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Ruptures stratégiques chez les industriels de la mobilité

Par : Lesley Brown 11 mars 2018 no comments

Ruptures stratégiques chez les industriels de la mobilité

Le 16 février, 2018 : le thème de cette séance de Futura-Mobility, qui s’est tenu au bureau du Parlement Européen à Paris, était « les ruptures stratégiques à venir chez les industriels de la mobilité ». 

Ont participé SNCF Réseau, Safran, Airbus, Keolis, Bouygues, Alstom, SANEF, Vedecom Tech, l’IFSTTAR, l’Institut For Climate Economics (I4CE), les open labs du CEA / Ideaslab, et la start-up Carwatt.

Le numérique et l’Etat – intervention de Henri VERDIER

« L’Etat a pu à un certain moment être très leader dans les nouvelles technologies. Les premiers data centres en France c’est l’INSEE [l’Institut national de la statistique et des études économiques] qui, dans les années 70s, avait des réflexions préfigurant quasiment l’approche big data ».

« On est en train d’entrer dans un monde où il est impossible d’innover sans demander la permission à un GAFA ; où il est impossible de créer de la valeur sans leur en donner encore plus »

Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et administrateur général des données (AGD), services du premier ministre, a donné les grandes lignes de l’État plateforme, la stratégie numérique nationale qui vise à faciliter et simplifier les échanges entre l’administration et les usagers (le public) au travers d’interfaces (API) sécurisées et sous le contrôle de l’usager.

« Si je dois résumer en un Tweet ce que je fais, je dirais qu’on fabrique l’Etat-plateforme au niveau architecture informatique » a-t-il expliqué. « Derrière il y a beaucoup d’autres idées : tout ce que nous faisons doit pouvoir être exposé à l’extérieur et nourrir l’économie française de ressources étatiques ».

M. Verdier a fait remarquer qu’il n’y a pas une seule application sur nos smartphones qui n’utilise aucun GAFA. La dominance de ces applications comme Facebook Connect, Paypal ou Google Maps démontrent qu’on est en train d’entrer dans un monde où il est impossible d’innover sans demander la permission à un GAFA, où il est impossible de créer de la valeur sans leur en donner encore plus.

« Du point de vue de l’Etat c’est quand même un problème. Donc chaque fois qu’on pourra faire vivre un commun numérique qui au moins ne soit pas aliénable au profit d’un seul, on aura fait du bien. Je ne dis pas que ça suffira pour régler le problème mais concrètement je vous suggère d’utiliser OpenStreetMap [des data par et pour les citoyens] le plus souvent possible plutôt que Google Maps ! »

L’existence d’autres services est en effet un moyen de contrer cette dominance des GAFA. Avec cette idée en tête, « en forçant une sorte de coalition entre La Poste, l’IGN [l’Institut national de l’information géographique et forestière] et OpenStreetMaps », M. Verdier et son équipe ont créé une base d’adresses avec la géolocalisation exacte de toutes les adresses postales en France.

Son travail consiste également à pousser au sein de l’Etat pour la mise en place de petites équipes hyper-agiles qui dénouent les situations selon son slogan : « Quel que soit le projet, on peut faire un « minimum viable-product » en six mois pour moins de 200 000 euros et je l’ai fait 50 fois déjà, avec un programme d’intrapreneurs et de développeurs agiles, » dit-il.

« Pour l’Etat c’est extrêmement important car on avait quand même la spécialité – même si le secteur privé sait très bien le faire aussi – d’accumuler les grands projets de six ans qui coûtent aux environs de 300 millions d’euros », jusqu’à ce qu’on découvre que le besoin n’est pas avéré.

« Il est difficile de penser la transformation numérique dans sa radicalité : c’est quoi l’école après l’intelligence artificielle ? C’est quoi la sécurité quand tout le monde pilotera 20 drones en simultané ? »

« Je mène aussi un combat culturel (…) il y a plus d’intelligence dehors que dedans. Il n’y a plus de monopole lié au capital, ni à la puissance de calcul, ni au nombre d’ingénieurs ».

Découvrez le blog de Henri Verdier

« On a tous été programmé sur le fait que la donnée est rare, chère à produire et à stocker. Globalement, on va tout droit vers la quasi-gratuité de la donnée. C’est un changement radical. Cela a des conséquences assez simples : jouer l’open innovation de toutes façons car il est impossible de savoir qui est en train de préparer la prochaine disruption. Les plateformes finissent toujours par gagner à la fin : si vous êtes le patron d’un puissant écosystème d’innovation, vous êtes plus fort que si vous avez fait un produit dépendant d’un système d’innovation ».

« Quant à la mobilité, si on n’est pas capable d’organiser le transport sur nos données, il sera organisé sur les données des autres. Il faut organiser nos destins sur nos ressources. Mais ne pas chercher trop vite à renfermer et à monétiser ».

Il prend l’exemple de Google ou on n’a pas le droit de chercher le business model si on n’a pas au moins 100 000 utilisateurs. Le seul focus : créer de la valeur pour l’usager.

