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MaaS / Partie 1 – Gouvernance et influence sur la mobilité

Par : Joëlle Touré 31 mars 2021 no comments

MaaS / Partie 1 – Gouvernance et influence sur la mobilité

 par Joëlle Touré, déléguée générale, Futura-Mobility


Les 9 et 10 mars 2021, Futura-Mobility a organisé une séance en deux temps sur la mobilité servicielle ou « Mobility as a Service » (MaaS).

Après un démarrage en fanfare autour des années 2015-2018, accompagné de grandes promesses et de nombreuses attentes, la mobilité servicielle est aujourd’hui rattrapée par la réalité. C’est donc le bon moment pour faire le point sur le sujet du MaaS avec quelques questions clés : quelle gouvernance mettre en place pour un projet MaaS réussi ? Comment les projets MaaS peuvent-ils porter les enjeux de mobilité durable ?

Dans la MaaS, qui fait quoi ?

Maxime Audouin, auteur de recherches sur la gouvernance de la mise en place de systèmes MaaS en Europe, notamment à Helsinki et à Vienne, a ouvert la séance par la question de l’échelle de mise en place du MaaS. « La bonne échelle est l’échelle métropolitaine voire régionale. En effet dans les centres urbains, l’offre de mobilité est forte et maillée. La question centrale est : comment proposer une offre combinant différentes solutions de mobilité qui soit compétitive au niveau de service de la voiture personnelle, à mesure qu’on s’éloigne de ce cœur urbain ? ».

Or selon Laura Papet, directrice associée du cabinet PMP, en France, « il y a finalement peu d’échelons, et peu de collectivités qui ont un domaine de compétence à l’échelle du bassin de vie. Donc nécessairement, dès qu’on commence à parler de MaaS et de MaaS territoriaux, on a une première question qui est celle de l’interaction et de la bonne gouvernance, ne serait-ce que dans la réflexion stratégique, entre différents échelons institutionnels ».

Néanmoins tous s’accordent à dire que les autorités organisatrices (AO) ont un rôle à jouer dans l’avènement des services MaaS.

Selon Olivier Vacheret, chef du département Information et Services Numériques d’Ile-de-France Mobilités (IdFM), « la LOM [loi d’orientation des mobilités, 2019] en France fait la part belle aux AO et c’est plutôt une bonne nouvelle, notamment avec la possibilité de diffuser des données ouvertes avec un niveau de qualité maitrisée (…) qui permet à toutes les applications de faire la promotion des transports collectifs et des mobilités durables ».

Maxime Audouin a pu observer, lors de ses recherches réalisées au sein de l’EPFL, quatre approches de gouvernance adoptées par les autorités sur le sujet du MaaS, présentés ci-dessous. « Quand on parle d’autorités publiques on parle surtout de l’Autorité Organisatrice (AO) mais aussi de l’échelle régionale et des gouvernements », précise-t-il.

© Maxime Audouin
  • Dans l’approche governing by doing, l’AO prend seule la main sur la mise en place d’un service MaaS, et internalise son développement. C’est le cas par exemple, de l’AO de Vienne (Wiener Linien) qui a créé une entité en interne dédiée au développement de sa solution MaaS.
  • L’approche governing by making do est assez proche de la précédente, sauf que l’AO, qui garde la main sur le sujet, externalise le développement du service à un prestataire externe. « C’est le cas de Berlin, avec la BVG qui a décidé de confier le développement de son service MaaS à Trafi », illustre M. Audouin.

Laurent Chevereau, directeur des projets sur la mobilité servicielle au CEREMA, indique que c’est également l’approche adoptée par les collectivités françaises, dans le cadre d’une délégation de service public, « comme l’ont fait Saint-Etienne et Mulhouse par exemple » ou bien par un marché spécifique « comme à Rouen, Grenoble et Marseille ». On peut se demander lequel des deux modèles sera le plus plébiscité.

Ile-de-France Mobilités utilise ces deux approches en réalité. C’est la question du « make or buy ». L’AO souhaiterait ouvrir sa gouvernance pour ne pas être seule à piloter les orientations sur ce sujet mais « ce n’est pas simple, il faut trouver les formes juridiques, les bonnes pratiques », explique Olivier Vacheret d’IdFM.

