La transmission du virus via les voyages intercontinentaux – modèle prédictif d’AIRBUS
La transmission du virus via les voyages intercontinentaux – modèle prédictif d’AIRBUS
Le lundi 20 septembre, les membres de Futura-Mobility poursuivent leurs échanges sur l’environnement sanitaire dans les transports. Après une première séance en mai sur la sécurisation de l’environnement sanitaire proposé aux passagers dans les transports, ils invitent ce jour AIRBUS à présenter son modèle d’évaluation de la transmission du coronavirus lors d’un voyage en avion, d’un pays à l’autre. Autour de la table (virtuelle…) des membres d’Alstom, Valeo, Keolis, SNCF, Air Liquide, Groupe ADP avec les équipes de Futura-Mobility.
« Pourquoi avons-nous fait ce modèle ? » questionne Élisabeth Masset, Air Travel Health Assessment Leader chez AIRBUS. « C’est pour donner des moyens de prédictions quantitatifs du risque de transmission du Covid19 sur l’ensemble du voyage en avion, depuis l’entrée dans le terminal de départ jusqu’à la sortie du terminal d’arrivée », poursuit-elle.
La compétence ‘sécurité avion’ d’AIRBUS au service de la lutte contre la Covid19
Pour ce faire, AIRBUS s’est basé sur un de ses savoir-faire majeurs, la ‘sécurité avion’. Les méthodes de limitation des risques d’AIRBUS ont été appliquées au risque particulier qu’un passager se fasse contaminer, et en étendant le séquence – qui d’habitude chez AIRBUS se limite au vol – à l’ensemble du trajet depuis l’aéroport de départ à l’aéroport d’arrivée. « La fonction de ‘safety’ ici à résoudre est d’éviter qu’un passager ne soit contaminé lors d’un voyage en end to end », explique Mme Masset.
Les « taux de panne », c’est-à-dire les cas d’échec de protection du passager, ont été estimés à chaque étape du voyage. Deux cas de « panne » ont été considérés, la contamination par les surfaces (cas 1) et la contamination par les aérosols (cas 2). Le modèle mathématique développé fait la somme des probabilités respectives de chacune des deux pannes pour estimer la probabilité qu’un passager soit contaminé. En théorie il faudrait retrancher à cette somme, la probabilité que notre passager soit contaminé des deux manières à la fois. Mais par simplification, AIRBUS n’a pas retranché cette probabilité conjointe. « Dans le modèle nous avons toujours été conservateurs, donc plutôt ‘pessimistes’ », expose Élisabeth Masset.
En fonction des dispositifs de protection mis en place au niveau du voyage (port du masque, gel hydro-alcoolique, distanciation physique …), AIRBUS estime le taux de panne associé et donc la probabilité que le passager soit finalement contaminé par un autre passager préalablement contaminé.
Par exemple, dans la salle d’embarquement, dans le cas 1, le passager est contaminé par une surface s’il touche une surface contaminée, s’il ne se nettoie pas la main et s’il touche son visage. « Il faut que tous les événements se produisent pour qu’il soit contaminé » affirme Mme Masset. Dans le cas 2, il est contaminé par des particules si son visage n’est pas protégé et que les distances physiques ne sont pas respectées avec un passager contaminé. Donc pour estimer son risque de contamination à ce moment précis du trajet, le modèle somme les deux probabilités d’occurrence du risque.
Un modèle complètement paramétrable
Pour ce faire, chaque étape du voyage est elle-même découpée en paramètres : y a-t-il de la restauration à bord de l’avion ? Les passagers peuvent-ils se rendre aux toilettes ? Combien y a-t-il de files d’attentes pendant le trajet ? Combien de personnes en contact avec une autre personne dans chaque file d’attente ? etc.
La durée de chaque étape est un élément important du modèle et paramétrable : durée des queues (enregistrement, police, embarquement, débarquement, attente bagages…), durée des temps d’attente en salles, durée du vol également. Plus on reste longtemps dans un endroit confiné (sans aération) avec d’autres personnes contaminées, plus on a de risque d’être contaminé à son tour. « La probabilité de contamination des passagers est estimée selon le principe d’une loi de Poisson simplifiée avec une loi de Bernoulli », explique l’experte.
