Victor Breban de NOIL : rétrofit de scooters – février 2022
Victor Breban de NOIL : rétrofit de scooters – février 2022
La jeune pousse française NOIL (No Oil – pas de pétrole), fondée en mai 2019, crée des kits pour transformer les scooters thermiques en scooters électriques. Sa clientèle cible ? « Les grands marchés » B2C des livreurs et des particuliers. Pour en savoir plus sur cette activité innovante de rétrofit, en février 2022 Futura-Mobility a rencontré Victor Breban, un des trois co-fondateurs, au siège de l’entreprise à Montreuil en Île-de-France.
Futura-Mobility : Parlez-nous des origines de NOIL et de son évolution ?
Victor Breban : On était trois amis à co-fonder NOIL en 2019. Clément Fleau, président de NOIL et acheteur d’industriel de formation ; il a mis en place et structuré toute l’entreprise au niveau financier et comptable. Raphaël Setbon, directeur technique de NOIL et ingénieur conception mécanique ; lui a travaillé dans de grosses entreprises du secteur automobile. Et moi-même, chief legal officer et avocat de formation ; je m’occupe des relations des partenaires.
Aujourd’hui, l’entreprise comprend une douzaine de personnes à temps plein (salariés, alternants et stagiaires), dont les ingénieurs conception, mécanique, électrique, et conception batteries qui travaillent dans le bureau d’études, des personnes dans l’atelier, des personnes en front office – une pour le graphisme et la communication, une en marketing – et une personne en administration des ventes.
FM : Pourquoi se lancer dans le rétrofit des deux-roues en particulier ?
VB : On s’est lancé dans ce domaine du rétrofit pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’on était tous les trois passionnés et propriétaires de deux-roues à essence qui ne marchaient plus très bien… notamment le mien ! Donc est venue l’idée de le convertir à l’électrique.
En parallèle, on a constaté qu’il y a une problématique en France : la fin annoncée du scooter thermique avec les nouvelles lois climat, et le nombre croissant des ZFE [Zone à Faibles Émissions] dans les villes. La conversion de scooters thermiques en électrique permet de lutter contre la pollution sonore et atmosphérique des scooters essence.
De plus, les usagers de deux et trois-roues doivent faire face à une maintenance assez chère et, en milieu urbain, à des frais de stationnement (pour les deux-roues à essence) de plus en plus coûteux. C’est pour toutes ces raisons qu’est née NOIL et, de fil en l’aiguille, l’entreprise a grandi.
FM : Pourriez-vous nous expliquer votre modèle économique autour des kits d’électrification et des installateurs partenaires ?
VB : Dès le départ, notre idée a été de distribuer nos kits à travers des installateurs partenaires – qui effectuent la conversion et qui vont pouvoir tisser les liens et faire connaître cette solution auprès de leurs clients. Ces kits sont distribués en France à travers les centres d’équipement et d’entretien Feu Vert et un réseau d’installateurs partenaires, dont 25 garages indépendants.
Les kits permettent de convertir des véhicules partout. Si le deux-roues se retrouve à l’autre bout de la France, pour NOIL, envoyer des gens sur place pour le convertir n’est pas la meilleure solution – c’est plus efficace en temps, argent et main d’œuvre d’y expédier le kit. Par ailleurs, avec cette approche on fait monter en compétences nos installateurs partenaires – on les forme à travailler sur l’électrique et ça les permet de proposer une nouvelle corde à leur arc. C’est pour cette raison qu’ils sont très intéressés par cette démarche de rétrofit. Ce modèle économique soutient la reconversion des savoir-faire des garagistes vers la mobilité électrique – ce qui explique la très bonne réception de notre procédé auprès d’eux.
FM : Quelles sont les préoccupations des clients B2C qui souhaitent convertir leurs deux-roues ?
VB : Les clients nous posent des questions sur le prix ou sur le déroulement du processus de rétrofit, ou bien encore à propos de la carte grise – car il faut y ajouter la mention qu’il s’agit d’un véhicule converti à l’électrique. Mais globalement ils comprennent bien la démarche.
Leurs motivations pour basculer du thermique à l’électrique ? Pouvoir utiliser plus facilement le véhicule, c’est-à-dire avoir moins de problèmes mécaniques et donc moins de maintenance à faire. Dans un véhicule électrique, il y a beaucoup moins de pièces en mouvements, peu de liquide (pas de liquide de refroidissement ou d’huile moteur par exemple), donc une usure globale du véhicule réduite au minimum à part celle des pièces d’usures (pneus, freins, etc…).
