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Hans Arby : MaaS – mars 2021

Par : Lesley Brown 31 mars 2021 no comments

Hans Arby : MaaS – mars 2021

Fondateur de la plateforme pionnière de mobilité servicielle ou « MaaS » (Mobility as a Service) UbiGo, Hans Arby  a également apporté, au cours des 15 dernières années, un soutien essentiel aux villes dans l’élaboration de stratégies de transport, la planification à long terme et le marketing appliqué aux transports publics. Il dirige actuellement une entreprise de conseil et est membre de la Commission de la mobilité combinée à l’UITP, où il est également formateur principal pour la MaaS. En janvier 2021, il a été nommé premier vice-président de la Commission des transports de la ville de Göteborg.

Intervenant lors de la session ouverte de Futura-Mobility sur la MaaS en mars 2021, M. Arby a exposé ses idées sur le sujet à partir de son expérience dans les secteurs privé et public.

Futura-Mobility : quel est l’objectif de la MaaS ?

Hans Arby : la MaaS est un concept extrêmement large et il existe diverses interprétations. Pour moi, il s’agit vraiment de transformer l’écosystème de la mobilité pour offrir aux utilisateurs d’une ville un accès facile aux options de mobilité les plus appropriées. Cela implique également de remettre en question le modèle de propriété [des voitures]. Nous pouvons y parvenir de différentes manières, avec de nombreux acteurs différents. Mais c’est compliqué.

F-M : de la conception au déploiement commercial et aux opérations quotidiennes, pourquoi la MaaS est-elle compliqué ?

Hans Arby : pour diverses raisons. La mobilité dépend toujours du contexte local. Il faut trouver des moyens de coopérer avec les acteurs publics et privés. En outre, beaucoup de gens ont tendance à oublier que pour la mobilité, vous avez toujours besoin d’un actif, d’un matériel pour transporter les gens – il ne s’agit pas seulement de numérique. Ensuite, le marché est extrêmement conservateur et cloisonné. La plupart des acteurs veulent garder leurs clients pour eux plutôt que de les partager. De plus, comme les marges sont faibles, ils ne veulent pas prendre de risques mais préfèrent le « business as usual ». La mobilité n’est pas non plus standardisée. On dit parfois que la MaaS c’est le « Netflix de la mobilité », ce qui n’est évidemment pas vrai, car Netflix est un service purement numérique, normalisé et mondial, ce que la mobilité n’est absolument pas.

« Pour moi, la MaaS consiste vraiment à transformer l’écosystème de la mobilité pour offrir aux utilisateurs d’une ville un accès facile aux options de mobilité les plus adaptées. Cela signifie également qu’il faut remettre en question le modèle de propriété de la voiture. Nous pouvons le faire de différentes manières avec de nombreux acteurs différents. Mais c’est compliqué. »

F-M : les intérêts privés et publiques de la MaaS sont-ils compatibles ?

Hans Arby : les autorités publiques des villes se concentrent sur les résidents. En matière de mobilité, elles veulent une ville accessible et durable pour tous. D’un point de vue privé comme celui d’UbiGo, par exemple, qui est centré sur le client, la mission est d’offrir des déplacements quotidiens plus faciles. Donc oui, les deux acteurs travaillent avec le même groupe cible, les mêmes personnes en tête, mais avec des objectifs différents. Mais, avec une bonne gouvernance, le résultat final sera le même.

F-M : pourriez-vous nous parler plus en détail des différentes structures et niveaux d’intégration de MaaS ?

Hans Arby : il existe différents types et dimensions de structuration de la MaaS. On pourrait dire qu’il y a plusieurs « saveurs ». L’une d’elles est « la MaaS de A à B », qui résout en quelque sorte le voyage intermodal unique, le premier/dernier kilomètre, un billet unique peut-être. L’autre est plutôt du type « MaaS du matin au soir », qui tente de répondre à tous les besoins de mobilité à travers tous les modes de transport. Ce deuxième type de service est très axé sur la possession d’une voiture, car il ne suffit pas de résoudre chaque déplacement individuel. La MaaS doit résoudre tous les déplacements si elle veut convaincre les gens de vendre leur voiture et de consommer des services de mobilité.

Si on considère le point de vue du client, le modèle d’affaires en plus de la technologie, il existe plusieurs niveaux d’intégration. Il y a d’abord l’intégration de l’information, comme dans Google Maps, qui garantit l’exactitude des informations fournies. Dans ce cas, vous pouvez gagner de l’argent avec les publicités, comme le fait Google.

Ensuite, il y a l’intégration des voyages allers, de la réservation et du paiement, où vous garantissez le paiement et la livraison des bons tickets – comme c’est le cas avec Jelbi à Berlin. Ici, les revenus sont basés sur des commissions.

La troisième est l’intégration de l’offre complète de services, le plus souvent par abonnement, et consiste davantage à assumer la responsabilité de la qualité des services. Cela implique un reconditionnement, comme un voyage charter tout compris mais pour la mobilité quotidienne.

