L’accessibilité de la mobilité
L’accessibilité de la mobilité
Le 9 juillet 2021, Futura-Mobility organisait sur ce sujet une séance hybride – en présentiel et à distance – avec des experts et des membres du think-tank.
Sylvain Denoncin, président d’Okeenea, entreprise spécialisée dans l’installation de dispositifs d’aide aux personnes handicapées, rappelle l’ampleur de la problématique. « Ce sont plus d’un milliard de personnes dans le monde aujourd’hui qui présentent un handicap », qu’il soit moteur, sensoriel ou mental. C’est donc près de 15 % de la population mondiale qui est directement concernée, sans compter tous les autres qui peuvent être temporairement limités dans leur mobilité (femmes enceintes, personnes âgées, enfants, personnes souffrant physiquement…), encombrés (poussettes, valises, achats…), désorientés (ville inconnue, fatigue…) ou présentant des besoins spécifiques comme les personnes de petite taille – y compris les enfants – les personnes présentant une obésité ou encore les personnes souffrant d’une pathologie nécessitant des besoins spécifiques (accès fréquent aux toilettes par exemple).
Ainsi, se préoccuper d’accessibilité de la mobilité, c’est bien s’occuper de tous ; c’est créer une société inclusive où tous peuvent vivre ensemble, chacun avec ses besoins.
Selon l’expérience d’Anne Keisser, fondatrice de Mon Copilote, « présentant des freins de mobilité, ces personnes vont se retrouver isolées ». Le service qu’elle a créé en 2016 réunit un « pilote » qui a besoin d’accompagnement et un « copilote » qui accompagne, quel que soit le mode de transport : voiture, transport public, marche à pied…
Les exemples de freins sont nombreux et sur toute la chaine de déplacement : ne pas savoir quel bus prendre ou comment réagir en cas de déviation d’une ligne, avoir une force physique insuffisante pour faire bouger son fauteuil roulant, craindre de prendre le bus car il démarre trop vite pour s’assoir, ne pas être autonome pour acheter les billets…
Anne Keisser d’ajouter : « en France, une personne sur quatre qui est âgée ou handicapée se retrouve socialement isolée, et ce, malgré un panel large de solutions qui peuvent exister (aidants, aides à domicile, taxis, covoiturage, services de Transport de Personnes à Mobilité Réduite, transports en commun) ». Ainsi, le besoin est bien présent et ne va pas diminuer en raison du vieillissement de la population. Plus de 72 % de la population française aura plus de 75 ans en 2060 !
Quant à l’accessibilité des voyages touristiques, c’est encore une question délicate. « 80 % des personnes handicapées interrogées disent que si elles ne voyagent pas, c’est à cause de la problématique des transports », explique Marie-Odile Vincent, consultante pour le tour opérateur Comptoir des Voyages à destination de la clientèle en fauteuil roulant. L’aérien créé une barrière supplémentaire car il faut se dissocier de son fauteuil et faire confiance au transporteur pour que le fauteuil arrive à temps et en bon état.
Elle poursuit, étant elle-même en fauteuil roulant : « quand je voyage, j’ai tendance à dire que 90 % de mon autonomie est perdue et dans ces 90 %, c’est 100 % de ma mobilité qui est perdue ! ». Ce qui lui fait dire que « le nerf de la guerre quand on voyage c’est la mobilité. Sinon il n’y a pas de voyage. »
Du « transport des personnes handicapées » à l’intégration des besoins de tous
Selon Muriel Larrouy, chargée de mission accessibilité des transports, Délégation ministérielle à l’accessibilité, SG Ministère de la Transition Écologique, la façon de penser l’accessibilité des transports a récemment beaucoup évolué. « On est passé du transport des personnes handicapées aux politiques d’accessibilité des transports ». Le mot accessibilité est d’ailleurs assez récent. Il date des années 1990 et a été mis en avant sous l’impulsion des organisations et des associations de personnes handicapées. Avant cela on parlait du transport des personnes handicapées, on voyait le côté médical, il n’était pas question d’autonomie des personnes.
La loi de 2005 a représenté l’institutionnalisation de l’obligation d’accessibilité aux différents maillons de la chaîne de déplacement : les transports, la voirie et les espaces publics et le cadre bâti (Etablissements recevant du public et logement). Depuis, tous les nouveaux services se doivent d’être accessibles (transports, ERP…) et des investissements majeurs ont permis de mettre en accessibilité de nombreux lieux et services existants. Avec cette accessibilité qui progresse dans les faits, l’usage se développe et dans son sillage, les questions de qualité d’usage et d’information voyageurs deviennent de plus en plus prégnantes. C’est pourquoi la loi d’orientation des mobilités votées le 24 décembre 2019 a inscrit plusieurs obligations visant à faciliter l’usage : tarification spécifique pour les accompagnateurs, création de bases de données sur l’accessibilité pour informer les voyageurs sur l’accessibilité des transports et de la voirie…
Du côté d’Alstom, Camille Jaigu, manager de programmes plateforme métro explique l’approche du constructeur : « On a voulu aussi être inclusif aussi dans la manière d’en parler. Donc on parle de besoins : besoin de protection, besoin d‘informations, besoin d’espace ou besoin de temps, plutôt que de handicap ». Ainsi Alstom a adopté l’approche par le design universel.