Aussi, ils ont envie d’avoir un impact moins néfaste sur l’environnement, ils sont attirés par cette nouvelle technologie, et puis en France, le calendrier des vignettes Crit’Air joue un rôle dans ce choix de motorisation. A Paris par exemple, à l’intérieur de l’autoroute A86 certaines catégories de deux-roues à essence sont déjà interdites à la circulation.
FM : Combien coûte la conversion des deux-roues thermiques à l’électrique avec NOIL ?
VB : Le prix du rétrofit dépend du gabarit du scooter. Donc pour un Solex, par exemple, la conversion revient à 499 euros. Et il n’y a pas d’équivalent en électrique, sauf si on achète un vélo électrique ! Sur un Peugeot 103, la conversion s’élève à 899 euros. Sur un scooter 50cc, il faut compter aux alentours de 1 000 euros. Chez NOIL, on veut offrir la possibilité de rouler en électrique au plus grand nombre puisque la conversion à l’électrique revient moins chère que l’achat d’un scooter électrique neuf !
Par ailleurs, il existe des aides au rétrofit – notamment une de l’Etat de 1 100 € (Prime à la conversion) et d’autres plus locales, comme celle de la région Ile-de-France, allant jusqu’à 500 €.
FM : Quel rôle joue l’homologation dans votre activité du rétrofit ?
VB : L’homologation est le passage obligé pour pouvoir mettre un véhicule thermique converti en électrique sur la voie publique (« on-road »).
Jusqu’à présent, chez NOIL, on a obtenu deux homologations on-road. La première, obtenue depuis l’apparition de l’arrêté du 13 mars 2020 [relatif aux conditions de transformation de véhicules thermiques à l’électrique], concerne notre kit d’électrification pour convertir les Solex 3300, 3800 et 5000 ; la deuxième, obtenue en juin de la même année, concerne le kit pour convertir à l’électrique tous types de Peugeot 103. Obtenir les homologations pour les deux et trois-roues coûte cher pour une entreprise, même si moins cher que pour les quatre-roues. Dès qu’on a les homologations, on peut avancer, tout en garantissant une conversion conforme aux clients et en offrant un SAV de qualité pour satisfaire les besoins des clients.
Pour tout ce qui touche au cadre règlementaire du rétrofit, ça aide chez NOIL que je m’y connaisse en droit. Cependant, au sein de l’entreprise on est tous au courant de ce sujet, on milite pour obtenir les homologations, et moi j’interviens quand il y a des questions juridiques – si on ne comprend pas tel texte, comment ça s’articule – sinon ce sont plutôt nos ingénieurs qui décortiquent les conditions pour obtenir ces homologations.
NOIL a lancé ces activités en mai 2019. A cette date-là en France, il n’était pas encore autorisé de convertir un véhicule deux et trois-roues à l’électrique pour une utilisation sur la voie publique. Donc on a participé avec d’autres acteurs de l’association AIRe à l’obtention de l’arrêté ministériel.
FM : La mobilité électrique reposent sur des batteries. On se pose des questions aujourd’hui sur l’empreinte écologique des batteries – en cours et à venir (l’utilisation de métaux rares et le recyclage, par exemple). Quel est le positionnement de NOIL ?
VB : Nous avons des partenariats pour avoir des batteries sur mesure. Les fournisseurs des batteries sont sélectionnés par NOIL et répondent à nos exigences en termes de capacités et de caractéristiques afin d’avoir une batterie correspondant totalement à nos besoins pour s’adapter au mieux à nos moteurs.
Toutes les dernières études, plus le film À Contresens, diffusé sur Internet depuis novembre 2020, prouvent que même avec la production des batteries lithium, le rétrofit reste moins néfaste pour l’environnement que la production de véhicules thermiques. Chez NOIL, on n’utilise pas de batteries de deuxième vie car il n’est pas encore autorisé de les utiliser pour du « on-road ». Pour du « off-road », si. L’utilisation des batteries de deuxième vie est en projet chez nous, bien sûr.
FM : Est-ce que la pandémie de la Covid19 a impacté votre activité ?
