vol » n’a pas pu être contré car une autre partie des membres a choisi de rester sur la version initiale du protocole.
Aucun juge, avocat ou notaire n’atteste de la validité d’un contrat mais seulement les parties concernées. L’entière responsabilité de bien comprendre un contrat et son intention revient donc aux différentes parties prenantes qui signent le contrat. La blockchain permet ainsi de se passer d’intermédiaires, avec les avantages que cela comporte mais aussi les risques.
La blockchain dans l’industrie … et la mobilité
Les grandes entreprises se demandent de plus en plus comment utiliser cette technologie. Selon Elyes Ben Hamida, CTO de Be-Bound, les industriels devraient privilégier la blockchain dite de « consortium », qui garantit la transversalité de cette technologie dans un cadre défini, en choisissant les acteurs qui y ont accès et les modalités de fonctionnement. Ces acteurs peuvent aussi bien être des individus, des objets, des entités, ou des personnes morales.
Si les acteurs sont des salariés d’une entreprise, la blockchain peut devenir un outil de démocratisation, permettant de donner voix à la majorité des membres quel que soit leur poste. Si les acteurs sont des entreprises, la blockchain peut devenir un outil de collaboration ouvert à des acteurs externes et garantissant la propriété intellectuelle et la sécurité des échanges. MOBI par exemple (Mobility Open Blockchain Initiative), un consortium d’industriels automobiles pour la mobilité a été créé en 2018, qui souhaite se servir de la blockchain pour rendre la mobilité numérique plus verte, plus sûre et plus accessible.
La blockchain peut également être utilisée pour tracer des actifs, garantir leur origine et leurs composants, suivre leur cycle de vie et les différentes opérations de maintenance, suivre les transformations, les ventes… Ou tout simplement pour les faire communiquer, comme c’est le cas du projet Chorus, l’un des gagnants du Hackathon organisé par MOBI, qui utilise cette technologie pour faire transiter de la donnée entre un véhicule et son environnement.
La blockchain permet d’imposer certaines règles. Le projet SMART B utilise la blockchain pour permettre d’échanger des informations entre la ville, ses habitants et l’infrastructure tout en assurant le respect du Règlement Général de la Protection des Données (RGPD).
Un exemple simple de cette application est celui des bornes de vélo qui pourraient remonter des données à la ville sur l’état des vélos, leurs kilomètres et itinéraires parcourus. La ville pourrait alors attester de la validité des informations et les transmettre à une assurance. Ou, si le service est proposé par une association, ces données lui permettraient de calculer l’impact de son action, de prouver la valeur créée et pouvoir facturer le service à sa juste valeur.
« Tout le monde rêve de valoriser la data. Mais dès qu’on la transmet, elle perd sa valeur », explique Nicolas Merle, l’un des 22 co-fondateurs de SMART B. L’ambition première du projet est de valoriser et de protéger les données produites par, pour et dans les villes, puis de permettre d’échanger en toute sécurité ces données entre les administrés et les villes membres. « C’est seulement en changeant l’économie qu’on peut changer les choses », conclut-il.
Réfléchir avant d’agir
Mais attention, comme le souligne Pierre Laurent, co-fondateur de Atka, une startup spécialisée dans le conseil en blockchain, « la blockchain n’est pas toujours la solution ».
Avant d’utiliser cette technologie, il est essentiel de bien comprendre les différents types de blockchain, leurs avantages et inconvénients, et de réfléchir aux cas d’usages possibles. Si la blockchain est la solution, il faut alors choisir le type de blockchain le plus adapté en fonction de plusieurs critères : le prix, la rapidité de calcul, le fonctionnement et la gouvernance.
La gouvernance est un critère très important, comme l’explique Primavera De Filippi, chercheuse au CERSA et au Berkman Center for Internet & Society (Université de Harvard). Selon son architecture, la blockchain peut permettre plus de transparence et d’autonomie ou alors devenir un lieu de non-droit, comme en témoigne les nombreuses utilisations faites par des réseaux de pédophiles ou des trafiquants d’armes.
La technologie est certes neutre, mais l’architecture qu’on lui choisit est le reflet d’une politique. Il est donc fondamental de connaitre cette technologie pour bien comprendre son impact social, légal et politique.
Si la blockchain n’a rien de très nouveau sur le plan technique, ses applications auront probablement un impact immense sur nos manières de vivre, de communiquer et d’échanger à l’avenir. Ayant des applications aussi bien politique et sociale qu’urbaine et industrielle, elle pourrait transformer de nombreux métiers et services.
Parce qu’elle peut pousser à l’anarchie ou, à l’inverse, au surcontrôle, il est urgent de réfléchir à sa gouvernance, notamment à l’échelle européenne, afin de ne pas se voir imposer des systèmes en contradiction avec nos valeurs. La question de l’immuabilité des opérations et de la responsabilité des parties prenantes est tout aussi importante. Il est fondamental que les acteurs d’un contrat soient tout à fait au clair sur les conditions et potentielles failles du système car une fois celles-ci acceptées, rien ne peut plus être modifié.
Pour aller plus loin : Blockchain and the Law — Primavera De Filippi, Aaron Wright – Harvard University Press, 2018
Photos par Olivier Rousseau, VP Operations & Marketing, Be-Bound