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💡 La Chine : innovation et normalisation au service de son expansion Ă©conomique

Par : Lesley Brown 9 janvier 2021 no comments

💡 La Chine : innovation et normalisation au service de son expansion Ă©conomique

par Lesley Brown et Joëlle Touré, Futura-Mobility

 

Les 5 et 6 novembre, Futura Mobility a organisĂ© Ă  distance une sĂ©ance sur l’articulation entre innovation et expansion Ă©conomique chinoise. Cet article est le troisiĂšme d’une sĂ©rie de trois articles en dĂ©coulant sur le sujet, celui-ci faisant un focus sur l’évolution industrielle de la Chine et le rĂŽle de la normalisation dans l’expansion Ă©conomique chinoise.

 

CrĂ©dit photo : Gerd Altmann – Pixabay

 

Une industrialisation chinoise en trois étapes

Depuis les annĂ©es 70, la stratĂ©gie et transformation industrielle de la Chine a permis au pays de passer d’assembleur Ă  apporteur de valeur ajoutĂ©e. Cette Ă©volution se poursuit. La Chine, aujourd’hui dĂ©jĂ  rĂ©fĂ©rent  technologique, s’engage vers la crĂ©ation de normes reconnues au niveau international.

La prĂ©miĂšre Ă©tape du dĂ©veloppement Ă©conomique moderne de la Chine a Ă©tĂ© celle de l’assemblage – les entreprises chinoises produisant en quantitĂ© des produits conçus ailleurs. Les rĂ©formes Ă©conomiques successives de la Chine lui ont en effet permis d’attirer un grand nombre d’entreprises et de devenir petit Ă  petit « l’atelier du monde Â».

« Effectivement, la fin des annĂ©es 70 a marquĂ© l’ouverture de l’économie chinoise avec la crĂ©ation des premiĂšres zones Ă©conomiques spĂ©ciales sous Deng Xiaoping », explique AlisĂ©e Pornet, Ă©conomiste au dĂ©partement Orients, Agence Française de DĂ©veloppement (AFD). « Plus important encore, avec ces zones la Chine a ainsi créé des espaces de production mondiale Â».

Des entreprises Ă©trangĂšres ont ainsi massivement dĂ©localisĂ© leur production dans ces zones, attirĂ©es notamment par une main d’Ɠuvre abondante et bon marchĂ©. « Ce qui est intĂ©ressant, c’est que ces dĂ©localisations venaient en gĂ©nĂ©ral avec des renforcements de capacitĂ©s pour le tissu productif chinois, voire des transferts de technologie », souligne Mme Pornet. « Ces dĂ©localisations ont ainsi créé des dynamiques d’imitation. Elles ont aussi permis de substituer des dĂ©penses de R&D que la Chine Ă  l’époque ne pouvait pas nĂ©cessairement porter Ă  la fin des annĂ©es 70 – dĂ©but 80s Â».

Des rĂ©formes en Chine ont accompagnĂ© ce mouvement et aidĂ© Ă  rendre les acteurs Ă©conomiques chinois plus autonomes pour rĂ©pondre Ă  une demande mondiale sur des produits gĂ©nĂ©ralement Ă  faible valeur ajoutĂ©e. Aussi, cette imitation permettait Ă  pallier une sous-qualification des employĂ©s et, surtout, de compenser une absence d’un Ă©cosystĂšme propice Ă  l’innovation, qui est basĂ© sur Ă©normĂ©ment de facteurs comme la concurrence et l’ouverture des marchĂ©s.

Du point de vue thĂ©orie Ă©conomique, pour la Chine, l’imitation, l’assemblage, Ă©tait un stade, un apprentissage nĂ©cessaire pour consolider sa trajectoire de croissance – qui Ă©tait Ă  deux chiffres pendant plusieurs dĂ©cennies – et qui a permis au pays d’émerger sur le plan Ă©conomique entre la fin des annĂ©es 1970 Ă  2000.

Les transferts de technologie des firmes japonaises dans l’industrie Ă©lectronique chinoise

Depuis les annĂ©es 80, la Chine a mis en place des politiques incitatives pour faire Ă©merger des acteurs chinois de l’innovation. Comme, par exemple, crĂ©er des relations entre les entreprises et les universitĂ©s pour faire un appareillement entre l’offre et la demande d’innovation.

