Impact de la crise sanitaire sur le lieu de vie : exode ou statu quo ?
By: Joëlle Touré
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Impact de la crise sanitaire sur le lieu de vie : exode ou statu quo ?
Dans le cadre de la réflexion menée par le ministère du Logement intitulée « habiter la France de demain », celui-ci organise une fois par semaine jusqu’à la mi-octobre une table-ronde sur une question précise, dans la même semaine qu’un déplacement de la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, sur le terrain, à Rennes pour ce début du mois de septembre 2021.
Futura-Mobility a assisté à la première des séances qui a exploré l’impact de la crise sanitaire sur le lieu de vie des français, le 31 août 2021.
Une crise sanitaire révélatrice d’une envie de mieux habiter
La crise sanitaire n’est « pas forcément un fait révélateur de situations nouvelles mais un accélérateur de situations qui pré-existaient », indique Jean-Daniel Levy, directeur de département Politique & Opinion de l’institut de sondage Harris Interactive. En effet, le rêve d’habiter dans une maison individuelle, non mitoyenne, avec un espace extérieur n’est pas nouveau.
Ce qui a changé avec les confinements successifs, c’est que les inégalités des français face au logement ont été révélées et que l’envie d’ailleurs n’a jamais été aussi forte, notamment pour les personnes vivant à plusieurs dans un lieu de vie exigu. Pour preuve, au sortir du premier confinement, d’après Jean-Sébastien Savourel, conseiller chez Villes de France, « 30 % des personnes habitant les grandes villes avaient envie de déménager, et c’était même 44 % chez les plus jeunes ».
La possibilité soudaine offerte par le télétravail pour un certain nombre de salariés et d’entrepreneurs a fait le reste.
Un début de tendance à surveiller plutôt qu’un exode
Côté chiffres, une tendance semble en effet se dessiner sur les déménagements et notamment les changements de département. Par rapport aux chiffres de 2019, ce sont 13 % de français de plus qui ont changé de département. « Pas de quoi parler d’exode », selon Maître Frédéric Violeau, notaire à Caen et directeur de l’Institut de l’immobilier, mais « un changement de morphologie » du marché immobilier qui lui fait « penser que ce mouvement-là va perdurer ».
Plusieurs faits nouveaux viennent étayer cette intuition : tout d’abord ce sont les maisons individuelles qui tirent les prix du marché alors que d’habitude ce sont les appartements ; ensuite les communes de moins de 3 500 habitants attirent des personnes venant de communes plus peuplées, voyant ainsi leur prix au mètre-carré augmenter de façon inédite ; enfin les grandes villes perdent un peu plus vite que d’habitude leurs habitants : -15 % cette année pour Paris contre une moyenne à -2 ou -3 % les années précédentes.
Ce sont bien les villes de petite et moyenne taille qui bénéficient de cette tendance, et non les campagnes comme on pourrait le croire. « Les gens sont à la recherche d’une agglomération plus pratique et moins contraignante », estime Maître Violeau. Quand le télétravail le permet, « les prix élevés dans les grandes villes aident à regarder ailleurs », ajoute-t-il.
Vers des lieux de vie, au pluriel
Achat d’une résidence secondaire ou déménagement ? Souvent, le télétravail n’est pas possible ni souhaité à 100 %, alors se développe la double résidence. A Nevers, le maire, Denis Thuriot observe « un transfert progressif… a minima une forte augmentation de l’attractivité des résidences secondaires qui à terme pourraient devenir des résidences principales ». A une condition cependant : la connectivité ! Comme le dit Maître Violeau, les télétravailleurs cherchent en effet « la déconnexion connectée ».
Quand la réalité percute le rêve
Ce rêve de la maison individuelle avec de grands espaces où l’on pourrait télétravailler pendant que les enfants gambadent dans le jardin se heurte néanmoins à bien des réalités.
Tout d’abord la possibilité ou non de faire du télétravail et dans quelles proportions. En effet, comme le rappelle la ministre Emmanuelle Wargon : « il y a ceux qui peuvent télétravailler mais il y a aussi ceux qui ne peuvent pas télétravailler ! Ces derniers ont besoin de ne pas être loin de leur lieu de travail ». Pour ceux-là, tout dépend de l’attachement des salariés à leur travail actuel. « S’il n’y a pas d’attachement au travail alors la question du changement de vie se pose en effet, sinon c’est plus compliqué », complète M. Levy de l’institut Harris Interactive. Et même ceux qui pourraient télétravailler à 100 % ne le souhaitent pas en général. Chez ceux-là « l’idéal est exprimé à 2,5 jours de télétravail en moyenne », poursuit M. Levy.
Ensuite bien entendu la réalité économique entre en ligne de compte. « Doubles résidences, maisons individuelles avec un bureau… attention aux discours de riches ! » s’irrite Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du Management des Services Immobiliers (IMSI). Autrement dit, « il y a ce que je souhaite et il y a ce que je peux m’offrir » comme l’exprime Yannick Borde, président de PROCIVIS, qui a lancé une étude au sortir du premier confinement avec Harris Interactive auprès de 7 000 participants. Cette étude met en lumière cette barrière entre l’envie de déménager et le passage à l’acte. Par exemple, il ne faut pas oublier que « la mobilité géographique, ce n’est pas dans l’ADN des français ! » illustre M. Borde, quand l’étude montre que 75 % des français vivent en proximité du lieu de vie de leur enfance.
Enfin le rêve de maison individuelle proche de la nature percute non pas une réalité mais une autre aspiration, partagée par de nombreux français : celle de limiter l’impact de leur mode de vie sur l’environnement. Or la maison individuelle n’est pas toujours compatible avec la lutte contre l’artificialisation des sols ni avec une mobilité plus vertueuse. « S’il y a un intérêt pour les petites villes, les bourgs, les villages… oui, mais pas d’étalement urbain ! » alerte Mme la ministre. Côté mobilité, Jean-Daniel Levy de Harris Interactive rappelle que son institut avait montré que le manque d’accès aux services et notamment aux services publics sans utiliser la voiture – « vécue comme une contrainte » – a été un des éléments majeurs de déclenchement de la crise des gilets jaunes.
Une quête de sens de « l’habiter »
Au-delà des aspirations environnementales, une quête de sens plus large est en cours, en particulier chez nos plus jeunes concitoyens. Selon Stephany Orain-Pelissolo, psychologue et fondatrice de CovidEcoute, « les jeunes veulent autre chose pour leurs enfants. Ils se demandent si travailler tel que le font leurs aînés a du sens. Ils questionnent plus profondément leurs envies ».
Pour réconcilier cette envie de mieux habiter et les contraintes exposées, « heureusement il y a d’autres manières de bien habiter : des habitats collectifs, ou des solutions hybrides qui peuvent faire rêver avec des modèles qui seraient soutenables d’un point de vue écologique » – c’est ce que souhaite explorer la ministre Emmanuelle Wargon lors de la suite de son programme. Déjà, quelques exemples sont mis en avant dans de courtes vidéos réalisées en partenariat avec M6, où l’on constate que ces nouveaux modèles d’habiter font la part belle aux services de proximité et aux mobilités douces.