 

Vision sur la mobilité depuis le parlement européen – Karima DELLI

Hébergés pour cette session au bureau parisien du parlement européen, Futura-Mobility a pu écouter Karima Delli, député européenne, exposer sa position sur de nombreux enjeux qui touchent aux ruptures stratégiques à venir pour les industriels de la mobilité.

« Entre nous en Europe, c’est déjà un défi de se mettre d’accord sur un objectif : sortie des véhicules thermiques en France en 2040, en Norvège en 2030, en Finlande en 2025 »

 

Mme Delli a réaffirmé les enjeux qui sont pour elle les plus importants dans le domaine de la mobilité en Europe, pour demain : une mobilité bas carbone, une mobilité inclusive, une mobilité sûre, une mobilité connectée.

  • Mobilité bas carbone

« Le grand oublié de la COP21 a été le secteur des transports et je le regrette. J’ai été au Bourget et j’ai vu les efforts qui ont été fait par l’aviation », affirme-t-elle. Un nouvel objectif d’incorporation d’énergies renouvelables a été fixé il y a peu au niveau européen, « pour les transports c’est 12% alors qu’on en est à 1% aujourd’hui ».  Mme Delli rappelle également qu’avec 80% de la population qui sera urbaine en 2050, « l’enjeu du transport des marchandises sera majeur », y compris dans la gestion de l’espace aérien (drones).

En réponse à ces enjeux, le Parlement européen est la législation future sur les véhicules et les émissions de CO2. « Entre nous en Europe, c’est déjà un défi de se mettre d’accord sur un objectif : sortie des véhicules thermiques en France en 2040, en Norvège en 2030, en Finlande en 2025 ».

Pour Mme Delli, l’enjeu pour l’industrie européenne est d’éviter le syndrome des panneaux photovoltaïques et de rester dans la course sur les véhicules électriques, y compris dans une optique globale de recyclage, avec en ligne de mire les tensions sur les métaux.

EU Commission calls for ‘Airbus of batteries’

A propos de « l’Airbus des batteries » – l’idée de la commission européenne selon laquelle les constructeurs européens devraient s’allier pour produire leurs propres batteries, afin d’éviter de sortir de la course face à la Chine et aux Etats-Unis – « Pour ma part je ne crois pas à la compétitivité d’une telle initiative », a-t-elle affirmé.

  • Mobilité connectée  

La voiture autonome et donc connectée pose des questions au législateur, « sur l’expérimentation, sur la cybersécurité, sur la gestion des données, sur la question de la responsabilité, et sur la question énergétique ».

En effet, un très grand nombre de données est nécessaire au fonctionnement du véhicule autonome pour prendre en compte une situation – Karima Delli prend ici l’exemple de la vision d’une flaque d’eau qui nécessiterait « 320 millions de données ». Or ces données « nécessitent des intercepteurs, qui consomment énormément d’énergie ».

Pour traiter toutes ces questions, « on lancera les assises européennes de la reconversion de l’industrie automobile à partir de juin 2018 », parce qu’à travers l’industrie automobile « c’est la ville qu’il faut réinventer ».

Groupes d’échange et partage en plenière

Travaillant en trois groupes d’échange, les participants se sont échangés entre eux sur le thème de cette séance – « Les ruptures stratégiques à venir chez les industriels de la mobilité » – pour un partage en plénière ensuite : comment les entreprises doivent s’adapter à une société où tout est service, à la numérisation, aux enjeux de développement durable, à la concurrence chinoise et l’émergence de nouveaux marchés en Asie / Afrique par exemple, etc. Comment projettent-ils leur entreprise en 2050 ? Quels sont les défis à relever ?

Voilà les principaux thèmes de rupture retenus par les groupes :

  • Mobility as a Service (MaaS)

C’est à la fois un sujet d’usage et de gouvernance. On peut en effet supposer que le citoyen passe de plus en plus à une mobilité choisie, notamment avec la tendance de plus de liberté dans le travail. La mobilité sera-t-elle un transport physique ou bien une mobilité via la téléphonie et la réalité virtuelle ou augmentée ?

On assistera, encore plus qu’aujourd’hui, à une coexistence des transports de masse avec les « nouvelles » mobilités (VTC, vélo…) dans une logique d’empreinte réduite des infrastructures de la mobilité en ville. Il y a un lien entre l’habitat dans les villes, l’évolution des structures familiales et la mobilité.

Photos ci-dessus et dessous : groupe de travail Keolis, Alstom, Bouygues, et l’Institut For Climate Economics (I4CE)

 

« Quid de la gouvernance entre les citoyens, la ville et les plateformes ? » a questionné Arnaud Julien, directeur Innovation et Digital de Keolis. « Est-ce que le citoyen va reprendre la main notamment avec l’émergence des technologies comme la blockchain, où est-ce la ville ? »

La MaaS est-elle le royaume des plateformes ? La question des modèles économiques, en particulier des industriels et des opérateurs de transport, se pose crûment par rapport à ces sujets de gouvernance. En 2050, les enjeux de gouvernance de la data seront soit totalement réglés, soit encore au cœur des discussions !