  • Dans l’approche governing by enabling, l’acteur public permet à une pluralité d’acteurs de proposer un service MaaS sur son territoire, en favorisant la concurrence « dans le marché ». Par exemple, Transport for London (TfL) a longtemps été pionnière sur ce positionnement en acceptant d’ouvrir ses données et de permettre aux acteurs MaaS de revendre ses titres, comme Citymapper. « C’est aussi la position de beaucoup de gouvernements centraux. Je pense ici au gouvernement finlandais avec le « Finnish Transport Code » qui visait à faire sauter les verrous pour l’avènement de services MaaS, ou encore au gouvernement français avec la LOM », explique Maxime Audouin.
  • Une dernière approche observée est celle où « l’AO procrastine en quelque sorte », c’est le governing by laisser faire. Par exemple cela a très longtemps été la position de l’AO d’Helsinki, qui refusait d’ouvrir ses titres de transport à la revente par des tiers. « Des régulations aux niveaux nationaux viennent souvent bousculer cette approche, comme cela a été le cas en Finlande ».

Vis-à-vis de ces quatre approches, différents modèles de développement du MaaS peuvent apparaitre (cf. schéma supra) : un modèle fermé avec un seul service MaaS sur un territoire donné, un modèle ouvert avec plusieurs services MaaS dans une compétition, ou encore des modèles hybrides avec par exemple « une AO qui est en lead sur le développement d’une infrastructure digitale (back-end partagé) sur laquelle viennent se brancher un certain nombre de services/interfaces utilisateurs MaaS ».

C’est d’ailleurs le modèle suivi par Ile-de-France Mobilités (IdFM). Olivier Vacheret d’IdFM explique ce choix : « la connaissance des clients et des usages sera bien mieux maîtrisée si l’autorité organisatrice produit elle-même un certain nombre de briques du MaaS pour être en lien direct avec la question des usages et de ce fait pouvoir orienter les politiques publiques de mobilité ». Par exemple, les subventions accordées aux trajets de co-voiturage par IdFM l’ont été notamment en échange de données sur les usages, ce qui permet de réajuster les offres si besoin.

Mais y aurait-t-il un modèle plus favorable au développement du MaaS pour mieux servir les enjeux de mobilité ?

Selon Maxime Audouin, « dans une approche complètement dérégulée, on peut craindre un impact négatif en termes de performance du système de transport d’un territoire. (…) Les pure players qui vont proposer un service MaaS vont chercher une rentabilité financière, qui sera plus facilement atteinte en vendant des services semi privés (taxi, VTC) que des titres de transport en commun, souvent fortement subventionnés ».

Pour Hans Arby, fondateur d’Ubigo et dorénavant vice-président de la Public Transport Authority de Göteborg, « dans un bon système Maas, chacun joue sur ses points forts. Je pense que l’acteur privé est très bon pour répondre aux besoins et aux aspirations des clients, tandis que l’autorité publique est meilleure pour gouverner, c’est-à-dire encadrer et permettre la mise en œuvre. »

Pour transformer les habitudes de mobilité ?

D’après Laurent Chevereau du CEREMA, la mise en place d’un service MaaS répond potentiellement à de nombreux enjeux mais l’important pour une AO est de « faire des choix ! » quant aux objectifs recherchés et au public visé : touristes ? habitants ? familles ? professionnels ?

D’ailleurs, selon David Lainé, directeur France, Belgique et Europe du Sud de Trafi, pour un MaaS réussi, « il faut une politique de mobilité courageuse qui encourage les citoyens à changer leurs habitudes de transport, l’objectif étant de réduire l’usage de la voiture individuelle ».

A Aix-Marseille Provence Métropole, « l’idée a été, en préalable à toute réflexion MaaS, de repenser une stratégie de marketing mobilités à l‘échelle du territoire », avance Mme Papet. Pour ce faire, il faut comprendre les besoins et les pratiques de mobilité sur ce territoire, en particulier des personnes utilisant leur véhicule individuel. Ensuite une stratégie peut être mise en place ainsi qu’un plan d’actions marketing, suivis d’une refonte de l’offre de transports et de la tarification.

