Des villes plus résilientes face à un avenir plus risqué ?
Des villes plus résilientes face à un avenir plus risqué ?
Par Joëlle Touré, déléguée générale de Futura-Mobility
Courte et intense matinée organisée par l’Institut Veolia dans les locaux de l’entreprise à Aubervilliers, le 18 décembre 2018, sur le thème de la résilience des villes.
Nicolas Renard, directeur de la Prospective de l’Institut Veolia (photo ci-dessus) et David Ménascé, directeur général du cabinet de conseil Azao et coordinateur du numéro de la revue Facts de Veolia sur les villes résilientes, ont introduit les débats en décrivant la notion de résilience urbaine.
L’urbanisation croissante de la planète associée au dérèglement climatique n’augure rien de bon pour les urbains du futur. « Trois milliards d’urbains de plus d’ici à 2050. On parle de métropolisation mais on devrait parler de bidonvillisation ! » avance Nicolas Renard. Avec 90 % des villes en zone côtière et un taux d’inégalité de deux à trois fois supérieur à celui des zones rurales, la résilience des villes est un sujet crucial.
Les risques auxquels les villes doivent faire face sont multiples. « Ce sont des risques ‘brutaux’ comme les catastrophes naturelles ou bien d’autres risques plus diffus de fracture sociale liée à la paupérisation et les migrations ou des risques sanitaires – accrus par la grande mobilité des personnes – ou encore des risques technologiques », souligne Nicolas Renard.
De grandes crises montrent que les risques sont bien réels. L’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans ou la catastrophe nucléaire de Fukushima initiée par un raz-de-marée, ont transformé du tout au tout les zones qu’elles ont frappé. « Une catastrophe dite ‘naturelle’ est la rencontre entre un phénomène naturel et une population vulnérable », explique-t-il. En Europe, chaque année, c’est 5 % de la population qui est touchée par une catastrophe naturelle. Le Vietnam perd 1,5 % de son PIB tous les ans à cause des différentes crises.
David Ménascé rappelle que la notion de résilience vient d’abord de la science des matériaux : « c’est la capacité d’un matériau à faire face à un choc ». Puis elle a été utilisée dans le domaine de la psychologie comme « la capacité d’un individu à se relever suite à un traumatisme ». Enfin cette notion a été élargie pour désigner l’aptitude d’un écosystème à la survie suite à une crise.
Face à ces risques croissants, Nicolas Renard constate que les villes se redécouvrent vulnérables : « Nous sommes moins habitués, donc plus démunis ».
Pour David Ménascé, notre rapport au risque a évolué au fil des siècles. Suite au tremblement de terre de Lisbonne en 1755, les penseurs du siècle des Lumières ancrent la croyance selon laquelle les sciences et les technologies vont permettre de faire face aux risques naturels. C’est la notion de « progrès ».
Dans les années 1970, naît le principe de précaution, qui reconnaît que la technologie peut elle aussi comporter des risques et plus seulement la nature : « on pense alors qu’on peut maîtriser ces risques et les rendre inoffensifs en appliquant le principe de précaution ». La notion de résilience, elle, introduit un certain fatalisme. « On se prépare à l’inéluctable », avance David Ménascé.
L’enjeu pour les villes est bien de protéger les personnes, notamment les plus faibles, et de préserver le patrimoine. Le comble pour une politique de résilience réussie ? « Le succès d’une telle politique n’est pas visible, puisqu’elle aura réussi s’il ne se passe rien ! Ce qui explique certainement pourquoi il est difficile d’allouer du budget pour une politique de résilience », poursuit Nicolas Renard.
Alors comment s’y préparer ? « En matière de résilience, on ne peut agir seul » : à risques multiples, prévisions et solutions multiples d’après Nicolas Renard. Certaines villes s’éteignent après un choc, d’autres sont millénaires et semblent avoir résisté à tout, certaines renaissent de leurs cendres. La Nouvelle-Orléans ou Détroit sont devenues des laboratoires à ciel ouvert.
