Transport maritime durable – une éclaircie à l’horizon ?
Transport maritime durable – une éclaircie à l’horizon ?
Traduit de l’anglais par Joëlle Touré, déléguée générale, Futura-Mobility
Paris, le 30 janvier : lors de ChangeNOW, la manifestation de trois jours présentant des « solutions pour la planète », l’une des conférences a porté sur le transport maritime. L’incertitude quant à l’avenir, les coûts d’investissement et la longue durée de vie des navires semblent être les principaux obstacles à l’adoption de pratiques durables plus respectueuses de l’environnement.
« L’industrie est à la traîne, avec une décennie de retard sur le transport terrestre », reconnaît Georgios Bourtzos, PDG et co-fondateur de la société de logiciels Ship Reality. « Aujourd’hui, les constructeurs navals ne construisent pas de nouveaux navires non seulement parce que la flotte mondiale sur le marché est déjà énorme, mais aussi parce qu’ils ne savent pas quelles technologies seront utilisées dans les 30 prochaines années », explique-t-il. « Les chargeurs sont conscients que les décisions qu’ils prennent aujourd’hui pourraient ne pas être les bonnes dans 5 à 10 ans ».
La modernisation ou la construction de nouveaux navires, ainsi que la mise en œuvre de changements dans les pratiques de travail en général, sont des entreprises extrêmement coûteuses et très risquées. « Dans l’esprit d’un armateur, réduire l’empreinte carbone de sa flotte signifie investir des millions et des millions dans des technologies alternatives », affirme Amaury Bolvin, cofondateur de la compagnie de navigation à voile Zephyr & Borée. « Cela crée évidemment une incertitude quant à la viabilité commerciale ultérieure des navires, notamment sur différentes routes maritime ».
Il poursuit en expliquant comment l’investissement dans les énergies renouvelables augmente ce risque commercial, pour deux raisons en particulier : lorsque l’on utilise des voiles, les conditions de vent ne sont pas les mêmes sur toutes les routes maritimes ; lorsque l’on dépend de l’hydrogène ou des batteries, les armateurs n’ont aucune garantie qu’il y aura les infrastructures nécessaires dans une grande variété de ports pour fournir de l’hydrogène ou de l’électricité compétitive et à faible teneur en carbone.
« Les armateurs préfèrent généralement attendre qu’un autre adopte une innovation en premier, puis si c’est une réussite, ils suivront », ajoute M. Bourtzos. « Pour les solutions technologiques de Ship Reality, nous nous concentrons sur les principaux armateurs, ainsi que sur les autres acteurs du secteur, car ce sont ces premiers adoptants qui définissent l’industrie. Une fois qu’une entreprise de grande valeur adopte une solution, les autres suivront ».
« Toute nouveauté prend du temps à se mettre en place », souligne Cédric François, fondateur et PDG d’Equium. Sa société a développé des technologies de « refroidissement hors réseau » utilisant des sources d’énergie gratuites ou recyclées, telles que la chaleur résiduelle (au lieu de l’électricité), pour des applications fixes ou mobiles. « L’homme clé qui est généralement réticent à l’innovation sur un navire est le chef mécanicien parce qu’il veut des dispositifs éprouvés à bord. Par conséquent, votre solution doit fonctionner et avoir fait ses preuves pendant longtemps avant d’être adoptée. Donc, si vous voulez entrer dans cette industrie, cela ne se fera certainement pas du jour au lendemain ».
Forces motrices
Georgios Bourtzos voit trois moteurs de transformation dans l’industrie maritime, à savoir la réglementation environnementale pour des aspects tels que les émissions de soufre et la circulation des eaux de ballast ; les efforts pour décarboner « une industrie qui utilise le même carburant depuis 70 ans » et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ; et la digitalisation de l’industrie. « Le problème est que les trois apparaissent en même temps et que les deux premiers coûtent très cher. C’est pourquoi nous avons besoin de la troisième, la numérisation, pour pouvoir économiser du temps et de l’argent ».
Les règlements à l’échelle mondiale apportent un sérieux coup de pouce. « Depuis janvier 2020, le transport maritime est désulfuré, ce qui est une bonne chose. Mais il a fallu 20 ans pour y parvenir », souligne Stephan Brabeck, directeur technique de SkySails Group, une entreprise basée à Hambourg qui vend des voiles de kite pour propulser des cargos, de grands yachts et des bateaux de pêche grâce à l’énergie éolienne. Il estime en effet qu’il faudra encore au moins dix ans pour réduire les émissions de carbone dans ce secteur.
