Réinventer le tourisme
Réinventer le tourisme
Pour cette troisième édition des Entretiens Internationaux de Tourisme du Tourisme du Futur (EITF) les 5 et 6 septembre 2018, les participants du monde entier se sont réunis pour explorer les tendances à venir pour la période 2030-2050.
Avec l’évolution des attentes, la demande croissante dans le secteur, l’épuisement des ressources et des pressions constantes sur l’environnement, les tendances changent dans le secteur touristique. Le domaine des transports est également impacté – partie vitale et intégrante de cette industrie du tourisme qui transforme le monde, pas toujours pour le meilleur.
Les chiffres du trafic aérien sont préoccupants : 4,1 milliards de passagers ont pris l’avion dans le monde en 2017 et 12 milliards devraient voler chaque année en 2030 !
« Rien n’empêchera le tourisme de se développer », a déclaré Serge Pilicer, président fondateur de l’EITF. « Mais l’industrie devra se réinventer pour devenir un facteur de cohésion humaine – avec un code d’éthique qui relève les défis auxquels l’humanité est confrontée. Si cet objectif n’est pas atteint, il en résultera une double catastrophe à horizon 2030-2050, à la fois sociologique et écologique. »
« Comme toute industrie, le tourisme a des avantages et des inconvénients, et le tenir à l’écart des discussions critiques sur l’orientation de l’économie ou des débats internationaux sur l’environnement est une vision à court terme ». Source: ‘Overbooked: The Exploding Business of Travel and Tourism’– Elizabeth Becker, 2013
« D’ici 2030, je pense que nous verrons des endroits qui ne peuvent plus soutenir ou accueillir le tourisme, comme Barcelone ou Dubrovnik [qui a limité en 2017 le nombre de visiteurs entrant dans la vieille ville historique] par exemple », a affirmé Yoël Mansfeld, professeur de tourisme, planification et développement à l’Université de Haïfa (Israël). Il est convaincu que les seuls moyens durables qui s’offrent à nous sont des changements radicaux de mentalité, une approche ascendante, l’éducation des enfants et des adultes et la pensée locale.
« Toutes les organisations internationales comme l’UNESCO et l’OMT [Organisation mondiale du tourisme des Nations-Unies] travaillent du haut vers le bas. Elles créent des politiques stériles qu’elles mettent en œuvre dans des localités qu’elles ne comprennent pas. Même si le tourisme est une industrie mondiale, nous devons répondre aux besoins des régions et des communautés – quel type de tourisme est acceptable et comment faire face ? »
M. Mansfeld a également insisté sur la nécessité d’éviter la politique de « développement et encore de développement », c’est-à-dire de limiter les chiffres de fréquentation et de préparer les lieux. « Trop de destinations sont sur-visitées – il faut les préparer » !
‘Over-tourism – the world’s most beautiful places are being loved to death’
« La sur-fréquentation est le symptôme d’une mauvaise gestion du tourisme (flux et infrastructures) », a reconnu Anita Mendiratta, conseillère du secrétaire général de l’OMT. « Les mauvais comportements font du tort et c’est pour ça que les gens [et les destinations] repoussent le tourisme. »
Le tourisme à trop bas prix est une autre préoccupation. « Il doit y avoir du respect pour les destinations en question et leurs résidents. Les modèles économiques, culturels, sociaux, environnementaux et spirituels doivent être adaptés. » Elle a également alerté sur les endroits qui vendent leur âme par manque de consultation au niveau local – « Les touristes veulent-ils vraiment voir un MacDonald’s à Reykjavík ? Je ne crois pas. »
« Le tourisme est une force du bien pour connecter le monde. » Malgré les défis, Mme Mendiratta aime à considérer le tourisme comme « un vecteur de paix, une force de développement pour les populations et la construction d’une compréhension globale qui dépend des synergies entre les approches locales et internationales. »
Selon l’édition 2018 du rapport de l’OMT sur les faits saillants du tourisme, les arrivées de touristes internationaux (voyageurs arrivant dans des pays différents des leurs) ont atteint un total de 1 326 millions en 2017, soit quelque 86 millions de plus qu’en 2016, pour établir un nouveau record. Les données disponibles pour le début de l’année 2018 ont, depuis, confirmé la poursuite de la forte croissance du tourisme international, avec une augmentation de 6% en glissement annuel des arrivées entre janvier et avril.