La vitesse de propagation du Covid est paramétrable dans le modèle. En première approche, un cas réel de vitesse de propagation de la grippe a été utilisé (en supposant que le Covid et la grippe se transmettent à la même vitesse). Cette valeur, résultant de l’étude d’un cas de personnes enfermées dans une cabine d’avion pendant un certain temps lors d’une escale sans air conditionné. « Nous prenons l’hypothèse que les personnes asymptomatiques vont éternuer 6 fois en 24 heures d’après les études, mais nous pouvons modifier ce paramètre pour l’augmenter s’il est prouvé qu’un variant est plus contagieux qu’un autre ». Les paramètres de transmission par aérosol de personne à personne ont été validés car les résultats calculés par le modèle sur l’ensemble du trajet des passagers sont très proches de la réalité. En effet, les résultats ont été comparés avec des cas réels.
Que l’on se rassure, « la recommandation maintenant est surtout de maintenir la ventilation durant les escales ! » assure Vincent Feuillie, médecin conseil d’Air France.
Ainsi, le modèle a été développé de manière à permettre de modifier les paramètres. « Il y a 52 paramètres dans le modèle dont une vingtaine qui sont directement accessibles à l’utilisateur ! », explique Mme Masset.
Le modèle, basé sur la redondance étape après étape, estime donc le risque qu’a un passager de passer au travers des mesures de protection mises en place le long de son trajet.
Les conditions épidémiologiques des pays de départ et d’arrivée sont également prises en compte, notamment le taux d’incidence au Covid19 « et sont mises à jour en temps réel », poursuit Mme Masset. Cette information est indispensable pour approcher le risque qu’une personne contaminée se trouve sur le même trajet que le passager à protéger. Pour pallier les différences de fiabilité de ces données dans les différents pays, deux paramètres sont pris en compte sur la base des études notamment des Instituts Robert Koch en Allemagne et Pasteur en France, ou le CDC (Center for Disease Control & Prevention) aux USA : le taux de contamination issu des tests – « on peut suspecter qu’il y a 40 % de personnes contaminées dans la population en plus des tests » – et la surmortalité dans un pays, « sachant que la mortalité attribuée au Covid est de 0,5 % à 1 % des personnes contaminées, donc on a pris 0,75 % dans le modèle ».
C’est d’ailleurs au travers de ce taux d’incidence que la question des variants est indirectement prise en compte dans le modèle. « Quand un variant est plus contagieux, cela va se voir dans le taux d’incidence du pays touché », expose-t-elle.
Prédire l’évolution du taux d’incidence d’un pays en fonction des mesures prises par les autorités
Les mesures mises en place par les États sont, elles aussi, paramétrables : type de test mis en place (PCR, antigénique), nombre de jours avant le voyage (3 jours, la veille), quarantaine ou non, durée de la quarantaine, etc.
Ainsi le but de la démarche est donc bien que « chaque pays, qui définirait un niveau de risque acceptable, puisse tester différentes mesures dans le modèle et voir, selon les pays de destination, si le résultat est pour lui acceptable ou non ».
D’ailleurs, les résultats donnés par le modèle ont été validés quand confrontés à des cas réels. « Ça a été très clair dans le cas de l’Islande, qui est particulièrement transparente sur ses données épidémiologiques. On a pu prédire les résultats [l’évolution du taux d’incidence dans le pays] après chacune des mesures mises en place ! », précise Mme Masset.
Renforcer les mesures de protection contre la Covid19
Le modèle permet de tester le poids des différentes mesures, dans un contexte donné avec les situations épidémiologiques des pays de départ et d’arrivée. D’ailleurs, pour tirer un maximum de bénéfices de ce travail impressionnant, le modèle, aujourd’hui développé sur un serveur AIRBUS dédié, sera bientôt mise en place sur une plateforme ouverte à tous les ministères de la santé de tous les pays.