Les émissions d’oxyde de soufre (SOx) des moteurs à combustion des navires provoquent des pluies acides et génèrent des poussières fines qui peuvent entraîner des maladies respiratoires et cardiovasculaires, ainsi qu’une réduction de l’espérance de vie. C’est pourquoi, depuis le 1er janvier 2020, l’Organisation maritime internationale (OMI) a introduit un nouveau plafond à 0,5 %, contre 3,5 % auparavant, pour la teneur maximale en soufre autorisée dans les combustibles.
L’un des avantages de cette nouvelle réglementation, outre les bénéfices attendus en termes de qualité de l’air et de santé, est le regain d’intérêt qu’elle induit pour les carburants de substitution. « Les nouveaux plafonds de teneur en soufre impliquent une augmentation constante du prix des carburants depuis janvier 2020*, de sorte que les chargeurs sont maintenant plus attentifs aux carburants de substitution, des produits novateurs vers lesquels ils peuvent se tourner », déclare Stephan Brabeck. « Les premiers à adopter ces carburants sont les navires de croisière, car ils vendent à leurs clients des voyages neutres en carbone. Ils veulent être les premiers à être neutres en carbone. Je sais qu’il existe par exemple des projets d’utilisation d’hydrogène pour ces navires ou de propulsion éolienne ».
Pour encourager l’adoption d’énergies alternatives comme l’énergie éolienne (voiles) et l’hydrogène, Amaury Bolvin estime qu’il est vital d’étendre la durée des contrats de transport maritime. « Pour payer l’investissement à long terme dans des actifs innovants, les compagnies maritimes ont idéalement besoin d’engagements commerciaux à long terme de 5 à 10 ans de la part de leurs clients chargeurs. Mais ce n’est généralement pas le cas aujourd’hui. Les chargeurs optent pour des contrats de moins de 12 mois, au mieux de 3 ans, parce qu’ils veulent conserver une certaine souplesse. Parce qu’ils ne savent pas ce que sera leur production ou leur logistique dans dix ans ».
Sensibiliser l’opinion publique est un autre moyen de favoriser la transition. « En fin de compte, nous, en tant que consommateurs, pouvons faire pression sur les fabricants pour qu’ils fassent pression sur les logisticiens, qui font pression sur les chargeurs pour qu’ils apportent des changements », encourage M. Brabeck.
Des signes encourageants
Malgré les défis et l’inertie apparente, certains signes montrent que l’industrie prend en compte l’environnement. « Chez SkySails, nous avons déjà installé nos kites sur six navires et nous attendions de nouvelles commandes depuis 2012, depuis la livraison du dernier », déclare M. Braback. « Maintenant, ces commandes arrivent ! Nous voyons la lumière au bout du tunnel ! »
Pendant ce temps, Equium travaille avec les grands acteurs que sont Naval Group et les Chantiers Atlantique. « Ils sont intéressés par de nouveaux types de systèmes de refroidissement… si nous pouvons leur donner un ROI sur trois ans », déclare M. François.
Autre étape importante, le Canopée, un cargo moderne à voiles, spécialement conçu pour les besoins de transport du futur lanceur Ariane 6. En partenariat avec Jifmar Offshore Service et VPLP Design, Zephyr & Borée a développé ce navire de 121 mètres de long pour transporter le lanceur du continent européen vers la Guyane française. Il est équipé de quatre voiles à ailes articulées de 363 mètres carrés chacune. Suite à la signature d’un contrat en septembre 2019, la construction débutera en 2020 et le navire devrait entrer en service en 2022.
« La consommation de combustible fossile de ce navire, par rapport aux navires traditionnels, sera réduite de 30 % sans incidence sur le temps de transport et sur le coût », souligne M. Bolvin. « Non seulement ce projet prouvera que nous pouvons utiliser l’énergie éolienne au XXIe siècle, mais le groupe Ariane bénéficiera également de prix stables pour les carburants, sera moins dépendant des combustibles fossiles et renforcera en outre sa RSE et son image de marque », affirme-t-il, enthousiaste.
>>> Regardez les vidéos de la conférence : Partie 1 & Partie 2
* propos tenus le 30 janvier 2020, avant la pandémie du Covid-19
Photo de couverture : Dimitris Vetsikas – Pixabay