© Laura Papet

Cette connaissance permet de prioriser les offres et les services à intégrer dans le service MaaS en fonction des enjeux. Par exemple, pour lutter contre l’auto-solisme, « à Grenoble, on a commencé à intégrer sur le Pass Mobilité les parcs en ouvrage de la Métropole, à intégrer des offres de co-voiturage expérimentées en parallèle, ainsi que le développement d’une voie réservée au covoiturage entre Voiron et Grenoble », raconte Laura Papet du cabinet PMP.

Pour Julie Sulli, cheffe des projets marketing transverses au sein de la Direction Marketing du Groupe Keolis, « l’enjeu est bien de mettre la voiture particulière à sa juste place et de l’intégrer dans cette offre de mobilité globale sur le bassin de vie ». Keolis, dont les clients naturels sont les utilisateurs de transports en commun, a en effet pour ambition, dans une feuille de route long terme, de conquérir des cibles plus larges – notamment les personnes du périurbain dont la mobilité est clé pour répondre aux enjeux de mobilité durable.

Une fois le MaaS en place, « à quel point les usagers de service MaaS ont réussi à opérer un report modal ?  Il y a peu de données, ou bien beaucoup de déclaratif dans les études » selon M. Audouin. Néanmoins Laurent Chevereau du CEREMA présente quelques résultats, indiquant qu’il y aurait – s’il l’on en croit les déclarations des utilisateurs – un report modal vertueux dans les cas d’Ubigo à Göteborg et de Smile à Vienne.

© Laurent Chevereau

A contrario, certains modes de transport partie prenante du MaaS, comme les VTC, semblent avoir un impact négatif sur les enjeux de transports à l’échelle de la ville.  « Une étude du MIT sur l’impact de Uber et Lyft montre que ces services accroissent la congestion en termes d’intensité et de durée », illustre Maxime Audouin. M. Vacheret d’IdFM ajoute ainsi que « l’étude montre que les utilisateurs de VTC interrogés ne souhaitent pas utiliser les transports collectifs et ont par ailleurs des voitures individuelles. Cette étude montre que la pratique du VTC ne dé-motorise les ménages ! ».

Côté IdFM, concernant les propositions de trajets intermodaux, « on s’est aperçu qu’il y avait parfois des effets pas complètement désirables. Par exemple la trottinette électrique prend de la part modale à la marche à pied. (…) Sur un volet sanitaire, cela pose un certain nombre de questions… Parfois la trottinette prend de la part modale aussi sur le métro. C’était le cas d’Autolib’ aussi », explique M. Vacheret.

Clairement, pour M. Chevereau du CEREMA, « il y a un manque de données sur l’évaluation de l’impact du MaaS. Ce déficit est bien connu et il y a de plus en plus de projets notamment européens qui prévoient de fournir des réponses sur les impacts du MaaS en termes de part modale, de volume de déplacement et de distances parcourues ».

MaaS et Covid19 : une mobilité d’après plus choisie ? 

Trois changements majeurs ont été constatés à travers la crise du Covid19 : une plus forte digitalisation des services de mobilité, la croissance des usages des engins de micromobilité (cf. La place des micromobilités dans la mobilité), une baisse importante de fréquentation des grands réseaux de transports urbains « de l’ordre de 60 à 70 % » estime Maxime Audouin. Ce qui lui fait dire que « le MaaS est une opportunité pour le transport public de remonter la pente du Covid, pour faire revenir les gens dans les transports publics et même aller chercher d’autres utilisateurs comme les auto-solistes ».

Julie Sulli de Keolis s’interroge : « finalement ne passe-t-on pas vers une mobilité plus choisie ? A ce titre, le service MaaS pourrait être un levier pour donner le choix ». A Vélizy, Keolis mène par exemple une expérimentation permettant aux voyageurs de choisir leur itinéraire en tenant compte du taux de fréquentation à bord des véhicules.

© Maxime Audouin

De là à imaginer qu’un jour le service MaaS imposera les itinéraires pour gérer les flux de passagers dans des mégalopoles de plus en plus grandes… il n’y a qu’un pas.

Image de couverture : Gerd Altmann – Pixabay