Enfin, vous avez les autorités gouvernementales et locales, qui voudront s’assurer que le service MaaS intègre des objectifs sociétaux à chacun de ces trois niveaux. Elles voudront s’assurer que les options de mobilité dans la ville sont attrayantes et durables, et que les contrats avec les revendeurs sont conçus pour produire les bons résultats.

F-M : pourriez-vous nous en dire plus sur les activités d’UbiGo à Göteborg et Stockholm ? En particulier sur son offre d’abonnement par foyer, qui est assez unique.

Hans Arby : Göteborg, la deuxième plus grande ville de Suède, compte actuellement un peu plus d’un demi-million d’habitants et est en pleine croissance. Elle est centrée autour du port et abrite Volvo et de nombreuses autres entreprises automobiles, l’université MedTech West, etc. Le modèle de la ville ressemble à celui d’une ville-usine américaine comme Détroit, c’est-à-dire qu’elle est accessible en voiture avec de nombreuses grandes routes. Pourtant, elle tente actuellement de s’orienter vers une accessibilité par les transports publics, les vélos et la proximité, afin de rendre la ville plus dense et les services plus faciles à atteindre.

UbiGo a fait l’objet d’un projet pilote à Göteborg entre 2013 et 2014. Nous avons ensuite procédé à un lancement commercial à Stockholm en 2019 en proposant des transports publics, des vélos, des voitures partagées, des voitures de location, des taxis, etc. sur la base d’un abonnement flexible pour les ménages. C’est ce qu’UbiGo appelle un service MaaS de niveau 3, entièrement intégré.

Pourquoi le modèle d’abonnement pour les ménages ? Parce que nous avons compris que la voiture représente une ressource commune à l’ensemble du foyer. Pour la remplacer, il faut donc répondre à tous les besoins de déplacement de l’ensemble du foyer. C’est ce que nos abonnements visent à réaliser – du matin au soir, du lundi au dimanche, de janvier à décembre. L’objectif est de réduire tellement le besoin d’une voiture que les ménages n’auront plus envie d’en acheter une. Mais, pour être honnête, cibler la possession d’une voiture et commencer à vendre aux propriétaires de voitures n’est pas facile ! Cela prend beaucoup de temps, car il s’agit de modifier profondément un comportement ancré.

Il est cependant intéressant de voir comment le nombre de clients d’UbiGo a augmenté pendant la pandémie de Covid-19 à Stockholm, en particulier autour de la location de voitures le week-end.

F-M : UbiGo va fermer ses portes en 2021. Est-ce que cela signifie que le concept B2C (Business to Customer) est mort ?

Hans Arby : Si vous regardez les villes, combien y en a-t-il où vous pouvez être un opérateur MaaS privé ? Il n’y en a qu’une poignée où l’on peut vraiment revendre et intégrer les transports publics. De plus, il ne faut pas oublier que nous n’en sommes qu’au tout début. Un autre point à retenir : tous les différents modèles ont un « 2C » à la fin. Si vous vous concentrez sur le marché B2G [Business to Government], l’opérateur de transport public ou la ville doit être en mesure d’attirer des clients – vous devez toujours proposer une offre attrayante, sinon quel est l’intérêt d’exploiter le service ? Il en va de même pour le marché B2B [Business to Business] : les services doivent attirer les employés.

Il existe peu de services privés comme UbiGo. La plupart sont encore en phase pilote. Nous sommes encore en train d’apprendre. En ce qui concerne la courbe de Gartner ci-dessous, je pense que la MaaS se trouve actuellement sur la courbe descendante, mais il sera intéressant de voir quand elle atteindra le plateau de productivité. J’aime un peu plus cette version [ci-dessous] que la courbe standard du Gartner Group en raison de son « rond-point du reconditionnement », qui suggère que la MaaS sera probablement reconditionnée par de nouveaux acteurs plusieurs fois avant sa productivité.

« Pour l’instant, je pense que la MaaS est sur la courbe descendante, mais il sera intéressant de voir quand elle atteindra le plateau de productivité. […] Le ‘rond-point du reconditionnement’ suggère que la MaaS sera probablement reconditionné par de nouveaux acteurs plusieurs fois avant sa productivité. »

F-M : qui doit faire quoi dans un modèle MaaS ?

Hans Arby : eh bien, dans l’un, vous avez un acteur privé qui s’occupe lui-même de l’intégration commerciale et technique, ainsi que de la création de l’offre et de la réponse aux appels d’offres. Cette approche est parfois appelée le modèle libéral ; la Suède et la Finlande en sont de bons exemples. Bien sûr, le défi du modèle privé est d’être rentable.

Le troisième modèle est celui où les transports publics élargissent leur offre, comme c’est le cas avec Jelbi à Berlin et dans d’autres villes allemandes comme Hanovre, Hambourg et Munich.