Enfants gâtés, effondrement, croissance et performance
« Aujourd’hui, nous gérons le tourisme un peu comme des enfants gâtés, sans tenir compte de ses externalités environnementales et sociales, comme la (non)taxation du carburant par exemple. Mais qu’en est-il de sa durabilité ? »
Guillaume Cromer, président de l’association française Acteurs du Tourisme Durable (ATD) n’a pas mâché ses mots. En référence au livre ‘Collapse : How Societies Choose to Fail or Succeed’ de Jared Diamond (2005), il estime qu’il est grand temps d’adopter un nouveau modèle de croissance qui prenne en compte les externalités.
Et pourquoi ne pas repenser aussi la notion de performance ? Au lieu de la mesurer en terme de fréquentation, des indicateurs tels que l’empreinte carbone du tourisme vers la destination en question, ou l’expérience des locaux qui accueillent les touristes, seraient certainement plus significatifs dans une perspective durable.
« Compter les seules arrivées n’est pas la bonne mesure », a ajouté Mme Mendiratta. « Au lieu de cela, nous devrions mesurer le nombre d’emplois créés et le revenu que les touristes génèrent pour les habitants d’une destination. »
Changer de modèle
Présentant la vision d’Uber pour la mobilité du futur, Garance Lefevre, senior policy associate chez Uber France, estime que la tendance à l’abandon de la voiture personnelle (encore dominante aujourd’hui) se poursuivra, que le partage se développera et qu’un modèle de ‘CaaS’ (Car as a Service) – où les gens appellent un véhicule sans conducteur via une application mobile – va probablement voir le jour.
En prévision de l’intermodalité de la mobilité de demain, Uber entend se positionner en tant que prestataire de services multimodaux en complément d’autres modes de transport, comme par exemple l’appel partagé (UberPool) pour les trajets de premier et dernier kilomètre ou même bientôt les taxis-drones. En avril 2018 par exemple, Uber a acquis JUMP, une startup new-yorkaise de vélo électrique en libre-service.
Dans un livre blanc en 2016, Uber a présenté uberAIR, sa vision d’un système de cabines volantes – « pour rendre la circulation en ville plus efficace avec moins de congestion et un air plus propre ». Son programme « Elevate », lancé la même année, travaille à la construction d’un réseau tout électrique d’avions à décollage et atterrissage verticaux (VTOL), équipés d’une propulsion électrique distribuée.
Plus récemment, le géant des VTC a dévoilé le design de ses modèles (mai 2018) et a annoncé la création de son premier centre de recherche et développement en dehors de l’Amérique du Nord, le Centre des Technologies Avancées à Paris. « Au cours des cinq prochaines années, nous allons investir 20 millions € dans le développement de nouvelles technologies et de capacités pour faire avancer notre vision [Elevate]. Cela commence par la mise en place de systèmes d’intelligence artificielle et de gestion de l’espace aérien pour faire passer uberAIR à l’échelle, ce qui sera essentiel pour atteindre notre objectif de vols de démonstration à Dallas, Los Angeles et dans une troisième ville internationale d’ici 2020 ».
- Selon le Global Traffic Scorecard d’INRIX 2017, qui a analysé la congestion dans 1 360 villes de 38 pays différents, les ‘commuters’ de Los Angeles ont passé plus de 100 heures par an dans les embouteillages en 2017 – plus que toute autre ville du monde. Paris se classe neuvième sur la liste des villes les plus encombrées du monde
Des car-ferries sans voitures ?