Ainsi, à chaque étape du voyage, il s’agit de mettre en place une série de mesures pour atteindre 5 objectifs : réduire la probabilité que les mains des passagers soient contaminées ; éviter que les passagers se touchent le visage, notamment les yeux, le nez et la bouche ; détecter pendant le voyage les passagers contaminés ; isoler les passagers par des mesures comme la distanciation sociale ou le port du masque, notamment pour éviter de la contamination entre passagers par les aérosols ou les surfaces ; faire en sorte que les passagers soumis à des aérosols puisse protéger leur visage.
Au sol, les mesures classiques (masque, gel, distanciation) sont ainsi confirmées dans leur bien-fondé, avec en plus, la recommandation de pouvoir tester les passagers pendant le voyage.
En vol, le circuit spécifique de l’air conditionné, du haut vers le bas, filtré et renouvelé toutes les 2 à 3 minutes, est extrêmement efficace pour lutter contre la contamination croisée. « Son efficacité est équivalente à la distanciation sociale, ça a été prouvé par des études chez AIRBUS » avance Mme Masset.
Mais AIRBUS aimerait pouvoir aller plus loin et « tester [au niveau microbiologique] le flux d’air qui est filtré ou l’air dans la cabine », explique Nicolas Bardou, responsable du projet Health Onboard et conseiller en communication de crise safety chez AIRBUS. Un des obstacles majeurs de travail sur le sujet est l’absence de réglementation ou de norme pour définir ce que serait une qualité d’air satisfaisante. « Même si on arrivait à évaluer le nombre de molécules de coronavirus dans l’air, personne ne sait nous dire aujourd’hui ce qu’est un taux satisfaisant ! », déplore-t-il. Ce même écueil est vécu chez les autres industriels de la mobilité.
Le facteur temps est important dans le phénomène de contamination. « L’objectif est de réduire les temps d’attente dans les queues par exemple », évoque Élisabeth Masset, en prenant l’exemple d’une expérimentation qui consiste à faire embarquer les passagers 6 rangées par 6 rangées ou, pour le débarquement, de mettre en place une signalétique lumineuse dans la cabine pour faire savoir aux passagers quand c’est leur tour de descendre. « AIRBUS travaille ces aspects avec les compagnies aériennes, qui ont par ailleurs des impératifs de vitesse dans la gestion de ces flux ».
Nicolas Bardou ajoute que l’avionneur travaille aussi plus globalement sur des solutions pour faire face aux potentielles futures pandémies, pour la détection des passagers contaminés pendant le voyage ou encore le développement du sans contact. « Pour le Covid la limitation des contacts avec des surfaces n’est peut-être pas le plus important, mais ça pourra l’être pour d’autres maladies ».
D’ailleurs le modèle pourrait être utilisé. « Nous avons travaillé sur la Covid19 mais ce modèle pourrait tout à fait être adapté à d’autres maladies », conclut Mme Masset.
Vincent Feuillie d’Air France prend l’exemple de la lutte contre le virus Ebola pour en tirer les enseignements : « comme elle a des taux de comorbidité et de mortalité très élevés, tout est fait pour isoler très rapidement toutes les personnes qui ont été en contact avec le malade. C’est un bon exemple de lutte contre une maladie contagieuse ».
Une recherche en continu, adaptable aux autres modes de transport
Pour la suite, AIRBUS souhaite continuer de valider les hypothèses avec des épidémiologistes. En particulier, « l’impact de la vaccination sur le nombre de personnes asymptomatiques, contagieuses ou non, est une question qui reste à creuser », s’interroge Elisabeth Masset, ce 20 septembre 2021.
A la question de l’adaptabilité du modèle aux autres modes de transport, la réponse d’Elisabeth Masset est très claire : « que vous soyez en voiture, en train, ou en avion, c’est la même logique finalement, en fonction des taux d’incidence au départ et à l’arrivée, des moyens de protection mis en place pendant le voyage, des étapes spécifiques au voyage… on peut adapter le modèle ». Du travail en perspective !
Pour aller plus loin, la conférence in extenso d’Elisabeth Masset auprès de IATA en juin 2021 à propos du modèle :
Photo de couverture : OrnaW – Pixabay