Innovation « made in Africa »
Innovation « made in Africa »
Par Joëlle Touré – 21 juin 2018
A peine rentrée d’Amérique du nord, me voilà plongée, mais pour une heure seulement ! en Afrique à l’occasion d’une masterclass sur l’Innovation à FUTUR.E.S. Passionnante conférence donnée par Stephan-Eloïse Gras et Francesca Giovannini de L’oreille Global Innovation Lab.
De gauche à droite : Stephan-Eloïse GRAS et Francesca GIOVANNINI
« Le modèle de l’innovation en Afrique est et restera très horizontal : Sud-Sud avec des spécificités locales », prévient la fondatrice et CEO, Stephan-Eloïse Gras. L’Afrique, c’est 54 pays et donc autant de réalités.
Quelques faits marquants néanmoins caractérisent le continent dans son ensemble. Tout d’abord, une pression démographique très forte – 23% de la population mondiale sera africaine en 2050 – et aussi une progression exponentielle de la connectivité, bien plus impressionnante que celle qu’a connue l’Asie.
Mais, précise Mme Gras : « le modèle de développement en Afrique ne suivra pas le modèle occidental ». Elle avance trois raisons :
- L’accès à l’énergie en Afrique se fait dans un contexte où le pétrole n’est plus bon marché
- 60% population est rurale en Afrique, donc la problématique de connectivité est plus complexe et concerne plus de niveaux : campagne / village / ville
- La révolution numérique est un levier très fort de développement. La contribution des industries numériques au PIB du continent pèse déjà lourd. La connectivité (mobile et internet) est donc un enjeu primordial et commun aux 54 pays africains
On pourrait aussi évoquer la force de la jeunesse dans le continent – 40% des africains ont moins de 15 ans – et le poids du secteur informel qui concentre 80% de l’économie !
Quatre caractéristiques-clés sont dégagées par Mme Gras et Mme Giovannini pour décrire ce qu’on pourrait appeler un « modèle d’innovation africain » :
-leapfrogging ou « saut quantique », phénomène bien connu qui consiste à sauter directement à l’innovation la plus en avance sans passer par des étapes technologiques ou de services intermédiaires. Le succès du paiement mobile M-PESA en est l’exemple le plus emblématique : premier service de paiement par mobile du monde, né au Kenya en 2007, là où seul 17% de la population était bancarisée mais 54% avait un téléphone portable. Aujourd’hui Mpesa est utilisé par 70% des kenyans adultes et s’est développé dans d’autres pays de l’Afrique de l’est ;
– frugalité, quand la limitation des ressources devient un levier d’innovation. Le champ des contraintes est en effet un accélérateur de créativité. Les conférencières ajoutent que le niveau d’enjeu est également plus élevé. Quand en occident on se demande comment faire faire la liste des courses au réfrigérateur, dans les pays en développement on se demande comment faire un réfrigérateur sans électricité ;
– circularité, à la fois au niveau des personnes et des matériaux. L’innovation en Afrique repose davantage sur les communautés et est souvent collaborative. Sur les aspects financiers par exemple, la très ancienne pratique de la tontine sur le continent africain est précurseur du crowdfunding. Dans la même logique, la distribution d’un produit doit être pensée dans son appropriation par un réseau et non par un individu isolé. Au niveau des matériaux également, la logique de recyclabilité prévaut, d’abord par nécessité, puis dans une logique de développement durable. L’exemple du collectif AMP au Ghana, œuvrant dans une décharge est intéressant ;
– ouverture, avec un autre rapport à la propriété intellectuelle. Les modalités de création d’une innovation sont souvent l’open source. En premier lieu, parce que les ressources manquent et que l’on est obligé d’utiliser les ressources libres d’accès mais aussi, finalement, parce que cela est devenu la culture d’innovation du continent. Par exemple, les produits ou services sont utilisés en en séparant les différents attributs. Chaque attribut est utilisé par une communauté qui le fait évoluer selon ses besoins.
Ushahidi, par exemple, est né au Kenya en 2009 lors de la violente période d’élections. C’était une plateforme de crowdsourcing permettant de savoir où avaient lieu les violences dans la ville. De nos jours, Ushahidi est une plateforme d’édition de logiciels libres.
Dans ce contexte, et même si l’on déplore l’absence de licornes dans les start-ups africaines, quelques belles réussites participent à l’effervescence sur le continent : M-Kopa dans le domaine de l’énergie qui combine paiement à l’usage et paiement mobile, Jamii Africa qui propose de l’assurance micro-santé en Tanzanie, BitPesa pour les transferts d’argent, Jumia pour le commerce en ligne, Bifasor un agrégateur de solutions logistiques informelles…
Le principal problème des entrepreneurs en Afrique tient à la difficulté de trouver des financements, notamment au début de leur projet.
Ils ont également du mal à trouver un accompagnement dans la durée. Ainsi le « passage à l’échelle » (en dehors de ses frontières) est une véritable prouesse, en particulier car la question réglementaire peut devenir un véritable casse-tête, tant la connaissance du code civil n’est pas toujours facilement accessible selon les pays.
Le plus grand défi du développement d’un entrepreneuriat réussi en Afrique est certainement l’éducation.
En effet, seulement 2% de la population accède à l’université. Ces étudiants sont attirés par les pays occidentaux pour faire leurs études, l’enjeu est qu’ils reviennent sur le continent africain pour participer à son développement. Quelques pays développent des pôles universitaires de qualité pour lutter contre cet exode intellectuel. C’est le cas du Maroc, du Sénégal, du Kenya et de l’Afrique du Sud. Comme partout sur la planète, se développent aussi des écoles de code – Andela au Nigeria ou Moringa au Kenya par exemple.
Décidément, c’était trop court, il va falloir penser au prochain voyage exploratoire de Futura-Mobility : le continent africain me semble le territoire idéal…