La deuxiĂšme Ă©tape se situe vers la fin des annĂ©es 2000, dĂ©but 2010. Le pays a alors commencĂ© Ă  s’intĂ©resse Ă  la valeur ajoutĂ©e, Ă  remonter la chaĂźne de valeur, Ă  produire de la technologie. Cette tendance s’est manifestĂ©e en 2015 avec le plan « Made in China 2025 Â», le programme d’investissement chinois dans les nouvelles technologies.

Aussi il y a eu une prise de conscience du besoin de dĂ©velopper un budget R&D pour porter cette innovation. « La Chine a essayĂ© de porter ses dĂ©penses d’R&D par les grandes entreprises comme Huawei, par exemple, qui aujourd’hui figure parmi les premiĂšres entreprises Ă  dĂ©poser des brevets au niveau international », souligne Mme Pornet. NĂ©anmoins, cette ouverture dans le domaine de la R&D en Chine reste partielle : en gĂ©nĂ©ral, moins d’1 % du chiffre d’affaires des entreprises est consacrĂ© Ă  la R&D ; et ce qui est investi par le gouvernement reste aussi minoritaire.

En 2017, 70 % des dĂ©penses R&D Ă©taient portĂ©es par les entreprises dans les pays de l’OCDE.

La troisiĂšme Ă©tape, qui a lieu de nos jours, c’est la volontĂ© de faire de la technologie chinoise une rĂ©fĂ©rence pour le monde, de crĂ©er des normes et standards sur lesquels vont reposer toutes les technologies et les innovations Ă  venir. « Depuis 10 ans, la Chine devient trĂšs active dans tous les processus internationaux de normalisation technique », confirme John Seaman, research fellow, Center for Asian Studies, IFRI (French Institute of International Relations).

 

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La normalisation – outil de pouvoir ?

« Une norme est une technologie, une mĂ©thode de base qui dĂ©finit l’écosystĂšme dans lequel les autres technologies vont Ă©voluer », prĂ©cise M. Seaman. La question normative est extrĂȘmement importante sur le plan Ă©conomique pour tous pays, y compris la Chine, puisque le coĂ»t de basculer d’une norme Ă  une autre est extrĂȘmement Ă©levĂ©. C’est la raison pour laquelle Huawei, par exemple, a investi jusqu’à 60 milliards de dollars dans la R&D pour s’insĂ©rer dans le processus de dĂ©finition des normes de la 5G.

« Cet enjeu normatif est surtout Ă©levĂ© dans l’économie numĂ©rique oĂč on a vraiment besoin de l’interopĂ©rabilitĂ© », rappelle M. Seaman. Par exemple en 2018, la Chine a rĂ©ussi Ă  faire adopter sa norme dĂ©finissant l’architecture de rĂ©fĂ©rence pour l’internet des objets au sien de l’ISO (Organisation internationale de normalisation).

La Chine est trĂšs proactive dans les processus de dĂ©finition des normes concernant les technologies comme le 5G, l’intelligence artificielle (IA), l’internet des objets, les drones et les villes intelligentes. Par ailleurs, cette prĂ©sence des acteurs chinois dans la normalisation va bien au-delĂ  vers les secteurs du transport, de l’énergie, de la finance, de la mĂ©dicine, de l’agriculture, de la comptabilitĂ© et mĂȘme la gouvernance.

 

Photo: Wei Zhu – Pixabay

 

Les Routes de la Soie : innovation et normalisation projetées sur le monde

Aujourd’hui la Chine est dans un basculement de modĂšle. Elle souhaite faire reposer sa croissance sur son marchĂ© intĂ©rieur et sur une politique d’innovation beaucoup plus poussĂ©e.

Le pays mise beaucoup sur une politique de l’innovation pour passer du « fabriquĂ© en Chine » Ă  « inventĂ© en Chine ».  En effet, on constate un regain du mot « innovation » dans les plans quinquennaux rĂ©cents et aussi dans les rĂ©formes que souhaite mettre en place le prĂ©sident Xi Jinping. « L’innovation c’est une nĂ©cessitĂ© pour avoir une croissance qui se perpĂ©tue », souligne Mme Pornet.