VB : Notre activité n’était pas pleinement lancée quand le Covid est arrivé, donc on a plutôt ressenti ses conséquences dans la chaine d’approvisionnement de nos composants électroniques, qui viennent de partout – de l’Italie, du Canada, de l’Asie du Sud-Est. Même aujourd’hui, on a des livraisons retardées à cause de containeurs bloqués dans les ports. Beaucoup d’usines ont été à l’arrêt pendant un moment durant la pandémie. Depuis, elles ont du mal à rattraper leur retard et à satisfaire la demande. Chez NOIL, on est forcément impacté par ces délais, qui ralentissent la production et donc la livraison de nos kits. Heureusement la situation [en février 2022] est en train de se stabiliser.
FM : Quels sont les points forts de NOIL ?
VB : Je dirais le fait d’être une solution d’économie circulaire, c’est-à-dire d’utiliser des véhicules existants et de prolonger leur durée de vie, d’être à l’écoute des clients, et d’être novateur. En plus, il y a la rapidité de conversion – 48h ! – une promesse non-négligeable pour les livreurs et d’autres professionnels qui dépendent de leurs deux-roues pour travailler.
Je teste un Peugeot 103 de 50ans converti en électrique sous mes yeux !
(au salon REMOOVE, juin 2021)
FM : Quel rôle jouera le rétrofit dans la mobilité du futur ?
VB : La conversion des deux-roues fait déjà partie de la « nouvelle mobilité » d’aujourd’hui. On convertit des véhicules des clients donc on est vraiment un acteur de cette transition. La filière du rétrofit est une alternative crédible vers une mobilité plus douce dans notre société afin de continuer de rouler avec nos véhicules (parfois familiaux depuis plusieurs générations) et qui sont de plus en plus exclus de nos villes.
Le cours actuel des carburants est favorable au rétrofit car il permet de convertir le véhicule que l’on possède déjà à une énergie plus propre et moins coûteuse. Mais c’est également favorable au secteur des mobilités douces de manière générale (vélos, scooters et voitures électriques).
FM : Quels sont vos objectifs pour 2022 et au-delà ?
VB : Pour l’année 2022, on vise l’obtention de trois à cinq nouvelles homologations, cette fois-ci pour des véhicules plus importants, notamment les scooters Piaggio 50cc, BMW C1 et Yamaha XMax – le scooter le plus vendu en France aujourd’hui. Aussi pour des mobylettes ou scooter ancien comme la Vespa PX, qui est une Vespa un peu iconique et de collection.
On va aussi continuer à travailler sur des partenariats à la fois traditionnels – comme une présence au Salon Du 2 Roues de Lyon en mars 2022 – et plus « insolites » comme du 8 avril au 15 mai, où l’enseigne Galeries Lafayette à Paris nous a invité, en mode pop-up, pour illustrer la nouvelle mobilité.
Il y a forcément des concurrents dans ce marché, des acteurs qui se lancent en France et à l’étranger, mais qu’on considère moins avancés que nous. Il y a aussi la concurrence indirecte des véhicules électriques neufs. Mais aujourd’hui, vu qu’il y a plus de 4 millions de deux-roues en France, dont environ 1,5 million de scooters, il y a de quoi faire ! Il y aura toujours des véhicules à électrifier, même si des modèles neufs électriques arrivent sur le marché. Par exemple, on a beaucoup de demande sur des véhicules sans équivalent en électrique. Même pour les livreurs qui roulent sur de petits véhicules, il y en a plein qui ne sont pas satisfaits avec l’offre qui existe, parce qu’il manque de réseau SAV [service après-vente], par exemple.
Les véhicules deux-roues produits à l’étrangers, notamment en Asie par exemple, sont dimensionnés et prévus en général pour le marché asiatique. En conséquence, ils ne sont pas forcément adaptés au marché français ou européen, notamment au point de vue des routes : les pavés dans nos villes, par exemple, usent beaucoup plus ces véhicules. Les attentes des clients européens et asiatiques ne sont pas forcément les mêmes non plus – comme avoir un réseau SAV, qui est très important pour les utilisateurs des deux-roues en France et en Europe.
Enfin, on cherche à se développer en Europe – déjà on a reçu pleins de demandes d’autres pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas… Pour l’instant on n’a pas encore lancé d’activité industrielle dans ces pays, mais ça ne va pas tarder !
Photos © NOIL