Le monde de demain dès aujourd’hui
Le monde de demain dès aujourd’hui
16 septembre 2021 : avec son panel d’intervenants, cette conférence en ligne « moonshot » organisée par la Fondation JEDI a éclairé les liens en science et technologie, politique et société dans notre monde en mutation – dans une perspective européenne.
Crise climatique, raréfaction des ressources, transition énergétique…. Le monde doit de toute urgence modifier en profondeur son mode de fonctionnement. Mais comment la science et la technologie peuvent-elles jouer un rôle dans cette transition ? « La technologie peut aider mais elle ne sera pas LA solution », estime Cédric Villani, médaille Fields 2010 et député français. Il explique comment l’intelligence artificielle (IA), par exemple, bien qu’elle soit extrêmement performante dans des tâches telles que la reconnaissance de modèles, de sous-tâches et l’analyse d’images, et utile pour aider à reformuler un problème en vue de l’optimiser, comme l’efficacité énergétique, « n’est pas bonne pour l’imprévisible ! »
Il est clair que cette transition dépend aussi de nos choix en matière de systèmes sociaux, de modes de vie, de comportements humains, de modèles économiques, etc. « Comme la décision de continuer à utiliser les combustibles fossiles, ou non », souligne M. Villani. « Tout dépend des choix d’investissement de nos sociétés – dans les anciennes façons de faire ou dans de nouvelles directions ? »
« Il y a encore des gens qui croient que la technologie nous sauvera des impacts du changement climatique », ajoute-t-il, faisant référence au dernier livre de Bill Gates dans lequel l’auteur réaffirme sa fois dans les solutions technologiques, dans leur soutien à coup de milliards de dollars, et dans le fait de ne pas avoir à changer notre mode de vie. M. Villani estime que cette attitude est l’une des raisons de ce qu’il décrit comme « une sorte de paralysie globale de la société » au cours des dernières décennies. « Je crois que l’IA sera une révolution et que la technologie est une révolution. Mais elle ne changera pas tout », résume-t-il.
En plus du recours à la technologie, une réflexion éclairée s’impose. Heureusement, la matière grise et le désir de transition existent déjà, estime M. Villani : « Nous avons un monde rempli de personnes intelligentes qui veulent changer les choses ». En outre, la disponibilité des données et des informations aujourd’hui devrait contribuer à soutenir et à encourager les approches alternatives. « Après tant de rapports et de conclusions montrant clairement la difficulté de construire des solutions basées sur la technologie, les gouvernements, je pense, vont se rendre compte que pour certains secteurs, ils devront penser différemment, c’est à dire ne pas se limiter à la technologie. »
La production d’énergie est l’un des nombreux exemples. « D’un côté, l’IA permettra d’optimiser les ressources et de dépenser moins d’argent, de l’autre, toutes les méthodes de production d’énergie ont de sérieux inconvénients, qu’elles soient nucléaires, hydrauliques, solaires ou éoliennes. Il faut donc en utiliser le moins possible », prévient M. Villani, qui soutient ouvertement le mouvement de la décroissance.
Mieux comprendre pour mieux soutenir
Pour Jean-Pierre Bourguignon, ancien président du Conseil européen de la recherche (CER), il est vital d’associer le public aux décisions politiques, de le convaincre et d’obtenir son soutien. Or, pour y parvenir, il est essentiel de faire comprendre la recherche, la science et la technologie. « Aujourd’hui, nous ne pouvons pas réaliser les transitions dont nous avons besoin sans que la société se sente à l’aise avec ce qu’on lui demande. »
Pour impliquer les gens, il suggère trois angles d’approche : améliorer l’éducation de base, avoir des politiciens qui comprennent les processus scientifiques et, enfin et surtout, une plus grande couverture médiatique de la science. « En France, par exemple, la couverture médiatique générale de la science est un désastre ! », se désole-t-il, soulignant qu’il y a six fois plus d’articles publiés sur le CER en Espagne qu’en France, alors qu’il y a plus de boursiers de CER en France qu’en Espagne. « Nous devons également nous attaquer aux « fake news » et aux informations erronées pour parvenir à une meilleure compréhension de la science par la société dans son ensemble », ajoute-t-il.
Les enseignements tirés de la crise de la Covid-19
Depuis 2019, la pandémie a révélé des forces et des faiblesses dans tous les domaines de la vie, y compris la technologie, la science et la politique. Pour Cédric Villani, la crise de la Covid-19 a fait comprendre que la technologie n’est pas la panacée. « L’intelligence artificielle, par exemple, qui est très mauvaise pour réagir à des situations inconnues, n’a servi à rien pour aider à trouver de nouveaux médicaments ou des vaccins pour lutter contre le virus. »
Jean-Pierre Bourguignon est particulièrement frappé par la façon dont les politiques ont dû prendre des décisions difficiles rapidement, ce qui a souvent conduit à des visions à court terme. Rien de bon, selon lui, alors que « les engagements à long terme sont la seule issue dans cette transition mondiale. » Il ajoute que la collaboration et les discussions entre les communautés scientifiques des différents pays lors de la mise au point des vaccins constituent, cette fois, un élément positif.
Au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en 2021, la recherche scientifique se poursuit comme à l’accoutumé. « La science est bien sûr impactée par l’actualité [comme la Covid-19] mais ne se résume pas à l’actualité », explique le président Antoine Petit. “Nos projets scientifiques sont aujourd’hui les mêmes après la crise du Covid-19 qu’avant. La crise climatique et l’information quantique, par exemple, n’ont pas été mises en sommeil et font donc toujours partie de nos sujets d’intérêt. »
La place de l’Europe dans un monde en mutation – une force motrice ?
L’Europe a manifestement tout intérêt à conduire la transition et à construire le monde de demain. Compte tenu de son manque de ressources énergétiques locales et de ressources stratégiques comme les terres rares, par exemple, le continent est sous pression. Trouver des voies plus vertueuses, comme les énergies renouvelables, est donc une nécessité. Une autre force, estime M. Villani, est que l’Europe est « un continent extrêmement bien éduqué, extrêmement conscient de toutes les questions de transition, environnementales, comportementales, énergétiques, etc. ». D’où sa conviction que l’Europe a le meilleur état d’esprit pour mener le changement.
Les Européens dans leur ensemble ont également un rôle important à jouer. Pour Jean-Pierre Bourguignon, le défi à venir sera de rendre les décisions et les stratégies si transparentes et si claires pour le public qu’il devienne évident que les engagements à long terme sont la seule solution. « Il faut aussi que les gens acceptent de changer un peu leur vie », ajoute-t-il.
Il est essentiel de placer les personnes au cœur de ce que nous faisons, souligne Antoine Petit du CNRS. Pour ce faire, et afin que la recherche fondamentale serve au mieux les intérêts de la société, le centre de recherche français développe des coopérations avec des organismes à but non lucratif, par exemple des structures comme JEDI, ainsi qu’avec le monde de l’entreprise. « Chaque année, le CNRS crée entre 80 et 100 start-ups et développe également des relations avec les industriels existantes », explique M. Petit. « L’idée n’est pas de les aider à développer des solutions à court terme, à trois ou six mois, mais de les accompagner réellement pour imaginer une innovation de rupture pour demain ou après demain. »
Traduit de l’anglais par Joëlle Touré