 

Dans son rapport Innovative China : New Drivers of Growth (2019), la Banque Mondiale propose trois leviers ( les 3 D « drivers Â») pour renforcer le trajectoire d’innovation pour la Chine : limiter les distorsions de marchĂ© pour monter la concurrence ; diffuser les technologies et les savoir-faire ; renforcer la compĂ©titivitĂ© et la capacitĂ© d’innovation chinoise Ă  rejoindre la frontiĂšre technologique dans certains secteurs, comme la technologie verte, par exemple.

 

 

 

« Pour moi, entre 2017 et 2019, il y a eu une sorte de mise en valeur de l’innovation chinoise aussi bien dans les techniques que dans les technologies », estime Mme Pornet. Une innovation mise en avant par le gouvernement chinois, per exemple, Ă  travers l’initiative des Routes de la Soie. En effet, dans son discours en mai 2017, au premier Forum des Routes de la Soie, le prĂ©sident Xi Jinping a rappelĂ© l’histoire des innovations chinoises majeures – la boussole, l’imprimerie, le papier, etc. – pour expliquer que l’innovation a toujours Ă©tĂ© dans l’ADN de la Chine.

Pour Mme Pornet, ce qui est intĂ©ressant dans ce projet des Routes de la Soie c’est de voir comment la Chine met plus en avant l’innovation incrĂ©mental : par exemple dans le numĂ©rique, les innovations apportĂ©es suite aux retours des utilisateurs sur un service ou un produit.

Pour John Seaman, le projet des Routes de la Soie révÚle une autre dimension de la normalisation vue de la Chine : « La Chine passe par la multiplication des accords bilatérales en matiÚre des normes et ensuite essaie de les faire remonter dans une sorte de forum parallÚle [parallÚle au systÚme officiel mondial de normalisation]. On voit que cette stratégie est déjà actée au sein de ce projet des Route de la Soie dont la Chine se sert comme une plateforme ».

 

CrĂ©dit photo : Tumisu – Pixabay

 

« Standards maker Â» ou « standards taker Â» ?

En termes de normalisation, John Seaman considĂšre que les chinois jouent une sorte de double jeu. « D’un cĂŽtĂ© il y a la Chine qui est prĂ©sente dans le systĂšme actuel. Elle joue le jeu coopĂ©ratif, s’insĂšre dans le systĂšme actuel [ISO, CEI, etc.] et y investit, participe et propose. En mĂȘme temps on voit Ă©merger une Chine qui poursuit un modĂšle qui est beaucoup plus sino-centrĂ©, comme pour les Routes de la Soie, par exemple Â».

China Standards 2035, publiĂ© en janvier 2020 par Horizon Advisory, parait confirmer cette approche normative Ă  double face. On attend fin 2020 une stratĂ©gie complĂšte adoptĂ©e officiellement par la Chine dans le domaine de la normalisation Ă  l’horizon 2035.

Le contenu de rapport rĂ©vĂšle comment la dimension interne de cette stratĂ©gie, qui concentre sur une rĂ©vision du systĂšme chinois qui crĂ©e des normes et des standards, vise aussi externe – en souhaitant projeter des normes chinoises pour qu’elles deviennent les normes internationales. « Cela faciliterait l’insertion des entreprises chinoises Ă  l’étranger en tant que ‘standards makers’ plutĂŽt que ‘standards takers’ », souligne M. Seaman.

 

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Quel futur pour l’innovation à la chinoise ?

Dans son rapport The Fat Tech Dragon, le think tank amĂ©ricain CSIS (Center for Strategic and International Studies) donne Ă  la Chine une image de dragon lourd qui a du mal Ă  se mouvoir dans l’innovation. Il suggĂšre que la productivitĂ© de l’innovation chinoise est assez limitĂ©e. « En effet, bien que la Chine figure parmi les premiers dĂ©posants de brevet dans le monde, seulement 20 % sont des brevets d’invention », ajoute Mme Pornet. La Chine porterait-elle assez peu d’innovation de rupture mais plutĂŽt de d’innovation incrĂ©mentale de procĂ©dĂ©s ?

Mme Pornet nuance cette conclusion en affirmant que la Chine est une puissance d’innovation en devenir. « Il y a des signaux de l’avancĂ©e de la Chine dans certains secteurs, mĂȘme si la rĂ©alitĂ© qualitative des innovations est difficile Ă  prĂ©ciser ».

 

 

Photo de couverture : Sherisetj – Pixabay