Qu’adviendra-t-il des car-ferries si les voitures partagées sans chauffeur se développent et que les usagers ne sont plus propriétaires de leur propre véhicule ? Christophe Mathieu, président du directoire de Brittany Ferries, tente d’anticiper cette inconnue. « Notre activité est basée sur le car-ferry – nos bateaux ne s’appellent pas des car-ferries pour rien ! »
À l’heure actuelle, la question est de savoir comment les voitures seront utilisées à l’avenir et quel impact cela aura sur le business model de Brittany Ferries. « Comment doit-on renouveler la flotte [les ferries sont généralement en service pendant une trentaine d’années] étant donné l’investissement énorme que cela représente ? » M. Mathieu essaie de se forger une vision réaliste de la mobilité dans les décennies à venir.
« A l’avenir, les clients des ferries pourraient bien utiliser des voitures autonomes pour atteindre l’aérogare, puis monter et descendre à pied du bateau pour être pris en charge de la même façon de l’autre côté ». Dans ce cas, Brittany Ferries devrait-elle envisager de transporter plus de piétons et moins de véhicules (un autre modèle de navire) ? Devrait-elle investir dans une flotte de véhicules qui amèneraient au départ et prendraient en charge à l’arrivée les piétons dans les gares maritimes ?
Future forward >>>
Mobilité partagée, intermodalité, robots-taxis, électrification et plus encore, charge intelligente, autoroute solaire, gares en tant que pôles énergétiques potentiels… à l’EITF, les membres de Futura-Mobility ont présenté des tendances et scénarios qui changeront notre façon de voyager – dans nos déplacements quotidiens ou en tant que touristes – dans les prochaines années.
L’adoption des énergies renouvelables (solaire, hybride, biocarburants, hydrogène) dans les transports peut aider l’industrie touristique à atteindre ses objectifs de durabilité. De même, l’infrastructure de transport existante doit être multitâche. C’est l’idée de Wattway, la technologie photovoltaïque routière développée par Colas, une filiale de Bouygues, pour capter et produire localement l’énergie solaire.
« Avant la commercialisation en 2019, en plus des tests en France, nous mettons Wattway à l’épreuve au Japon », a déclaré Christophe Lienard, directeur de l’innovation chez Bouygues. 7-Eleven Inc, la chaîne japonaise de magasins de proximité, a déjà équipé deux de ses parkings à Tokyo de panneaux photovoltaïques et prévoit d’en équiper 3 000 au total. Note : Le Japon achète 96% de son énergie à l’étranger.
Penser globalement, agir localement. Dans le monde ferroviaire, les gares pourraient bien servir de « stations électriques » dans les années à venir. « Nous considérons les gares comme des pôles potentiels de récupération et de stockage de l’énergie dissipée par le freinage des trains », explique Jean-Jacques Thomas, directeur de l’innovation chez SNCF Réseau, qui explore déjà cette idée. « En retour, cette énergie serait utilisée pour alimenter non seulement les stations, mais aussi le quartier qui les entoure », a ajouté M. Thomas.
Lors de la présentation, Joëlle Touré, déléguée générale déléguée de Futura-Mobility, a lu des extraits de Capsules intemporelles, un recueil de 20 nouvelles offrant des instantanés de la mobilité de demain, imaginés par les membres fondateurs de Futura-Mobility : SNCF Réseau, Airbus, Air Liquide, Bouygues, Keolis, Safran et Valeo avec l’écrivain Anne-Caroline Paucot. Au cours d’une série d’ateliers, les responsables de l’innovation ont laissé libre cours à leur créativité pour imaginer divers scénarios et cas d’utilisation.
Tourisme spatial – des vols de plaisance ?
