Adapter les organisations et les villes aux changements non linéaires
Adapter les organisations et les villes aux changements non linéaires
Paris, le 3 novembre 2021 : cette nouvelle édition du symposium parisien du MIT s’est penchée sur les impacts de la technologie et des changements non linéaires sur les organisations, les environnements urbains et les écosystèmes d’innovation.
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Avant même les perturbations sociales et économiques de la pandémie, des changements non linéaires étaient déjà en cours – d’énormes avancées dans les sciences des données pour la modélisation rétrospective (‘machine learning’) et prédictive (intelligence artificielle), et une révolution dans les biotechnologies, pour n’en citer que quelques-unes. Dans ce contexte, la pression est forte pour que les organisations soient adaptables, agiles et innovantes. Mais comment peuvent-elles découvrir les voies à suivre et réussir par des temps si incertains ?
« La ‘superposition sociale‘ », assure Steven Spear, maître de conférences à la Sloan School of Management et à la division des systèmes d’ingénierie du MIT, est LE facteur de différenciation lorsqu’il s’agit des performances des organisations en matière d’innovation. « La manière dont nous concevons la superposition sociale, c’est-à-dire les circuits sociaux : qui est en conversation, qui est en collaboration, qui agit de manière créative avec qui, quand, à propos de quoi, de quelle manière, a un impact énorme sur le succès des organisations. »
Un autre impératif pour les organisations, estime le Dr Spear, est de comprendre « l’espace du problème ». Les moyens de s’attaquer au phénomène des sans-abri, par exemple, illustrent son propos : on trouve souvent des solutions évidentes, comme la construction de logements, mais le problème n’est pas seulement dû à un manque de logements, mais à toute une série de raisons. Cet exemple de « politiques sociales ne s’attaquant pas aux problèmes fondamentaux » s’applique également aux tactiques que certaines organisations adoptent en réponse à l’évolution des environnements concurrentiels et des possibilités technologiques.
Ensuite, il est important de créer un ‘espace protégé’ offrant une combinaison de nouvelles technologies et de nouveaux modèles commerciaux, ainsi qu’un espace pour penser de manière créative, pour trouver des solutions. Pourquoi les ventes de la Prius de Toyota ont-elles dépassé celles de sa rivale Chevy Volt dans les années 1990 ? « Parce que Toyota est sorti des circuits habituels de développement et a permis à ses ingénieurs d’entrer dans un espace protégé pour inventer la voiture du 21e siècle », explique le Dr Spear. « Dans cet espace, ils pouvaient s’écarter des modèles commerciaux existants pour monter des partenariats, expérimenter la technologie et les modèles commerciaux, le design, etc. »
De nombreuses entreprises ont aujourd’hui des activités réparties dans le monde entier. Dans le cas de situations vraiment nouvelles – parce que l’environnement technologique et/ou concurrentiel change – elles peuvent adopter différentes stratégies d’adaptation :
- le portefeuille ou l’approche décentralisée, « une stratégie de diversification des risques», selon le Dr Spear, selon laquelle chaque usine, bureau ou site, etc. fait ses propres affaires, certaines pouvant s’avérer fructueuses, d’autres non ;
- la voie descendante ou centralisée, le siège social disant au reste de l’entreprise ce qu’il faut faire ;
- la stratégie ‘center-out’ qui décide de tirer pleinement parti de l’intelligence distribuée de l’ensemble de l’organisation.
Le Dr Spear privilégie clairement la dernière solution. À titre d’exemple, il attribue à la politique descendante la lenteur de la réalisation des tests du Covid aux États-Unis par rapport à l’Europe. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de développer les vaccins anti-Covid, la Food and Drugs Administration (FDA) américaine a encouragé toutes les organisations qualifiées à s’impliquer « une approche centralisée avec des dizaines de milliers d’esprits attachés au problème, de sorte qu’il s’est évidemment développé très rapidement, au point même que les vaccins rattrapaient les tests ! »
Comment les organisations réagissent-elles à cette époque perturbée ?