Alstom travail par exemple sur le handicap cognitif avec la Société des Transports de Montréal (STM) au Québec – Canada. Il s’agit de réduire la pollution visuelle issue des indications techniques en épurant au maximum la conception des rames, tout en mettant en avant les éléments d’orientation utiles aux voyageurs : bandes de guidage lumineuse pour les entrées / sorties, contraste des bars de maintien, etc.
Des offres techniques certes mais aussi des services apportés par des êtres humains
Doit-on permettre à tous d’accéder aux transports en autonomie complète ? Evidemment mais qu’est-ce que l’autonomie, sur quoi repose-t-elle ?
Permettre à tous de faire les trajets sans assistance humaine et seulement avec des offres technologies, en toute autonomie, n’est pas un objectif affiché à l’étranger. Muriel Larrouy du ministère précise que « c’est là un débat franco-français ! » « En France on est une nation d’ingénieurs qui demande à ce que ça soit les machines qui pallient aux besoins ». En l’occurrence, dans des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne « on pense que l’individu a plus de valeur et qu’une intervention humaine peut être bien plus qualitative » … et puis, parfois, la machine est défaillante.
Anne Keisser, fondatrice de Mon Copilote, explique qu’elle « se sert de la technologie pour avoir de l’humain ». Elle a adapté les services proposés aux besoins spécifiques du public concerné dès la conception de son offre. La fondatrice explique par exemple l’importance de proposer à la fois une centrale téléphonique pour la réservation en plus du site web, « car ce public fragile a parfois des difficultés avec le web et surtout besoin de contact humain ». De même, les options de paiement comprennent l’envoi de chèques, car certains ne sont pas à l’aise avec le paiement à distance en carte bancaire. « Il est important de créer de la confiance avec cette communauté, car il s’agit des personnes fragiles », explique-t-elle.
Aujourd’hui Mon Copilote est présent en France avec des partenariats avec les Autorités Organisatrices de Mobilité et/ou des transporteurs sur 4 territoires – Clermont Ferrand, Pau, Sénart et l’Essonne – et bientôt sur Paris. Le service compte 4 000 utilisateurs en France et supervise entre 200 et 300 trajets par mois.
Pour Marie Odile Vincent, organisatrice de voyages pour la clientèle en fauteuil roulant, il est possible de concilier handicap et voyage en tenant compte des cultures des différents pays et notamment la culture du service. « Le système D fonctionne collectivement, quand on sait bien expliquer ce dont on a besoin ou quelles sont ses difficultés », explique-t-elle.
Pour les transporteurs, cet équilibre entre développement d’une offre technique pour faciliter l’autonomie et mise en place d’une assistance humaine est un équilibre à trouver pour satisfaire les passagers mais également du point de vue du modèle économique. « On essaie en permanence, avec l’État et les Régions, de trouver le modèle économique le plus pertinent en termes de présence du personnel. C’est un équilibre entre ce qu’on sait faire techniquement pour que les personnes soient le plus autonomes possible et ce qu’on peut faire en termes d’accompagnement humain », explique Laëtitia Monrond, directrice de l’accessibilité du groupe SNCF.
Une logique inclusive également dans la conception des offres
Les industriels présents lors de la séance ont tous adopté une démarche d’inclusion des publics concernés dans les phases de conception, de tests et d’ajustement de leurs offres.
C’est le cas à la SNCF qui est en concertation permanente avec neuf associations de personnes handicapées pour améliorer l’accessibilité du transport en train, quel que soit l’opérateur ferroviaire ; chez Keolis pour l’expérimentation de guidage des personnes malvoyantes à Versailles Chantiers ; chez Alstom à Montréal avec les associations Ex-Aequo et RUTA Montréal ou encore avec l’association ONCE en Europe ; chez Aximum (Colas / Bouygues) pour la mise en place de bandes podotactiles facilitant la traversée de carrefours à risque pour les piétons malvoyants.
Rendre l’information sur l’accessibilité disponible
Pour les touristes étrangers handicapés qui souhaitent voyager en France, d’après Marie-Odile Vincent, « la première difficulté est l’accès à l’information : trouver les services qui sont à ma disposition qui sont en nombre limité et doivent souvent être réservés longtemps à l’avance ».