Enfin, il y a le modèle intermédiaire – un compromis typiquement suédois – dans lequel la ville ou l’autorité organisatrice des transports met en place une plateforme utilisable par les deux prestataires de services de transport et ouverte à tout acteur, du transport ou du numérique, souhaitant créer des applications pour les proposer aux clients. C’est ce que l’on voit avec la LOM [loi d’orientation des mobilités] en France, si j’ai bien compris.

En France, la législation LOM [loi d’orientation des mobilités] du 24 décembre 2019 débloque les données collectées auprès des services de transport et de mobilité : désormais, les autorités organisatrices doivent les mettre en libre accès, gratuitement. Cette ouverture s’inscrit dans une volonté de développer les services de mobilité numérique à l’échelle nationale.

Tous les modèles ci-dessus présentent des défis, du point de vue des autorités organisatrices. Notamment la nécessité de créer de la valeur pour les prestataires de services afin de les encourager à participer au service, indépendamment de celui qui propose la MaaS. Il faut également disposer de bons services à intégrer, ce qui dépend de la coopération entre les différents acteurs. En effet, cette coopération est vraiment la clé de tout : les autorités organisatrices doivent d’abord établir cette coopération, puis se concentrer sur la construction d’une plateforme technique pour fournir la MaaS. N’oubliez pas que la MaaS n’est pas du tout une question de technologie.

F-M : des conseils sur la manière de construire un écosystème MaaS réussi ?

Hans Arby : pour que l’écosystème soit un succès, chaque partie prenante doit jouer sur ses points forts. À mon avis, les acteurs privés sont très doués pour répondre aux besoins et aux aspirations des clients, tandis que les pouvoirs publics sont les mieux placés pour gouverner, c’est-à-dire encadrer et permettre la MaaS.

Prenons l’exemple de l’accord conclu par UbiGo avec SL, l’autorité organisatrice de Stockholm. En tant qu’acteur privé, nous avons promis d’atteindre les clients que l’autorité ne peut pas atteindre elle-même et de pratiquer une tarification équitable par rapport à ce que SL offre à ses clients directs – même si nous avions un modèle de tarification complètement différent.

En ce qui concerne l’encadrement de la MaaS, les autorités publiques doivent se concentrer sur des aspects tels que les achats et les contrats, ainsi que sur des mesures dissuasives telles que les politiques de stationnement et le péage urbain, qui rendent l’utilisation de la voiture moins facile, afin que toutes les offres de mobilité MaaS puissent prospérer.

Lorsqu’il s’agit de permettre la MaaS, les autorités ont également de nombreuses tâches à accomplir. Par exemple, offrir des espaces de stationnement pour les services partagés et créer des hubs de mobilité, utiliser les marchés publics pour mettre en place différents services, ou gérer des programmes d’innovation et des projets pilotes.

F-M : votre conseil aux autorités publiques pour l’avenir ?

Hans Arby : dans le cadre d’un réseau ouvert, d’un écosystème tel que la MaaS, les pouvoirs publics sont parfois acheteurs, parfois vendeurs. Dans ce contexte, il est important qu’ils comprennent leur pouvoir de négociation – sur quels actifs êtes-vous assis ? Que pouvez-vous offrir ? Quels accords pouvez-vous conclure avec les revendeurs ?

Ils doivent également garder à l’esprit que la MaaS nécessite de nombreuses initiatives différentes – ne fermez donc pas les portes !

En outre, lors de l’introduction d’une plate-forme publique, « moins » peut signifier « plus ». En effet, une plateforme publique peut tout englober, des normes à une base de données commune pour le partage des données, jusqu’à l’intégration complète avec les paiements et les contrats. Dans ce cas, il y a un risque de gel du développement, car la plateforme ne pourra jamais évoluer aussi vite qu’elle le doit, puisqu’elle restera toujours dans sa phase initiale.

À l’avenir, j’encouragerais les autorités publiques à faire autant de « lean start-ups » que possible, c’est-à-dire à commencer par le produit minimum viable, à le construire et à en tirer des enseignements pour finalement mettre en place une plateforme informatique, puis à voir ce qui se passe. Il faut également rester ouvert à l’idée d’endosser différents rôles. Je pense que les partenariats public-privé impliquent que chacun fasse ce qu’il sait faire le mieux.

En même temps, n’oubliez pas que chaque ville, chaque pays est différent. Quand il s’agit de MaaS, vous ne pouvez pas faire un copier-coller !

At the same time, don’t forget that every city, every country is different. When it comes to MaaS you can’t do a copy and paste!

« La MaaS ne pourra jamais remplacer des transports publics efficaces et attractifs, de bonnes infrastructures pour le vélo et la marche. »

Un dernier rappel surtout pour les acteurs publics : la MaaS est toujours l’huile que vous mettez sur tous les autres rouages que vous faites bien. Parfois, surtout en provenance des États-Unis, on entend des choses comme : « Eh bien, nous n’avons pas besoin d’investir dans les transports publics. Nous pouvons faire de la MaaS à la place ». Mais cela ne fonctionne pas vraiment de cette façon. La MaaS ne pourra jamais remplacer des transports publics efficaces et attrayants, de bonnes infrastructures pour le vélo et la marche.