Silicon Valley, ou la réussite des business models centrés sur le client
Silicon Valley, ou la réussite des business models centrés sur le client
Rédigé par Joëlle Touré, déléguée générale de Futura-Mobility
Le lundi 8 octobre 2018, InnoCherche, think-tank sur l’innovation destiné aux dirigeants, raconte son dernier voyage en Silicon Valley.
« Nous assistons à la fin d’une époque » affirme Bertrand Petit, président d’InnoCherche. L’esprit de la Silicon Valley, décrite comme une collaboration tous azimuts entre entreprises, startups et recherche, est en train de disparaître au profit d’une attitude plus individualiste et même politiquement correct vis-à-vis des réglementations et même de l’éthique. C’est en effet la première fois qu’on assiste à des attitudes du type : « c’est pas moi le méchant, c’est Facebook ! ».
C’est finalement une autre manière de voir ce que constate aussi Eric Sadin, intervenu récemment auprès de Futura-Mobility, quand il parle de « la fin de la sauvagerie entrepreneuriale (l’innovation en dehors de toute réglementation) mais surtout la capacité de la société à intégrer ces acteurs et initiatives ».
L’écosystème de la Silicon Valley est décrit par Carlos Diaz, un consultant et investisseur basé en Silicon valley, comme « l’Everest du marketing », dont l’ascension est ouverte au monde entier. Le jeu des investisseurs est la « course à la licorne ». En investissant sur 40 startups, ils espèrent que deux d’entre elles vont multiplier par 45 leur valeur. Ainsi, même si les autres « deals » sont perdants, ils y gagnent. Par comparaison, ce sont 35 milliards qui sont investis par an en Silicon Valley contre 3 en Israël ou en France… En Chine, il y a aujourd’hui plus de licornes qu’en Silicon Valley et à peu près le même nombre qu’aux Etats-Unis. Ce qui fait dire à Bertrand Petit : « go west my son », dans une analogie à la ruée vers l’or… La Chine étant à l’ouest, vue des Etats-Unis.
Le plus intéressant est sans doute de comprendre le succès incontestable et planétaire de ces mastodontes américains, Amazon en tête. Selon M. Petit, cette réussite ne tiendrait pas au fait qu’ils soient nés « digitaux » mais qu’ils soient nés « customer centrics »,contrairement aux industriels âgés de plusieurs décennies ! « Les grandes entreprises ont du opérer toutes les révolutions, du digital à l’open innovation en passant par le customer focus… » poursuit-il, « mais l’important, c’est d’aller plus loin et de devenir réellement customer centric ».
Pour illustrer son propos il prend l’exemple de Zappos, qui octroie à chaque employé de son service client une somme de 1500$ pour satisfaire le client. Ainsi, un collaborateur a fait renvoyer des chaussures – ainsi qu’un gros bouquet de fleurs ! – à une cliente sur le lieu du mariage auquel elle devait assister. Et ceci, en livraison express… parce que la première livraison n’était pas arrivée à temps. Coût de l’opération : plus de 600$.
Cette stratégie change radicalement le pilotage de l’entreprise, y compris en terme de comptabilité. Zuora, une jeune entreprise californienne, fait l’apologie de cette nouvelle « subscription economy » (le paiement pour l’usage) qui fait des envieux par opposition à l’économie traditionnelle de la vente des produits. En gros, le modèle de Free (la liberté de quitter le service à tout moment, on ne paie que ce qu’on consomme) versus celui de Canal + (un abonnement fixe avec des options payantes, quelle que soit la consommation réelle).
En synthèse, les indicateurs-clés deviennent le « churn » (taux de départ) des clients, les « cross-sales » et « up-sales », le chiffre d’affaires par client, etc. Et l’Ebitda est réinvesti pour recruter de nouveaux clients. Dans cette logique-là, la R&D et l’innovation remontent dans la chaîne de valeurs pour fidéliser les clients et en attirer de nouveaux.
Dans le domaine de la mobilité, le passage de Ford de la voiture noire pour tous (parce qu’elle sèche plus vite !) à une voiture plus adaptée à chacun est « customer focus », pas « customer centric ». Il est facile de trouver la clé du « customer centric » selon Bertrand Petit. Il suffit de se demander : « à quoi sert le produit ? Le besoin du client n’est pas d’avoir une voiture (= customer focus) mais d’avoir une solution de mobilité (= customer centric) pour aller au travail le lendemain ou pour emmener ses enfants à leurs activités ».
Ces réflexions font très largement écho aux travaux de Futura-Mobility du premier semestre 2018, sur les ruptures stratégiques pour les industriels de la mobilité et notamment à l’émergence du « tout as-a-service », et où l’on assiste à un glissement d’identité de certains industriels de ‘constructeurs’ à ‘opérateurs de mobilité’.
Le risque mis en lumière par ces différentes réflexions est qu’il ne faudrait pas que le service remplace le produit dans l’attention que l’entreprise lui porte ! La focalisation sur un service change radicalement le business model de l’entreprise. Une fois ce changement réalisé, le travers pourrait être de tomber dans la cristallisation de l’entreprise autour d’un service bien défini, allant même jusqu’à oublier les véritables besoins des clients… comme ce pouvait être le cas pour une organisation centrée sur le produit !
Le véritable virage à opérer est bien celui mis en avant par Jean-Pierre Farandou par exemple, lors de son intervention chez Futura-Mobility : la focalisation sur le client, permise par la connaissance fine et même demain, l’anticipation de ses besoins.
Photo de couverture : Flickr/cc – Patrick Nouhailler