À l’heure actuelle, les compagnies qui se battent pour être les premières à offrir des vols commerciaux dans l’espace sont Virgin Galactic (Richard Branson) et Blue Origin (Jeff Bezos). « Il y a une véritable course entre les deux », a déclaré l’ancien pilote d’essai de l’US Navy et astronaute de la NASA Michaël Lopez Alegria, maintenant consultant chez MLA Space.
Un vol suborbital à 100 km de la Terre coûte actuellement environ 250 000 $US (214 000 €). Ce genre de voyage impliquerait un avion porteur et un propulseur de fusée, l’avion étant projeté dans l’espace avant de redescendre sur Terre. Il y a aussi un vol orbital de 10 jours à destination de la Station spatiale internationale (ISS) – « un animal très différent » dont le prix varie entre 50 et 100 millions de $US par passager (43 à 86 millions €).
Compte tenu du coût exorbitant d’un billet d’avion, sans parler du carburant consommé et de la pollution générée, où s’inscrit le tourisme spatial dans la vision durable promue par les intervenants de l’EITF ? Est-ce la folie d’un homme ou d’une femme riche ? Rappelons-nous le commentaire de M. Cromer : « Aujourd’hui, nous gérons le tourisme un peu comme des enfants gâtés… ».
Les partisans de ces expérimentations affirment que de telles initiatives privées contribueront à financer la recherche spatiale. Ils renvoient également à l’histoire de l’aviation ou du téléphone portable – les vols et les combinés d’origine étaient extrêmement chers, mais ils sont aujourd’hui accessibles à tous. Alors, en 2018, ne s’agit-il pas que des premières visions sur le tourisme spatial ?
Soigner la planète
« Nous devons réfléchir plus attentivement à la planète et même commencer à la guérir » a affirmé Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat français au tourisme. « Notre planète a ses limites ! » a en effet rappelé Guillaume Cromer, président d’ATD.
De nombreux orateurs à l’EITF ont souligné la fragilité de la Terre et ont dénoncé la façon dont les activités et les comportements humains sont à l’origine de son déclin.
Au cours de sa présentation, Sofia Stril-Rever, experte en sanskrit, écrivain et co-auteure avec le Dalaï Lama, a rappelé quelques vérités inconfortables. « Toutes les 20 minutes, une espèce végétale ou animale disparaît ; depuis les années 60, 80% des espèces animales du monde ont disparu. »
Les répercussions négatives à grande échelle de notre obsession pour le béton sont à l’origine d’une autre histoire troublante. Aujourd’hui, le volume de béton coulé dans le monde équivaut à une coquille de 3 cm d’épaisseur sur l’ensemble du globe.
Un sable aux propriétés particulières (issu de l’érosion par l’eau) est nécessaire à la fabrication du béton, ce qui exclut l’utilisation des ressources provenant des déserts. En conséquence, les rivières, les plages et les fonds marins ont été pillés pour leur sable, avec des conséquences dévastatrices. Jakarta, la capitale de l’Indonésie, s’est enfoncée de 2,5 mètres sous le niveau de la mer en une décennie. 75% des plages du monde sont en danger.
« Notre génération ne laissera pas derrière elle un monde meilleur, et c’est une première », a souligné Mme Stril-Rever. « Aucune mesure n’a encore été prise. Que pouvons-nous faire si même Nicolas Hulot ne peut rien faire ? »
En 1973, le Club de Rome prévoyait qu’en 2040, il y aurait un effondrement mondial si l’expansion de la population et de l’industrie se poursuivait sur le même rythme. Néanmoins, Mme Stril-Rever estime que ce risque d’effondrement pourrait bien s’avérer une opportunité pour transformer nos paradigmes sociaux actuels.
La voie à suivre ? « D’abord, le changement de l’intérieur, une révolution de conscience : le partage, la générosité, la solidarité. Ensuite, le changement de l’extérieur, la résilience locale. »
- Tourisme du Futur édition 2017 – Taxidrone, Hyperloop, et Clip-Air à Vixouze