Les éclairages des intervenants ci-dessus ont permis d’approfondir les débats, notamment sur la maille à laquelle travailler la résilience et sur le dialogue entre résilience citoyenne et politique publique.
La maille du territoire et notamment de la métropole – et non la ville intra-muros – semble être la plus judicieuse d’après les différents intervenants. « La question de la résilience est avant tout urbaine, en ce sens qu’elle est beaucoup moins nationale », d’après David Ménascé. Le mouvement des villes prenant le leadership sur ces questions sociales et environnementales en est le témoin. Des « Chief Resilient Officer » ont été nommés dans une centaine de villes du monde. A Paris, par exemple, le territoire pris en compte va bien au-delà du périphérique et inclut même des communes rurales. D’ailleurs, Selon Edith Heurgon, directrice du centre culturel international de Cerisy et présente dans la salle, « la notion de résilience s’adapte tout aussi bien en milieu rural, avec ses difficultés et ses crises ! ».
Guillaume Josse, urbaniste directeur chez Groupe 8 un bureau d’études pluridisciplinaire spécialisé dans le développement municipal et urbain des pays du Sud, prend l’exemple de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo et troisième ville africaine par sa taille. « La population y double tous les 15 ans. Cette ville accueille près de 500 000 habitants supplémentaires par an !! » Kinshasa est soumise fortement au dérèglement climatique notamment aux inondations qui rendent les routes impraticables – enclavant des quartiers entiers – et les chantiers d’infrastructures très difficiles à opérer : « on court après un train en marche ! ». Dans ces conditions, l’urbaniste pose la question de la construction de politique publique de long terme tant la quantité et l’urgence des besoins sont vertigineuses. « Il faut concevoir la ville comme un système, et non en silos comme c’est le cas habituellement. C’est difficile ».
Guillaume Josse s’étonne que la résilience des villes du Sud ne soit pas perçue comme une urgence par le Nord, et d’ajouter : « quand la résilience des villes du Sud aura un impact sur les villes du Nord, alors cela deviendra une urgence à leurs yeux ! »
Pour Guillaume Josse, « les villes du Sud sont très peu résilientes, car très peu équipées … et pourtant elles sont toujours là, alors que sur le papier ça paraît impossible. Ce qui fait que les villes du Sud perdurent, c’est la résilience subie des citoyens. Si on n’est pas résilient, on meure ». David Ménascé souligne lui aussi l’entraide entre citoyens face à des situations de chocs. Entraide démultipliée aujourd’hui par les réseaux sociaux.
D’après Guillaume Josse, « les initiatives les plus intéressantes surviennent quand la politique publique rejoint les initiatives citoyennes de quartier ». Edith Heurgon pose d’ailleurs la question dans ce sens : « comment passe-t-on de l’engagement citoyen à la politique publique ? ».
A Roubaix, La Condition Publique, établissement culturel implanté au cœur d’un quartier défavorisé, a peut-être trouvé une manière d’opérer. Ce lieu a pour vocation de « redonner envie et capacité aux habitants d’agir ». Dans cette ville industrielle en déclin où 46 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, mobiliser les habitants est un défi permanent.
« La Condition Publique est une grand maison commune. Il faut multiplier les portes d’entrée pour faire arriver les gens dans le même espace », explique Jean-Christophe Levassor, son directeur. Ainsi, la Condition Publique mélange les propositions, allant de concerts de tout type à des fab-labs pour encourager les habitants à construire eux-mêmes sans oublier les animations éphémères de zones en friche ou le street-art sur les façades d’immeubles à l’abandon. Pour redonner envie d’investir de son temps et de son énergie, « il est important de raconter une histoire aux gens, de leur permettre de se projeter de nouveau dans le quartier », conclut Jean-Christophe Levassor.
Pour en savoir plus, lire la revue Facts de l’Institut Veolia