« Cette approche ‘centre-out’ résonne beaucoup avec ce que nous faisons, tout comme le fait d’avoir un espace protégé pour pousser les idées », convient Fabrice Denis, directeur général de la division Construire Différemment de Bouygues. « Face à l’urgence de questions telles que les émissions de carbone, les atteintes à la biodiversité, les déchets, etc. nous [le secteur du bâtiment] devons faire une révolution ! » Le Groupe souhaite construire cette ‘révolution’ sur trois piliers : la réduction des impacts (faible empreinte carbone, économie circulaire) ; l’industrialisation (créer de la disruption pour gagner en compétitivité et ainsi compenser les surcoûts) ; et une approche par l’usage et l’architecture. Un exemple concret de ces trois piliers est la priorité que Bouygues accorde à la construction en bois. « Nous cherchons à construire tous nos projets avec 1/3 de bois d’ici 2030. Actuellement, nous en sommes à 3% », explique M. Denis.
Chez Dawex, une start-up française qui facilite et accélère la circulation sécurisée des données entre les acteurs économiques, les institutions et les organisations privées, le processus d’innovation consiste à essayer d’abord de tuer l’idée. « Chaque fois que l’idée survit, cela signifie qu’elle vaut peut-être la peine qu’on continue à travailler dessus », explique Fabrice Tocco, co-PDG. Le MIT partage ce point de vue. « Tuez l’idée, pas nous ! », déclare Luis Perez-Breva, directeur de la faculté Innovation de Teams Enterprise, expliquant comment le MIT réfute le mantra populaire du ‘fail fast’: toutes ses usines et entreprises d’innovation explorent et anticipent les problèmes, puis passent à l’étape « construire pour tuer » avant de passer à l’échelle supérieure, ou non.
Une autre priorité du MIT est d’innover efficacement. Carlo Ratti, directeur du Senseable City Lab, illustre ici la manière dont le gaspillage de l’innovation a été enrayé dans un projet concret : la Roue de Copenhague (la ‘Copenhagen Wheel’). Conçue par les chercheurs du laboratoire, cette Roue transforme des vélos ordinaires en vélos électriques hybrides qui fonctionnent également comme des capteurs mobiles (de pollution, de trafic, des conditions de circulation).
Cependant, depuis son lancement en 2009, ce produit innovant s’est avéré trop cher pour que les gens l’achètent (ils pouvaient changer de vélo pour moins cher). « Nous vendions quelques Roues, mais pas assez ». Ainsi, si la production de la Roue a cessé en raison des réalités du marché, l’innovation et la propriété intellectuelle développées par le Labo n’ont pas été abandonnées. « Il y a trois ou quatre ans, le marché de la micromobilité s’est ouvert et grâce à lui, nous orientons maintenant ces développements [la Copenhagen Wheel], vers l’intelligence artificielle pour capturer les données, les diagnostics, la maintenance à distance, etc. par le biais de notre société MIT Superpedestrian et de la société de scooters électriques Link », explique M. Ratti.
L’avenir en perspective >>>
« Inventer des solutions aux problèmes plutôt que des produits semble être la voie à suivre pour les étudiants d’aujourd’hui dans le monde entier », observe Luis Perez-Breva, sur la base de son expérience directe de l’enseignement au cours de la dernière décennie. En outre, compte tenu de l’énorme quantité de technologies disponibles aujourd’hui, il souligne qu’il est désormais possible de les réutiliser et de les remodeler, et donc de se concentrer sur la résolution systématique des problèmes.
En ce qui concerne l’avenir des villes après le Covid, Carlo Ratti estime que « les villes reviennent… mais différemment ». Au lieu de revenir à ce qu’elles étaient avant Covid, il prévoit des transformations dans les immeubles de bureaux, par exemple, car les gens combinent le travail sur site et hors site, et « la plupart des gens aux États-Unis réduisent leur espace de bureau ». Ainsi, en 2022, « des changements très intéressants dans la conception et l’utilisation de l’immobilier » sont très probables, mais, dans le même temps, « si vous supprimez l’espace physique, nos réseaux sociaux en souffrent beaucoup ». Compte tenu de ces indications, il encourage à l’avenir à repenser le design non pas pour prédire l’avenir, mais pour le construire ensemble.
« Les villes, comme les entreprises, innovent à des rythmes différents – certaines sont championnes et montrent la voie, d’autres sont à la traîne », résume Fabrice Tocco.
Traduit de l’anglais par Joëlle Touré