Journeys of the Future – Introducing Mobility as a Service

Aujourd’hui la MaaS est très focalisée sur le périurbain dans une logique « transport public ». Le défi pour la MaaS de demain c’est que cela concerne tous les modes et tous les territoires. C’est au véhicule demain de s’adapter à la mobilité et non à la mobilité de s’adapter aux véhicules disponibles.

  • Data et services : le basculement dans la chaîne de valeur

« Plus de services, moins de ventes directes : le modèle de propriété change vers un modèle ‘pay-per-use’ » a souligné Fabien Berger, directeur général de Carwatt.

Ce sont les plateformes (Google, Uber ?) qui vont pouvoir apporter une réponse globale au besoin du client – en intégrant les informations sur toute la chaine d’amont en aval. Le risque est que les maillons de cette chaine deviennent des commodités et que la valeur soit préemptée par les plateformes.

En 2050, seuls vont subsister les acteurs qui sont « data-driven » ; les autres seront morts. Avec la data, c’est toute la chaine de valeur qui est bousculée : le modèle économique des systèmes de mobilité et donc la place des différents acteurs.

Fabien Berger, directeur général, Carwatt, présente les grandes familles de sujets identifiées par le groupe de travail Safran, Airbus, Ifsttar et Carwatt

 

L’évolution des compétences est un défi majeur associé à l’enjeu des data. Les industriels doivent transformer leurs socles d’expertise : passer de la mécanique à la data science… sans oublier la mécanique parce la mobilité reste quand même aussi des objets mécaniques. Mais la formation met beaucoup de temps à se mettre en place : comment anticiper ?

Ce bousculement dans la chaine de valeur est aussi une opportunité pour les acteurs industriels car cela va permettre d’optimiser et de différencier les produits selon les usages.

Par exemple est-ce que l’Airbus A320 est vraiment adapté à une navette Paris-Toulouse ?

Cette optimisation va nécessiter la génération de données comparatives des différentes solutions de mobilité selon les besoins des clients et les usages. Les nouveaux acteurs, comme l’Hyperloop, doivent être inclus dans ces comparaisons.

  • Les tensions sur les ressources

Il est difficile de se projeter aujourd’hui sur le sujet des énergies de demain, c’est un saut dans l’inconnu. Néanmoins, il faut prendre des options dès aujourd’hui. On ne pourra pas tout miser sur la batterie.

Il existera demain un enjeu fort sur la mine : mine souterraine, mine urbaine (recyclage), mine spatiale (lune, mars ?). Que ça soit pour les terres rares dans les véhicules électriques, les systèmes de stockage ou les énergies renouvelables, ce point de tension sur les ressources est très important.  Cela va bousculer certains équilibres géopolitiques et affecter les stratégies des entreprises pour des systèmes « durables, inclusifs et pour le bien-être ».

  • L’Afrique mais encore et toujours la Chine

Comment va évoluer le modèle dominant occidental par rapport à la démographie africaine et à la domination économique chinoise ? Est-il applicable ou non dans ces nouveaux marchés ? Est-ce une opportunité ou un risque ?

La route de la soie, projet chinois, propose le terrestre comme réponse à la longue distance, alors que l’explosion démographique en Afrique est certainement une opportunité pour les nouveaux modes de transport aérien.

Retour de Shenzhen

En 2050, il est prévisible qu’il y ait une prédominance de la Chine sur les technologies et sur les pratiques. Dès aujourd’hui, on constate la capacité des acteurs chinois à déployer des solutions à grande échelle – cf. les vélos en free-floating… même si les résultats sont parfois décevants pour eux. Pour les industriels français et européens, il y a une autre intelligence économique à lancer.

  • Le véhicule autonome (terrestre, aérien ou maritime) et la relation véhicules – infrastructures

Plusieurs questions sont posées au travers du véhicule autonome :

– du portage de l’actif : par les plateformes ? Par les individus (avec la blockchain qui pourrait exploser) ?

– la diffusion de l’usage du véhicule autonome : en Afrique, va-t-on assister à un phénomène de « leapfrogging » vers du tout-véhicule-autonome, où y aura-t-il une coexistence des différents types de véhicules ? Sur nos territoires, la conviction porte sur une majorité de véhicules autonomes ;

La question de la cybersécurité également se pose très fortement.

« Historiquement pour l’avion et le train ça fait longtemps que les véhicules communiquent avec les infrastructures » dit Jean-Jacques Thomas, directeur d’innovation chez SNCF Réseau et président de Futura-Mobility. « Pour l’automobile, le défi est majeur de faire cette communication (en termes de data) et cette connexion (énergie) entres les véhicules et leur infrastructure ».

En pleine réflexion : SNCF Réseau, SANEF, Vedecom Tech, l’Institut for Climate Economics (I4CE) et les open labs du CEA / Ideaslab

 

Cliquez ici pour l’intervention d’Edward Arkwright, directeur général exécutif du Groupe ADP et président de TAV Airports

Cliquez ici pour l’intervention de Serge Conesa, fondateur et CEO d’Immersion4