Que ce soit pour les habitants ou pour les touristes, depuis la Loi du 11 février 2005, la France a réalisé des efforts importants sur l’aménagement des infrastructures et sur l’information et la qualité d’usage. Cette dernière repose sur un besoin précis : disposer d’informations d’accessibilité fiables pour préparer un trajet, de bout en bout, alors même que les aménagements ne sont pas adaptés partout.
La loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des chances impose à tous les opérateurs de transports en commun de rendre leur réseau totalement accessible à l’horizon 2015. Englobant la chaîne de déplacement, l’accessibilité concerne les transports et, de manière transversale, l’ensemble de son environnement : cadre bâti, espaces publics, voirie. La loi vise à « rendre les plus autonomes possible » les personnes en situation de handicap.
En décembre 2019, la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) a fait le focus sur les données y compris sur l’accessibilité des informations. Elle rappelle les obligations qui existent déjà dans la loi de 2005 et avance deux mesures sur l’accessibilité de l’information :
- L’obligation de la mise en place d’une plateforme unique de réservation des prestations d’assistance en gare.
- Et la création de bases de données décrivant l’accessibilité de la voirie et des transports, à la condition de mettre en avant l’accessibilité dans les mêmes termes et d’organiser les informations de la même façon. Pour les transports, le modèle à utiliser c’est – le profil NeTEx France – juillet 2021. Les données de voirie devront suivre un format compatible. Les deux décrets ont été publiés fin juin 2021.
Du côté des entreprises, on voit arriver des offres de guidage numérique des personnes handicapées.
NaviLens par exemple est un service numérique de guidage des personnes aveugles et malvoyantes dans les transports en commun. Cette solution est basée sur un QR code en 2D, coloré, adapté et augmenté qui, placé sur les parcours, peut être lu jusqu’à quasiment 50 mètres de distance avec des angles importants. L’utilisateur allume son téléphone, le met autour du cou si besoin et c’est l’application qui va ensuite automatiquement détecter les QR codes sur son trajet et le guider en audio.
En lien avec Keolis, une expérimentation a eu lieu récemment en gare de Versailles Chantier, une gare multimodale aux parcours complexes.
D’après Arnaud Julien, directeur Innovation, Data et Digital de Keolis, « cette solution est mature et donc on teste vraiment plus les usages que la technologie elle-même ». L’application guide très clairement les usagers notamment en fonction du sens de lecture des QR codes et indique en retour vocal, en dynamique et en temps réel le nombre de marches à parcourir par exemple (cf. photo), ou encore en statique, les horaires des prochains bus.
Même si cette solution demande un temps d’adaptation pour les utilisateurs et nécessite que les infrastructures suivent (présence de bandes podotactiles), elle est très appréciée par les personnes malvoyantes qui l’ont testée, qui aimeraient la voir généralisée. Prochaine étape dans ce sens, la société NaviLens travaille avec Alstom pour équiper les rames de train.
Une autre version de l’application NaviLens utilisant les mêmes codes 2D est développée pour les voyageurs qui ne connaissent pas les gares ou ne parlent pas la langue – ce qui à Versailles est évidemment intéressant !
Okeenea également développe une application de guidage appelée Evelity. Celle-ci a vocation à fonctionner partout, y compris dans les bâtiments. Elle fonctionne à l’intérieur à l’aide de balises Bluetooth qui permettent de localiser le smartphone de l’utilisateur par triangulation, à l’instar du GPS. La particularité de cette application est qu’elle s’adresse à tous types de handicaps, s’adaptant aux besoins spécifiques, paramétrables par l’utilisateur (escalier, ascenseur par ex…). Un back office est dédié aux opérateurs qui peuvent par exemple fermer des voies de déplacement.
La vision de Sylvain Denoncin, président d’Okeenea est qu’ « il faut créer un assistant personnel à mobilité dont le facteur clé de succès sera la capacité à s’adapter aux besoins des utilisateurs ».
Le guidage de l’usager est réalisé en vocal, ce qui convient bien aux personnes malvoyantes mais aussi par exemple aux personnes en fauteuil roulant, qui ont besoin de leurs deux mains. Le système permet de garder le téléphone dans sa poche.
Déployée dans le métro de Marseille, dans une tour tertiaire à Lyon, en cours de déploiement ou de test à Paris sur le changement de tram 3a-3b, à Lille, à Lyon ou encore à New-York, l’application continue d’évoluer.
Ainsi ce mouvement, suite à la LOM, apporte de la data standardisée et actualisée, ce qui est primordial. « Reste aujourd’hui à fournir aux utilisateurs des services les plus interopérables possibles, centrés sur l’usage et pas sur la technologie, et qui permettent d’avoir une réelle mobilité sur toute la chaine de déplacement incluant les transports, la voirie et les établissements recevant du public », insiste Sylvain Denoncin.
« Des aménagements, de l’information pour l’usage et de l’humain : il faut de la complémentarité entre ces briques » pour améliorer l’accessibilité des transports à tous, synthétise Muriel Larrouy.